Limiter l’éclairage public : dérisoire et fondamental à la fois.

Les combats pour la biodiversité reçoivent souvent un écho contrarié dans les quartiers populaires. Ce sont des préoccupations de riches.

En France, l’éclairage est responsable de moins de 1 % des émissions de CO2. L’éclairage public n’en représente que 0,1 %. Le remplacement des dernières lampes à incandescence par des LED devrait encore baisser ce chiffre. L’enjeu est donc faible face au défi du réchauffement climatique. Mais à l’heure de la crise énergétique, ce gaspillage est visible et son impact peut être sévère sur les finances d’une commune.
Alors des écologistes souhaitent profiter de cette fenêtre d’opportunité pour rallumer les étoiles. Nous parasitons les nuits de nombreuses espèces protégées. Il leur faudra convaincre ceux que la lumière rassure, ceux qui la voient comme un marqueur de prospérité et de considération de la part de nos dirigeants. La tache sera ardue.

 

Paris les quais de la Seine (mage par Céline Martin de Pixabay)

La part de l’éclairage dans la consommation d’électricité
D’après l’Ademe, en France en 2019, la consommation totale d’électricité liée à l’éclairage était de 49 TWh (térawattheure ou milliard de kilowattheure). En même temps, la consommation électrique totale était de 482 TWh et la consommation d’énergie finale totale (en comptant aussi l’essence, le fioul ou le bois) atteignait 1655 TWh. L’éclairage ne représentait donc que 3 % du total. Comme l’énergie électrique contribue moins aux émissions de CO2 que le reste du mix énergétique, l’éclairage représente une proportion encore plus faible des émissions.  De plus, la consommation de l’éclairage peut être facilement anticipée puisqu’elle dépend d’abord de la durée des nuits. Ceci permet une programmation des moyens de production confortable pour les opérateurs. L’enjeu de l’éclairage peine à se faire une place parmi les priorités. Pour sauver le climat, il y a tant de sujets plus urgents.

L’éclairage public, une consommation visible et coûteuse pour les collectivités
La crise énergétique a changé la donne. Une lumière allumée pour rien est un gaspillage. Ce n’est pas le seul. La quasi totalité de l’énergie que nous consommons termine sous forme de chaleur. Les rayonnements émis sont dans l’infrarouge. Ils sont donc invisibles. L’éclairage lui est visible et constater lorsqu’il est inutile est à la portée de chacun. Les exemples abondent. Éclairer des rues désertes interroge. Cela pèse sur le budget des communes. Les dépenses en éclairage public des collectivités représentaient 37% de leur facture en 2017. Peu ont anticipé l’augmentation des prix de l’énergie. Ceux qui l’ont fait se sont couvert contre les hausses de prix et ont avancé l’investissement dans des LED jusqu’à sept fois moins énergivores. En 2017 seulement 10% du parc de luminaires publics français était équipé de LED. Dans ma commune, le maire vient d’annoncer fièrement vouloir atteindre les 50 % en 2026. Il n’avait donc, comme tant d’autres, rien anticipé. Nous le payons aujourd’hui. Pour économiser les deniers publics les plages horaires où l’espace public est éclairé sont temporairement limitées.

L’éclairage nocturne une atteinte au vivant ?
Cette frugalité forcée est positive pour la biodiversité. Ce que nous voyons d’abord comme du gaspillage a des conséquences dramatiques sur des populations d’espèces protégées nocturnes. Des militants écologistes nous alertent. La lumière que nous émettons perturbe leurs sens, leur fait perdre leur chemin et les menace. Avec nos propres yeux nous pouvons constater que nous voyons de moins en moins d’étoiles. Celles de moindre magnitude se dissolvent dans le halo de lumière orange que nous émettons la nuit. Alors si nous éclairons moins nous rallumerons les étoiles pour notre agrément, et pour la survie d’autres espèces. Il faut cependant se méfier d’une approche anthropocentrique sur la pollution lumineuse. Nos yeux voient du violet au rouge des longueurs d’onde entre 400 et 800 nm (nanomètres). Certaines espèces sont sensibles à un spectre différent, à des longueurs d’ondes qui sont pour nous invisibles et que nous émettons pourtant aussi, comme déchet. Nous ne voyons que la partie émergée de l’iceberg. Si nous échouons à prendre conscience des dégâts que nous faisons, nous rallumerons les lumières dès que leur coût sera à nouveau acceptable. Le sort d’animaux discrets et leurs services écosystémique émeut moins que la peur du noir.

