Projet d’″Eco quartier La Sagne″ : un passage en force ?

ZAC de la Sagne à Gruissan : un projet d'Eco quartier qui n'a pas fini de faire débat

Dans notre N°   de juin 2023 (1) le « Clairon » avait relayé les arguments de Greenpeace Narbonne contestant le bien-fondé du projet de la Mairie de Gruissan de construire un nouveau quartier de 830 logements impactant un terrain agricole de 43 hectares de terres agricoles et de zones humides protégées.
Le 21 novembre 2023, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable à la déclaration d’utilité publique du projet. Le « Clairon » a rencontré à nouveau Christiane Sauri.

Le panneau indiquant le site de l’ Eco quartier (photo HR)

Les procédures administratives qui encadrent ce type d’opération

Un projet de cette ampleur nécessite une autorisation spéciale de l’État. En effet, de nombreux propriétaires de terrains dans l’emprise du projet s’opposent vigoureusement au projet. Pour qu’ils puissent être forcés à vendre leur terrain, le projet doit être déclaré d’utilité publique. Pour obtenir cette autorisation un dossier doit être réalisé par la commune. Il comprend un descriptif détaillé du projet justifie sa conformité aux diverses réglementations en vigueur ; il implique des modalités d’information et de consultation de l’ensemble des parties concernées et notamment la tenue d’une enquête publique, ouverte à toutes les personnes désireuses de donner leur avis. Un commissaire enquêteur, nommé par le Tribunal administratif et réputé indépendant des parties concernées, est chargé de veiller à l’information du public et à la bonne marche de cette enquête, de donner son avis sur son résultat et plus généralement sur l’ensemble du projet. Cet avis constitue une aide à la décision pour les services de l’État.

Les résultats de l’enquête publique sur le projet d’″Eco quartier La Sagne″

Ce sont 5352 personnes qui se sont exprimées à l’occasion de cette enquête. Une telle participation est plutôt rare pour une commune dont la population municipale était de 5131 habitants en 2020.
Le décompte détaillé réalisé par Greenpeace fait état de 4991 personnes défavorables au projet (94%), 310 favorables (6%). Sont exclus 31 doublons + 20 qui ne se prononcent pas. (2) De son côté le commissaire enquêteur a retenu dans son rapport 327 avis favorables et 5076 avis défavorables, car il n’a pas tenu compte des doublons et des personnes qui ne se prononcent pas.

Une surprenante exploitation des résultats de l’enquête publique par le commissaire enquêteur (CE)

Dans son analyse des résultats de l’enquête publique le CE distingue les avis inscrits sur le registre papier accessible en mairie et les avis formulés sur le registre dématérialisé accessible sur internet. Ce distingo est repris par la mairie porteur du projet qui développe un argumentaire en 3 points :

  • 1°) les avis déposés sur le registre dématérialisé sont contestables parce que provoqués pour un nombre important d’entre eux suite à l’incitation d’un média écologiste dénonçant le projet 
  • 2°) il y a eu désinformation des participants à qui on a fait croire qu’un vote en faveur du projet était un vote en faveur de l’expropriation des propriétaires de terrains sur le site de la ZAC alors que l’expropriation n(était pas l’objet de l’enquête.
  • 3°) beaucoup d’avis exprimés sur le registre dématérialisés sont anonymes

Dans son commentaire le Commissaire enquêteur exprime son accord avec les remarques de la mairie et affirme en substance qu’il ne tiendra pas compte des avis qu’il soupçonne avoir été provoqués par l’appel à contribution de ce média.
On peut remarquer :

  • Que la mission du commissaire enquêteur est d’entendre tous les avis exprimés. Il ne peut écarter que les avis hors-sujet.
  • Que cette position ne repose sur aucune preuve matérielle mais sur l’intuition du CE
  • Que le nombre de contributions jugées douteuses n’est pas précisé et uniquement située dans les avis défavorables
  • Que le CE entérine une affirmation erronée de la mairie ; si le projet est déclaré d’intérêt public, il ouvre bien la voie à l’expropriation la mission du commissaire enquêteur est également de fournir une information exacte

Devant un tel traitement d’une enquête publique Greenpeace s’interroge sur le rôle et l’aptitude du Commissaire enquêteur à traiter un tel dossier.

Désignation du commissaire enquêteur : les bonnes pratiques ont-elles été suivies ?
La liste d’aptitude, au sein de laquelle a été sélectionné le commissaire enquêteur compte 35 membres. Ce vivier permet d’assurer une rotation. Il évite ainsi que ne se crée une proximité entre le porteur de plusieurs projets et le commissaire enquêteur. Ici, Greenpeace dénonce la nomination d’un commissaire enquêteur venant de terminer une enquête pour la commune de Gruissan. L’association dénonce également la préférence affichée par le commissaire enquêteur pour le porteur de projet plutôt que pour ses opposants pendant la réunion d’information.

