L’urgence c’est d’être efficace dans la lutte contre les déserts médicaux

Les médecins de famille d’il y a 50 ans ne reviendront pas. Aujourd’hui, l’urgence c’est la lutte contre les déserts médicaux, le centre de santé public municipal créé à l’initiative des maires et des élus locaux apparaît comme la solution la plus efficace.

C’était naturel. Simple comme un bonjour. Les enfants qui toussent, un membre de la famille fiévreux, un accident de bicyclette, et hop, un saut chez le médecin généraliste, chez le « docteur » comme on disait. On payait la visite tout de suite ou plus tard, mais ce n’était pas très important puisqu’on était remboursé. Le « docteur », faisait partie de la famille. Il avait vu naître les enfants, connaissait les parents, parlait avec eux rugby et pétanque, donnait des conseils sur l’hygiène de vie. Le « docteur » c’était comme le curé et l’instituteur, un des trois piliers de la vie sociale dans nos villages et les vieux quartiers de nos villes. On pouvait même le déranger la nuit ou le dimanche, il répondait toujours « présent » sans rechigner. Ça, c’était avant. Avant quoi ? Difficile à dire. En tous cas, aujourd’hui ce n’est plus comme ça.

(Image par granderboy de Pixabay)

Aller chez le docteur de nos jours

Nos anciens doivent se retourner dans leur tombe. Aujourd’hui, dans les villages de nos Corbières, il faut faire des kilomètres pour trouver un docteur. Et parfois quand enfin on en trouve un, il refuse d’augmenter sa clientèle. Le mal a gagné la riche plaine narbonnaise, CUXAC, SALLELES, FLEURY, des villages à forte densité de population parce que n’étant qu’à quelques kilomètres de Narbonne. Les lotissements poussent comme des champignons, sans être accompagnés des services médicaux nécessaires. Mais le mal existe également sur le littoral comme c’est le cas à Leucate, 5ème budget communal de l’AUDE. Même les communes riches n’arrivent pas toujours à remplacer les médecins qui partent à la retraite. Et il gagne les grands quartiers de nos villes, SAINT JEAN SAINT PIERRE et RAZIMBAUD. Les médecins généralistes se font rares. Impensable, il y a 50 ans !

Dans les familles, le rêve exprimé par les parents, mais seulement un rêve parce que les études sont longues et coûteuses, c’était d’espérer avoir un des enfants un jour « médecin de famille ». Notoriété et réussite économique assurée. Et aujourd’hui, en ce début de XXIème siècle, l’un des problèmes majeurs de notre société, c’est le manque de médecins.  « L’impensable » se produit et se développe, il y a pénurie de médecins généralistes et le mal s’amplifie. Il semble inéluctable.

C’est qu’entre le rêve de nos parents et la réalité de ce siècle, des gouvernants mal-pensants ont instauré en 1976 un numérus-clausus dès la fin de la première année des études de médecine. Traduisez, une sélection forcenée, impitoyable, pour limiter le nombre d’étudiants en médecine. C’est d’une logique incontournable, à force de limiter le nombre d’étudiants, il finit par y avoir un manque d’élus au métier de docteur. Sauf, qu’il s’agit d’accès aux soins et que les conséquences de ce numérus clausus reposent avec force la question de l’accès aux soins que l’on croyait réglée depuis 1945.
On pensait le problème réglé parce qu’avec la création de la Sécurité Sociale ; ce formidable outil de santé publique réglait le problème du coût des soins médicaux. Mais c’était oublier le naturel masochisme de l’individu néo-libéral et sa tendance égoïste à la formation de pseudo élites médicales réduisant ainsi le nombre de médecins formés dans nos universités.
CUBA fait la démonstration exactement contraire, en envoyant ses médecins formés par milliers aux quatre coins du monde.

Pourquoi instaurer en France de telles limites à la formation des médecins ?

Avec le prolongement de l’espérance de vie, l’apparition et le développement des poly-pathologies chez les personnes âgées, le retour de maladies qu’on croyait en voie de disparition comme la tuberculose, avec l’industrialisation et ses conséquences sur la santé, avec l’intensification des rythmes de production dans les usines, des stress individuels et des souffrances au travail de plus en plus fréquentes, la présence et l’augmentation de médecins devrait aller de pair avec la société de ce XXIème siècle.
Mais dans ce contexte le médecin de famille, tel qu’il existait il y a 50 ans, est totalement dépassé. L’isolement du médecin nuit à sa pratique, l’empêche de se former régulièrement pour rester au top des découvertes médicales.

