Greenpeace Narbonne lutte contre le projet immobilier de La Sagne à Gruissan

Un projet très contesté sur des terres agricoles fertiles et protégées

La municipalité de Gruissan porte un projet de zone d’aménagement concertée (ZAC) de 830 logements impactant 43 hectares de terres agricoles. Le projet, qualifié d’écoquartier par ses promoteurs, nourrit une vive opposition. Le Clairon de l’Atax a rencontré Christiane SAURI, référente de la lutte locale « La Sagne » et Zohra FONFRIDE, coordinatrice du groupe local.

En juin 2015, le Maire de Gruissan, 4996 habitants, envisage un projet de 1400 maisons individuelles sur les 43 hectares du site de la Sagne. Ce projet sera revu à la baisse en 2020 à 830 logements en collectif et individuel sur 31,5 hectares pour intégrer notamment les enjeux environnementaux. Les chiffres changent régulièrement. Le début de la construction des 400 premiers logements est prévue pour 2025.

Dispositif signalétique annonçant le projet d’écoquartier de la Sagne.
On remarquera à droite que le BTP local a déjà préempté les lieux (photo HR)

Une opposition résolue

Des propriétaires, des usagers, des riverains s’opposent au projet et revendiquent une action citoyenne contre la bétonisation du secteur de la Sagne. Ils constituent l’association S.A.G.N.E. : Sauver, Aimer, Garder Notre Environnement. A leurs côtés, Greenpeace Narbonne fait front.

Par sa taille, le projet est de nature a avoir un impact majeur sur la commune. Il pourrait accroître sa population de plus de 50 %.

Le seul titre de presse régionale semblant acquis au projet, ils multiplient les actions pour faire connaître leur lutte par d’autres biais. Ces actions se composent de manifestations avec des slogans inspirés comme : “oui aux poivrons, non au béton” et ” oui aux légumes, non au bitume” ; et d’une bataille juridique qui les a menés devant la cour administrative d’appel de Toulouse le 1er juin.

Cette action contre la révision du Plan Local d’urbanisme (PLU) s’appuie notamment sur le grand nombre d’avis défavorables exprimés lors de l’enquête publique et à l’occasion d’une participation par voie électronique dédiée.

Balayant ces critiques lors d’un conseil municipal, le Maire affirmait que sa réélection constituait une validation de ce projet par ses administrés.

Un patrimoine agricole menacé

Le site de la Sagne se distingue dans le territoire gruissanais par la présence d’eau douce à quelques mètres de profondeur. Le littoral audois est marqué par la présence d’étangs salés et de marais saumâtres. L’eau douce y a toujours été une ressource rare et précieuse. Son abondance à La Sagne en a fait une zone horticole alimentant le village de Gruissan. Plus de quarante puits, parfois pluri-centenaires parsèment le site. Certains d’entre-eux présentent une architecture remarquable. Certains sont pourvus d’un escalier menant à d’impressionnants bassins sous voûte, enterrés.

L’eau et des siècles de travail des jardiniers gruissanais ont produit une terre agricole remarquablement fertile qui fait figure de rareté sur la commune. 52 jardins familiaux exploités depuis le XVIème siècle occupent aujourd’hui 5 hectares environ. Le projet prévoit de n’en conserver seulement que 0,58 hectares.

D’autre part, 24 hectares de La Sagne sont classés en cru Corbières caractérisant des terres sélectionnées pour la qualité des vins qui en sont issus.

Des enjeux écologiques sous-estimés

La Sagne est le nom vernaculaire d’un roseau commun (phragmitis australis) qui se développe dans les zones soumises à des variations du niveau d’eau. Ainsi, le site est une mosaïque de zones humides, de jardins potagers, de vignes et de prairies et est extrêmement riche en faune et en flore.