L’impact de l’avis du commissaire enquêteur sur la décision de l’État

Le commissaire enquêteur a émis un avis favorable assorti d’une réserve. Émettre une réserve n’est pas anodin. L’avis est réputé défavorable tant que la réserve n’est pas levée. Ici, le commissaire enquêteur demande simplement l’allongement de la durée des mesures compensatoires. Cette réserve apparaît comme essentiellement symbolique et sa levée ne devrait présenter aucune difficulté. Une réserve peut être utilisée pour pousser le porteur de projet à améliorer le projet plus significativement.
L’autorité décisionnaire reste cependant ici le préfet. Il n’est pas lié par l’avis du commissaire enquêteur.  Cependant, un avis défavorable de celui-ci ou une réserve non levée ouvre des voies des recours si il n’est pas suivi par l’autorité décisionnaire.
Enfin, l’avis du commissaire enquêteur est pris en compte par le tribunal administratif en cas de litige.
Au delà de l’aspect purement juridique, l’usage veut que l’avis du commissaire enquêteur compte.
L’avis favorable, gageons que la réserve sera levée, du commissaire enquêteur est donc une excellente nouvelle pour la mairie de Gruissan et son aménageur.

La contestation de l’avis du CE par les opposants au projet

Greenpeace, en coordination avec l’association d’opposants S.A.G.N.E et le collectif des propriétaires étudie les suites juridiques à donner au dossier. Les opposants voient dans l’attitude du commissaire enquêteur un défaut d’impartialité qu’ils entendent dénoncer.
La contestation contre ce projet est singulière du fait de l’opposition des propriétaires fonciers. Habituellement, les propriétaires fonciers sont ravis de voir leurs terrains construits en échange d’une somme rondelette. Ici, ceux qui ont jusqu’ici refusé de vendre affirment tenir au caractère agricole du périmètre. L’aménageur s’efforcera néanmoins vraisemblablement de réduire leur nombre en offrant davantage.

La décision préfectorale sur le projet n’est pas encore connue. Les opposants pensent néanmoins que le poids politique de Didier Codorniou, maire de Gruissan, devrait suffire à convaincre le représentant de l’État de lui accorder ses faveurs.

Sauf retournement de situation, c’est cette décision que les opposants prévoient d’attaquer en mettant en cause l’enquête publique.
Ils comptent dénoncer notamment

  • la partialité du commissaire enquêteur ;
  • les informations erronées délivrées par celui-ci sur le risque d’expropriation ;
  • son refus arbitraire de prendre en compte certains publics.

Pour se faire, les opposants auront besoin de financement et appellent à être soutenus.
Au-delà, les représentants de Greenpeace ont prévenu le sous-préfet de Narbonne de l’hypothèse de voir leur lutte déboucher sur une Zone À Défendre (ZAD). Les représentants de l’État sont très attentifs à prévenir l’émergence de ce type de lieux dont le démantèlement ne manque jamais de provoquer des polémiques et surtout de coûter des carrières.

En conclusion

L’État doit décider du chemin emprunté. Un représentant de l’État médiocre se focaliserait sur l’impact pour sa carrière. Mécontenter un politicien influent serait préjudiciable, mais voir émerger une ZAD présenterait aussi des risques. Les opposants sont convaincus que ce n’est pas le calcul qui sera fait dans l’Aude. Un représentant de l’État, digne de sa fonction, évaluera le projet. Alors il constatera que le concept d’écoquartier ne correspond pas au projet proposé et que l’aménageur retenu n’a jamais rien construit qui pourrait s’approcher d’un tel label d’excellence. Mais malgré leurs espoirs, ils accepteront vos dons pour préparer une autre éventualité

La rédaction du Clairon le 20/12/2023

 

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Notes
  1. https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2023/06/23/greenpeace-narbonne-lutte-contre-le-projet-immobilier-de-la-sagne-a-gruissan/[]
  2. voir analyse détaillée du résultat communiquée par Greenpeace[]
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Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

2 commentaires

Gardons la note d’espoir formulée en conclusion.

Merci de cette remarque, en effet gardons espoir. Il sera intéressant de voir ce qui se passe actuellement en Argentine où beaucoup d’électeurs s’aperçoivent déjà à quel point ils ont été abusés par Milei qui ne fait pas du tout ce qu’ils espéraient. Si cela se confirme et s’étend voilà de quoi argumenter contre les promesses du RN qui se révèlera loup dans la bergerie une fois au pouvoir

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