(Image par StockSnap de Pixabay)

Les temps changent

Ajoutons à cela que la mentalité du jeune médecin n’est plus celle de notre bon vieux « docteur ». Le nombre de femmes-médecins en début de carrière est supérieur à celui des hommes. Après une dizaine d’années d’études difficiles et coûteuses, ils ou elles aspirent à une vie de famille, une vie de loisirs et de voyages. Et leur conjoint ou conjointe ne souhaitent pas « rester à la maison » à attendre leur retour. Les conjoints souhaitent avoir un emploi, ne serait-ce que parce que c’est le travail et l’emploi salarié qui conditionneront leurs ressources au moment du départ à la retraite. Bref, la conception en ce début de siècle de la fonction même de médecin a changé.
De plus, les jeunes médecins veulent se consacrer et se recentrer sur le fondement de leur métier, les soins médicaux. D’où le souhait des uns et des autres d’œuvrer dans des systèmes où en tant que médecins ils n’aient plus le souci des tâches administratives. Car même si l’informatique a fait une entrée fracassante ces vingt dernières années dans le métier de médecin, la France reste un pays où malgré la volonté des futurs gouvernants de promettre à chaque élection des simplifications administratives dans la gestion des dossiers, à l’arrivée la paperasse est de plus en plus envahissante.
Bref, les médecins de 2020 ne sont pas ceux de 1970. Ils ont changé. Ils se sont féminisés. Ils n’ont pas les mêmes besoins. Et pour des raisons professionnelles, ils préfèrent exercer leur métier, non loin des CHU (Centres Hospitaliers Universitaires). Donc les campagnes, les Corbières, le littoral sud, les grands quartiers populaires ne sont plus très attractifs pour nos jeunes médecins et leur famille.

L’Etat qui a la responsabilité de la conduite de la politique de santé publique, donc de la formation des médecins et qui avait instauré le numérus clausus, réduisant de fait le nombre de médecins généralistes, est directement responsable de la prolifération des déserts médicaux à la ville comme à la campagne.
En 2015, Marisol TOURAINE alors ministre socialiste de la santé, a pris conscience de cette situation. Elle a fait valider un texte par l’Assemblée Nationale qui autorise les collectivités locales à avoir pour la première fois une approche territoriale de la lutte contre les déserts médicaux. Ce même texte favorise les regroupements de médecins. Ainsi naissent les MSP (Maisons de Santé Pluri-professionnelles) et les CSP (Centres de Santé Publics, municipaux, associatifs ou mutualistes) reprennent du service.
Cela ne va pas sans problèmes avec les élus locaux qui considèrent qu’il s’agit là d’un transfert inacceptable de compétences de l’Etat sur les collectivités territoriales. Et le débat est de rigueur entre les élus qui veulent à tous prix stopper les déserts médicaux, voire les faire reculer, et ceux qui, impuissants, se réfugient derrière la critique (justifiée certes) de l‘incapacité de l’Etat, mais qui laissent les citoyens totalement démunis face au manque de médecins.

La région Occitanie retrousse ses manches tandis que les autres suivent plus ou moins