L’éclairage urbain, un enjeu de sécurité publique ?
Les raisons pour rallumer ces lumières sont impérieuses. L’éclairage des rues est un enjeu de sécurité pour les piétons. Il est facile de trébucher dans le noir. Et au-delà, les espaces sombres sont propices aux agressions et les femmes en particulier les évitent. Les conséquences d’un manque d’éclairage sont désastreuses pour l’urbanité. Réduire la durée d’éclairage est donc équivalent à imposer un couvre-feu à ceux qui se sentent vulnérables. Un moment de la nuit où la voiture s’impose comme le seul moyen de locomotion avec son cortège de pollutions. Réduire les espaces éclairés revient à “genrer” des itinéraires, car les jeunes hommes y sont moins sensibles que d’autres populations. Dans ma ville ce stade de réflexion n’a pas été atteint non plus. Un itinéraire piéton volontairement dépourvu d’éclairage « pour éviter les attroupements » vient d’y être ouvert. Certains trouveront immanquablement cet espace public, peuplé de rares ombres solitaires, effrayant la nuit. Cela au moment où le parti qui prospère sur la peur, l’extrême droite, enregistre des succès inédits, nous avons besoin de lumière.

Tokyo by night (Image par abdulla binmassam de Pixabay)

L’éclairage urbain, un enjeu de prestige ?
Au-delà du besoin, la charge symbolique de la lumière est omniprésente. A l’approche de Noël, les illuminations perpétuent une tradition millénaire. Lorsque, chaque année, les nuits s’allongent de manière inquiétante nous faisons ce petit geste en espérant que le soleil reprenne le dessus. Le palais des rois de jadis, Versailles, reste connu aujourd’hui encore pour sa débauche de lumière  affirmant richesse et puissance (cf. « Paris la ville lumière » !). Car l’éclairage et en particulier l’éclairage public a aussi une fonction ostentatoire. Une avenue éclairée est une marque de prospérité. En miroir, les quartiers qui se sentent délaissés voient le défaut d’éclairage public comme une marque de plus du manque de considération que leur accordent les gouvernants. Alors nous illuminons toujours d’avantage. Là réside le gaspillage. Il ne tient qu’à notre société d’exclure le besoin d’éclairage de sa perception de l’estime. Mais pour renverser un tel fait culturel, il faut savoir rassurer avec persévérance.

Les combats pour la biodiversité reçoivent souvent un écho contrarié dans les quartiers populaires. Ce sont des préoccupations de riches. Il serait trompeur de prétendre que nous sauverons le climat en nous éclairant moins. Nous sauverons tout au plus quelques chauve-souris. Mais pour changer de direction il faut être attentifs à tous ces watts que nous gaspillons à commencer par les plus visibles. Lorsqu’une conjonction fait coïncider les intérêts de la biodiversité et ceux des plus pauvres, il faut savoir s’en saisir pour faire évoluer les mentalités. Le temps des rois dans leur palais de Versailles est révolu, quand certains ne sont pas sûrs de se chauffer, nous devons nous passer de la fonction ostentatoire de l’éclairage.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 16/11/2022

 

Pour en savoir plus :

https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676844?sommaire=3696937

https://expertises.ademe.fr/professionnels/entreprises/performance-energetique-energies-renouvelables/lenergie-bureaux/dossier/leclairage/saviez

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1 commentaire

Cet article m’a éclairé et permis de relativiser sur l’impact co2 de nos illuminations, ce jour en pleine nuit qui nous parait si naturel.
Mais, comme vous le relevez, c’est d’écologique dont il est question avant tout.
Il est important de rallumer les étoiles, pour que nos enfants en aient encore au fond des yeux.
En plus de la perturbation de la faune animale nocturne, il y a également les végétaux, les arbres,les herbes, qui sont perturbés dans leurs cycles naturels. Allez, bonne nuit!

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