Le Rec de Veyret à Narbonne : un enjeu d’urbanisme et d’aménagement (suite)

Entourée de collines couvertes d’une végétation méditerranéenne, la ville de Narbonne est non seulement exposée aux risques d’incendie, mais aussi aux inondations brutales, déclenchées par des épisodes pluvieux aussi soudains que massifs qui peuvent créer de graves problèmes d’écoulement. Les « rec » désignent  en langue locale de petits ruisseaux, qui strient les bassins versants. Souvent à sec en été,  ils se transforment parfois, suite des épisodes de forts orages, en puissantes rivières qui dévastent ce qui se trouve sur leur passage.
Le rec de Veyret traverse la partie ouest de la ville de Narbonne. Celle-ci  comprend des zones  d’activités économiques et des zones  d’habitat individuel et collectif. Un projet d’aménagement du rec est en cours, il vise à protéger Narbonne de ses crues.
Cet article est la suite de celui paru dans notre édition 79 (1)

La rédaction du Clairon de l’Atax

 

Barrage à Montredon, la concertation s’est mal passée.

 

Un projet, évalué à 30 millions d’euros (octobre 2021), propose de construire plusieurs ouvrages écrêteurs de crues pour protéger la ville de Narbonne d’une crue centennale du rec de Veyret. La commune voisine de Montredon des Corbières a exprimé massivement lors d’une consultation publique son refus d’accueillir l’un de ces ouvrages. Chronique d’une concertation publique sans garant.

Vue panoramique du site retenu pour le barrage de Montredon (Photo D. Vexenat)

Les modèles hydrauliques ont confirmé depuis 2002 que malgré les travaux précédemment engagés, 8500 narbonnais et 200 entreprises vivent sous la menace d’une crue centennale de ce petit ruisseau. En 2013, le Syndicat Mixte du Delta de l’Aude (SMDA), porteur du projet, faisait réaliser une première étude. Celle-ci concluait à la nécessité de réaliser des ouvrages écrêteurs de crue, tous sur la commune de Narbonne, et d’effectuer des recalibrages en aval. Le projet était alors évalué à 10 millions d’euros. D’autres solutions, techniquement réalisables, avaient été écartées pour leur coût supérieur. Le public était informé par des articles sporadiques dans la presse et par les publications sur les sites internet du porteur de projet et du Syndicat Mixte des Millieux Aquatiques et des Rivières (SMMAR) qui l’appuie techniquement. Le calendrier du projet était rythmé par les Programmes d’Actions de Prévention des Inondations (PAPI). Mais le projet ne put être soumis au PAPI II (2015-2020). Le projet resta flou pour le public.
A l’approche du PAPI III, la rumeur enfla à Montredon-Corbières. Le projet aurait évolué, le barrage devait être hors de la commune, entre l’autoroute et les carrières. Il serait désormais à l’entrée du village, barrant la vallée du Castellas sur 17 m de haut, là ou se situe le château en ruines qui marque l’entrée des Corbières. Ce fut un sujet majeur des élections municipales. Seul de l’agglomération à subir ce sort, le maire sortant perdit les élections dès le premier tour et fut remplacé par un édile ouvertement opposé à cet ouvrage, Mr Jansana. Nous étions le 15 mars 2020. Ses efforts pour peser sur le projet furent vains. Le calendrier avançait et de nouvelles études furent commandées.

Le 15 juin 2021, le SMDA initiait une opération de communication massive sur le projet. Le montant était alors évalué à 20 millions d’euros. Une conférence de presse se tint ; un site internet fut mis en ligne et 3000 quatre-pages furent distribués. Lors d’une première réunion publique à Narbonne, en juillet, le coût était évalué à 25 millions d’euros. En tribune, les porteurs de projet déroulèrent une belle présentation agrémentée de cinématiques. Les projets d’urbanisme, puis l’ouvrage écrêteur de crue de Montredon s’invitèrent dans les débats. Les oppositions furent promptement balayées. La question d’une alternative consistant à élargir le rec à l’aval fut également posée. Si les supports de communication étaient bien réalisés, ils n’apportaient pas de justifications, même sommaires, pour les choix retenus. Le site internet du projet relaya ensuite chacune des questions posées en apportant à chaque fois une réponse.

 

Réunion publique de Montredon du 29 septembre (Photo HR)

Le 29 septembre 2021, Mr Jansana, accueillit une seconde réunion publique dans sa commune de Montredon. Le dispositif était très différent. Sur l’estrade se faisaient face les porteurs de projet et les opposants. Le maire avait fixé ses règles. Le même temps de présentation pour chacun des deux camps et il se chargeait de la modération.  Cette fois, la facture du projet avait grimpé à 30 millions d’euros. Des vues inédites des ouvrages en 3 dimensions furent présentées pour étayer la présentation du SMDA. En face, Mr Bories de l’association Rubresus avait collecté avec minutie l’intégralité des éléments rendus public sur le projet et proposé une présentation moins superficielle des enjeux. Il était accompagné des membres du collectif pour la protection et l’aménagement du Rec de Veyret (COPAREC). Le public affichait son hostilité au barrage à l’exception notable des propriétaires de l’emprise des travaux. Les interventions étaient pour la plupart constructives. Le sentiment général était de devoir payer pour les excès de gourmandise urbanistique de Narbonne.
L’autre grand sujet de la soirée était la consultation citoyenne qu’organiserait l’équipe municipale de Montredon le 17 octobre. Les administrés seraient invités à se prononcer pour ou contre le projet d’ouvrage porté par le syndicat mixte du delta de l’Aude. Une habitante demanda à Mr Pociello, président du SMDA, ce qu’il se produirait en cas de rejet du projet par le population. Mr Pociello lui répondit que c’étaient les élus qui décidaient in fine. Cette réponse provoca une bronca. L’un voulant savoir qui étaient ces élus et par qui ils avaient été élus. L’autre s’indignant d’un tel dédain pour la volonté populaire. Le jour de la consultation des habitants 36 % des Montredonais se déplacèrent pour ce scrutin dépourvu d’enjeu. Ils furent plus nombreux qu’aux élections départementales.et le résultat fut net : 92,4 % votèrent contre le projet du SMDA.