Ainsi la région OCCITANIE encourage les collectivités locales à prendre des initiatives, s’inscrivant totalement dans la démarche de Marisol TOURAINE. Marie PIQUE, Vice-Présidente de la région OCCITANIE en charge des solidarités, sillonne la région dans un combat acharné contre les déserts médicaux et présente aux élus tout le système d’aides mises en place par le conseil régional. Par contre, l’agglomération du grand Narbonne, considère malgré le texte de 2015 que ce n’est pas de ses compétences. Son président BASCOU n’est pas hostile à une information des maires du Grand Narbonne, mais opposé à une participation financière de l’agglomération du Grand Narbonne dans le financement de ces regroupements de médecins. Le Conseil Départemental de l’Aude coupe la poire en deux : allez savoir pourquoi, il aide financièrement les médecins libéraux regroupés dans les MSP et ignore les projets de CSP dont les médecins sont salariés ! Plus près des citoyens, les maires sont généralement impuissants. Seuls deux maires du Languedoc Roussillon Port La Nouvelle et Capestang,  devant l’échec de leur MSP ont transformé leur projet de santé en CSP (centres de santé publics). Et aucun des deux maires ne regrettent leur choix tant les résultats sont probants.  A TUCHAN, échec de la MSP (Maison de santé Pluri-professionnelle avec deux médecins libéraux). Sous la pression de la population, le conseil municipal a choisi d’opter pour un centre de santé public municipal. Projet auquel d’autres communes du canton vont s’associer.
Sur la région OCCITANIE, 1/3 des MSP ouvertes depuis 2015 ont fermé leurs portes générant autant de déserts médicaux. Certaines à l’initiative des élus et des citoyens se transforment en centres de santé publics avec des médecins salariés. Car contrairement aux MSP, les CSP se développent, garantissent l’accès aux soins des assurés sociaux… sans faire d’avance d’argent. Avec les centres de santé publics, on entre dans une autre dimension de la médecine et de l’accès aux soins.

MSP et CSP : 2 structures différentes

Une Maison de Santé Pluri professionnelle regroupe des médecins libéraux (1). Le médecin généraliste n’est plus isolé. Il faut qu’il y ait au minimum deux médecins. Il peut y avoir également dans la même maison de santé d’autres praticiens libéraux. Pour chaque consultation le patient avance les frais de la consultation et se fait rembourser ensuite par la Sécurité Sociale et sa mutuelle. Les tâches administratives sont effectuées par les médecins. S’il y a des employés pour l’accueil ou la gestion des dossiers, ils sont à la charge des médecins. Le bâtiment accueillant la MSP peut être public, auquel cas les médecins et les praticiens paieront un loyer à la collectivité locale. Le conseil régional d’OCCITANIE, le conseil départemental de l’Aude participent au financement de l’investissement, l’ARS peut aider au fonctionnement pendant un certain temps.
Les élus locaux étaient intéressés par cette forme de médecine libérale pour deux raisons : 1°) parce qu’ils pensaient que le fait d’investir dans un bâtiment suffirait à attirer les médecins généralistes, 2°) parce que les centres de santé publics étaient dénigrés par les médecins libéraux qui les comparaient de façon mal intentionnée à des dispensaires. Or ce type de structure s’est avéré souvent inefficace, car les conditions d’accueil définies ci-dessus ne répondent pas aux besoins des jeunes médecins.

Par contre les Centres de Santé Publics gérés par des municipalités attirent les jeunes médecins et leurs familles. Pourquoi ?
Parce que les médecins sont salariés et signent un véritable contrat de travail qui précise les droits et devoirs de l’employeur et des employés. Le salaire, la durée du travail, les conditions de travail et le lieu de travail sont paraphés par les deux parties. Il n’y a pas de mauvaises surprises. Il n’y a pas le souci d’emprunter lourdement pour racheter une clientèle.

Pour les assurés sociaux, la différence fondamentale entre une maison de santé et un centre de santé public, c’est que dans le CSP, le patient ne fait pas d’avance d’argent pour les consultations s’il est couvert par la Sécurité Sociale et une mutuelle santé ou un organisme complémentaire. S’il n’est pas adhérent à une mutuelle, il ne paye que le ticket modérateur de sa consultation. Chaque CSP passe une convention de tiers-payant avec la CPAM (Caisse primaire d’Assurance Maladie) et avec les organismes complémentaires de santé. Dans les Maisons de Santé Pluri professionnelles la non-avance d’argent pour se soigner ne se fait que pour les bénéficiaires de la CMU.
Ouvrir dans une commune un centre de santé public où les habitants peuvent se soigner sans faire d’avance d’argent est une formidable avancée sociale.

