AU PAYS DES IRRESPONSABLES

Alors que le chef de l’État s'accorde deux aller-retour en quatre jours au Quatar pour 500.000 euros et 480 tonnes d'équivalent CO², des émigrants meurent noyés...

 

Démantèlement d’un campement (Photo « Help for Dunkerque »)

Avec l’hiver qui arrive, je ne peux m’empêcher de penser aux personnes qui survivent à la frontière franco-britannique : sur les camps informels de Calais et Grande Synthe.

De nombreuses autres personnes ont remplacé celles que j’avais rencontrées, et pourtant je peux imaginer leur même détresse et désespoir.

A Grande Synthe, où j’étais il y a 9 mois, les conditions de survie se sont encore détériorées et les associations qui agissent sur place : Utopia 56, Roots, Help for Dunkerque, woodyard, refugee Community Kitchen, Project Play, manquent de bénévoles.

Cet hiver encore, des milliers de personnes exilées survivent dehors : dans les rues de Calais ou de Grande Synthe, dans les camps informels les « jungle », ou dans les forêts ; parfois dans des tentes, ou bien seulement avec des couvertures à même le sol, tandis que les températures ont déjà atteint les -5 degrés la nuit.

Parmi eux, des centaines de mineurs isolés demeurent dans l’attente, sans accès aux droits fondamentaux que prescrit pourtant la loi. Ces jeunes sont victimes de violences, de l’exploitation sexuelle et du harcèlement quasi quotidien des forces de l’ordre. A Calais, les équipes de l’association Utopia 56 ont pu relever les identités d’au moins 138 de ces jeunes depuis juin 2022. Un chiffre qui n’est pas exhaustif. Chaque semaine, l’association les accompagne au commissariat pour que le lien avec l’Aide sociale à l’enfance soit fait. Toutefois dans 90% des cas, après des heures d’attente et de négociations, aucune solution de mise à l’abri n’est proposée, et les mineurs retournent dormir dehors. Parfois, malgré des confirmations préalables qu’il y a bien des places disponibles dans les foyers, les jeunes sont souvent refusés car considérés comme « non prioritaires ». Et lorsque par chance ils sont acceptés, d’autres mineurs se voient jetés hors du foyer.

Les départements ont pourtant l’obligation de protéger tous les enfants qui se trouvent sur leur territoire. Mais pour les jeunes exilés venant d’Afrique, la loi n’est pas respectée et c’est aux associations non mandatées de pallier ce manquement.

Rien, absolument rien, n’a changé depuis la mort de 31 personnes le 24 novembre 2021. Alors que leur embarcation prenait l’eau, ces femmes hommes et enfants avaient contacté les gardes cotes français à plus de 14 reprises.

« Ah bah t’entends pas, tu ne seras pas sauvé.

J’ai les pieds dans l’eau …

Bah je ne t’ai pas demandé de partir » lâche une opératrice lors d’un appel.

Ces vies perdues sont le résultat des politiques de stigmatisation et de déshumanisation portés par certaines personnalités politiques.

Un an après, l’histoire se répète : Le 14 décembre, 4 personnes sont mortes noyées dans la Manche.

Nous vivons dans un monde où ces vies humaines ne comptent pas. Et ce n’est pas en raison du « faible » nombre de morts dans la Manche, car tout comme les 6500 ouvriers originaires de pays pauvres, morts sur les chantiers des stades au Quatar, leurs vies n’ont tout simplement aucune valeur aux yeux de nos dirigeants et des ultra riches, qui sont : soit des exploitants, soit des complices de la commission de ces drames humains.

Des voies sûres et légales de passage seraient évidemment une solution pour empêcher la mort d’autres personnes, mais cela semble être un espoir vain pour le moment. Cependant, nous pourrions imaginer au minimum :

  • Que l’État cesse le démantèlement incessant, inutile et cruel des camps, dans la mesure où il ne sert qu’à briser le moral des gens, en les jetant dans un trou sans fond, sans les empêcher de reconstruire de nouveaux camps.
  • L’instauration d’un dialogue réel, raisonné et citoyen entre les associations non mandatées par l’État et les autorités.
  • Des mises à l’abri systématiques dans des gymnases, surtout lorsque les températures atteignent des valeurs négatives. Avant la dernière mise à l’abri à Grande Synthe, il aura fallu une dizaine d’appels aux différents services de secours pour déclencher des prises en charge de cas d’hypothermie par les pompiers et plus de 5 heures d’attente pour que quelqu’un prenne une décision. En effet, dans la tête de nos politiques une mise à l’abri doit se « mériter »
  • Que l’État apporte une aide matérielle, humaine et financière et se joigne aux associations afin d’assurer une prévention efficace aux dangers de la traversée. La réalité est telle que les secours en mer et forces de l’ordre se renvoient toujours la balle, appellent les associations déjà débordées nuit et jour, afin qu’elles s’occupent elles seules des personnes en danger.

Tout cela se passe dans un climat détestable : nous vivons dans un pays où tout ce qui permettrait aux futurs citoyens de réfléchir par eux-mêmes, de s’émanciper, de faire preuve d’empathie et de se construire une culture citoyenne et humaniste est mis à mal par l’extrême droite. Ainsi une enseignante qui portait un projet éducatif intitulé « exil et frontières » s’est vue menacée par des militants du parti Reconquête, et son projet a été annulé.

Il est encore temps d’agir et de nous battre pour la dignité de ces êtres humains, avant qu’il ne soit trop tard, et que nous regrettions notre inaction et notre lâcheté.

Dans quelques années la France à son tour, sera dans l’obligation de présenter ses excuses pour les mauvais traitements infligés, comme vient de le faire le premier ministre néerlandais Mark Rutte pour la traite humaine pratiquée par les Pays-Bas durant 250 ans.

Les excuses, même formulées avec toute la bonne foi du monde, n’effacent cependant jamais ni les morts ni les souffrances.

Lena Waag pour le Clairon de l’Atax le 20/12/2022

 

 

 

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1 commentaire

catherine Schmitt

Bravo !!

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