Deux légitimités démocratiques sont entrées en collision ce soir d’octobre. L’une comme l’autre sont imparfaites. D’un coté des élus venus d’ailleurs appelés à gérer ce dossier par un jeu obscur d’attribution de prébendes. De l’autre des citoyens mal informés, car ne disposant que des rares informations publiques, invités à se prononcer sur une question à l’alternative indéfinie. Ce genre de conflit frontal peut difficilement se résoudre dans la concorde. Le porteur de projet, pressé par le temps choisira le passage en force et l’opposition, sûre d’être soutenue, s’enhardira. Pourtant ce n’était pas une fatalité au départ. Le SMDA voulait organiser une opération de communication. Il aurait dû organiser un débat public avec un garant indépendant afin de désamorcer les malentendus. Il  n’est peut être pas trop tard ?

Le surlendemain de la consultation, les associations d’opposition au projet furent reçues au SMDA. Face au président, à ses vice-présidents et ses techniciens, Mr Bories énuméra d’autres options de rétention des eaux en amont. Les représentants du SMDA s’agacèrent vite. L’absence d’un modérateur se fit durement sentir sur la qualité de la discussion. Le mot qui fut le plus répété pendant l’échange fut « mépris », ce qui est un marqueur indéniable d’un dialogue qui ne s’établit pas.. Les interventions de Mr Bories occupèrent l’essentiel du temps de parole (2). Face à lui, les techniciens refusaient de prouver leurs affirmations en partageant le résultat des études. Leurs réponses étaient cohérentes mais ne semblaient jamais complètes.

(De l’intérêt de la présence d’un garant dans les débats. Lorsque les échanges sont tendus et que les conditions d’un échange fructueux ne sont plus réunies, le garant peut jouer un rôle de médiateur et tenter de rétablir le dialogue entre les parties prenantes en favorisant l’écoute et la compréhension mutuelle.)

Les techniciens lâchèrent quelques chiffres qui n’avaient jamais été rendus publics. Celui qui provoqua la plus grande surprise fut la capacité maximale du réservoir de Montredon. Celui-ci serait conçu pour être capable de retenir jusqu’à une crue d’occurence 3000 ans. Une crue centennale est une crue d’occurrence 100 ans. Les ouvrages écrêteur de crue sont par principe toujours surdimensionnés. Mais sans avoir accès aux études, il est impossible de juger si ce choix est exagéré. Par contre, en termes de communication, face à des opposants dont le principal reproche est justement le surdimensionnement apparent de cet ouvrage cette réponse n’a fait que renforcer des certitudes.

(Un garant peut demander la production de tout document d’information complémentaire ou la mise à disposition de données)

D’autre part, les techniciens du SMDA révélèrent que le coût estimé du barrage de Montredon, y compris les deux kilomètres de route taillée dans la colline, était de 12 millions d’euros. Un kilomètre de route départementale coute en moyenne 2 à 5 millions d’euros selon l’union syndicale Routes de France. La valeur choisie est donc dans une fourchette basse. Et questionné sur le risque de présence de cavités sous les ouvrages, le technicien a promis que des études seraient faites. Donc pour le moment les études n’ont pas été faites. Or les coûts ont une fâcheuse tendance à grimper à mesure que les études s’affinent. Il faut sans doute se préparer à ce que l’envolée des coûts constatée ces derniers mois se poursuive.

(Un garant assure que l’information transmise au public est facilement compréhensible et reflète la réalité des faits et des connaissances.)

Le choix de privilégier des barrages écrêteurs de crue a été retenu, à l’origine, pour leur coût compétitif. Cet argument se révélant fragile, il convient d’étudier les autres options. Celle de l’élargissement à l’aval est la plus évidente. L’estimation du coût de la réfection du pont de l’avenue Général Leclerc par le SMDA est de 10 millions d’euros. Ce coût était évidemment rédhibitoire quand l’option avec les ouvrages écrêteurs de crue était évaluée à 10 millions d’euros. Ce n’est plus le cas. Aussi laborieux qu’il ait été, l’échange avec les représentants du SMDA a permis de révéler que cette option n’avait pas fait l’objet d’un scénario d’étude.

(Le garant rédige un bilan de la concertation. Celui-ci permet au porteur de projet de valoriser sa démarche lors de l’enquête publique.)

Ne serait-il pas sage de faire une pause dans le calendrier de ce projet et de reprendre la réflexion avec toutes les parties concernées, sur les enjeux de ce projet et les différentes solutions qui y répondraient au mieux ?

Laurent Fabas le 20/10/2021 pour le Clairon de l’Atax

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Notes
  1. https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2021/09/23/le-rec-de-veyret-a-narbonne-un-enjeu-durbanisme-et-damenagement/[]
  2. l’argumentation de Monsieur Bories est résumée dans le Flyer diffusé par Coparec et Rubresus : Flyer 4p COPAREC RUBRESUS []
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