Créer un Centre de Santé Public est un projet à la portée des collectivités locales

Est-ce si difficile que le prétendent certains pour ouvrir un centre de santé public avec des médecins salariés ? Bien sûr que non !
Il faut qu’il y ait d’abord une volonté politique des élus, et lorsqu’il y a mobilisation des citoyens comme ce fût le cas à TUCHAN, c’est encore mieux.
La première étape à passer c’est le dépôt du dossier auprès de l’Agence Régionale de Santé (l’ARS) le dossier est composé de deux parties : 1°) le diagnostic sur la situation de l’accès aux soins sur un territoire déterminé, c’est-à-dire définir les besoins, les enjeux et les objectifs de santé publique et économique ; 2°) bâtir le projet de santé adéquat aux besoins de la collectivité, dossier pour lequel les demandeurs peuvent se faire accompagner par la FNCS (Fédération nationale des centres de santé).
Si l’ARS valide le dossier, elle le fait en délivrant un numéro de FINESS aux demandeurs. Ce n’est qu’à partir de la délivrance de ce numéro que les conventions peuvent être signées avec la caisse de sécurité sociale et les organismes complémentaires, le recrutement des personnels médicaux s’effectuer, la mise en place du système informatique et de la comptabilité analytique entreprises.
Les dénigreurs des CSP mettent en cause l’équilibre financier des CSP. Rien n’est plus faux. Depuis l’accord national de 2016 et l’ordonnance de 2018, les centres de santé publics bénéficient des mêmes avantages et conditions d’exercice que les maisons de santé pluri-professionnelles.

Les recettes des CSP sont les suivantes :

  1. Remboursement des actes par la Sécurité Sociale sur un montant supérieur au tarif de convention (du fait de la réforme des actes nomenclaturés).
  2. Subvention TEULADE (annuelle) égale à 11,5 % de la masse salariale des praticiens salariés.
  3. Aides supplémentaires de la Sécurité sociale en fonction de la patientèle (personnes âgées, ALD…)
  4. Aides de l’ARS ; Aides du Conseil Régional d’OCCITANIE plus importantes que pour les MSP.
  5. Le conseil départemental de l’AUDE qui ignorait jusqu’à aujourd’hui les CSP se déclare favorable à une aide financière si la demande lui est faite (dixit Hélène SANDRAGNE, conseillère départementale de Narbonne).

Une fois le Centre de Santé public ouvert

C’est un véritable service public de santé qui est mis en place à l’échelle de la commune ou du quartier. En plus des consultations sans avance d’argent, le centre de santé établit des partenariats avec les praticiens libéraux du secteur et les centres hospitaliers alentours pour bénéficier des vacations de spécialistes ; il mène des actions de prévention en direction des jeunes sur les questions d’obésités ou des personnes âgées sur les chutes et l’alimentation ; il se préoccupe de la santé au travail dans les entreprises du secteur et des questions de santé environnementales ; il veille à ce que les usagers du centre soient associés et informés sur la gestion et les pratiques médicales du centre.

En conclusion :

Les médecins de famille d’il y a 50 ans ne reviendront pas. Aujourd’hui, l’urgence c’est la lutte contre les déserts médicaux. Nous n’en sommes plus à attendre le bon vouloir de l’Etat en la matière. E. MACRON a annoncé vouloir transformer certains hôpitaux ruraux en centres de santé de proximité comme celui de LEZIGNAN ; il a annoncé aussi la création de 500 postes de médecins généralistes dans le cadre de cette restructuration. Mais c’est une paille par rapport à nos besoins. Le centre de santé public municipal à l’initiative des maires et des élus locaux apparaît comme la solution la plus efficace.

Alain VISA (2) pour le Clairon de l’Atax le 21/12/2019

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Notes
  1. et le cas échéant d’autres personnels de santé[]
  2. Animateur des comités de défense et de reconquête de la Sécurité sociale[]
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3 commentaires

Sur la question de Madame DUBOIS. Effectivement le centre de radiologie de SIGEAN, qui était privé, a fermé ses portes. Les sigeannais sont donc dans l’obligation d’aller à Narbonne. Et ça n’a pas l’air d’émouvoir qui que ce soit au niveau des élus ou des futurs élus de SIGEAN. Une MSP (maison pluri-professionnelle de santé) devrait ouvrir en 2020 sur Port Leucate. Parmi les locaux prévus, un local reste libre de toute occupation. Le maire de Leucate laisse entendre que si un radiologue privé faisait acte de candidature, il l’accepterait avec plaisir.

Pour info : la liste aux prochaines municipales de mars 2020 “Narbonne en commun” a prévu d’ouvrir un CSP à Narbonne. Qu’on se le dise !!!

Le centre de radiologie a cessé toute activité, à Sigean. Auriez-vous des informations sur cette fermeture.Merci

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