L’avis du 24 février 2023 du conseil national de protection de la nature (CNPN), une institution rattachée au ministère de la transition écologique, est accablant pour le projet. Son avis unanimement défavorable disqualifie le projet point par point, depuis la méthode de concertation jusqu’au label écoquartier.

Le site projet se trouve au sein d’une Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2. Parmi les espèces les plus remarquables, le CNPN cite le Lézard ocellé, très représenté sur la zone, l’Ophrys bombyx, la Pie-grièche à tête rousse, le Criquet des dunes et une importante population de Magicienne dentelée. Le cortège d’oiseaux, de reptiles (9 espèces protégées), de chiroptères (16 espèces protégées) et d’orthoptères est particulièrement riche.

Greenpeace pointe tout particulièrement l’avis sur les mesures de compensation du CNPN. Celui-ci relève plusieurs manquements importants. Le projet néglige certains types d’habitats, souffre de lacunes dans l’établissement de l’état initial, propose des mesures sur des surfaces et durées insuffisantes et se montre flou sur les terrains choisis pour être protégés. L’institution rappelle qu’un hectare de restauration d’habitat très dégradé n’est pas équivalent à un hectare en gestion d’espace naturel.

Le site est situé dans le Parc Naturel Régional (PNR) de la Narbonnaise dont le président est justement le maire de Gruissan. Or le PNR est susceptible de bénéficier de financement pour les actions liées aux compensations écologiques du projet d’urbanisation de la commune. Greenpeace dénonce le mélange des casquettes permettant à un même élu de gérer des financements déclenchés par des dégâts qu’il cause à la biodiversité.

Un label écoquartier trompeur

Greenpeace dénonce aussi l’utilisation indue du label écoquartier. Celui-ci, créé en 2012 contient 4 phases et 20 engagements.  Ce label n’est pas protégé : la pratique des aménageurs est de se prévaloir de suivre la démarche prescrite et de l’afficher pendant toute la phase de conception et de commercialisation du projet. Ce n’est que plus tard que les résidents apprennent que le quartier n’a finalement pas été certifié.

En France, depuis 2012, sur 380 opérations en phase 1 de la labellisation écoquartier, seules 9 sont titulaires du label étape 4.

Dans le cas de La Sagne, pour Greenpeace, l’issue ne fait aucun doute. Le projet artificialise des sols, détruit des espaces agricoles, est préjudiciable à la faune et la flore, induit du trafic routier et se désintéresse des énergies renouvelables. Il s’agirait d’un projet d’urbanisation même particulièrement mal pensé. Très loin de l’image arborée et conviviale d’un écoquartier, “sillonné par des tramways”… L’espace central est occupé par un parking et rien ne garantit que lorsque les arbres promis par les brochures auront grandi, ils soient toujours entretenus. Quant au vivre-ensemble, les logements sociaux sont alignés le long de la route départementale et seront très reconnaissables, ce qui ne devrait pas manquer de créer des barrières invisibles au milieu du quartier.

Greenpeace est catégorique : les engagements du label ne sont pas respectés par le projet de La Sagne : l’appellation « écoquartier » est donc abusive et volontairement trompeuse.

Une stratégie sans horizon

L’un des arguments sur lesquels s’appuie la municipalité pour justifier de la nécessité du nouveau quartier est la conformité aux normes qui s’imposent à la commune. Le Schéma de Cohérence et d’organisation du Territoire (SCoT) consacre l’extension de Gruissan. Le programme local de l’habitat (PLH) prévoit la production de 440 logements sociaux pour répondre aux objectifs de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU). Or ces documents ont été modifiés justement à la demande de la municipalité pour intégrer le projet immobilier de La Sagne. Pour Greenpeace, le procédé est déloyal. La commune disposait d’une dérogation à la loi SRU tant qu’elle ne s’étendait plus. En choisissant de s’étendre, la dérogation tombe et la commune doit construire les logements manquants.

Ces documents sont conçus pour encadrer l’action des élus. En pratique, ils orientent surtout l’action des élus les moins influents. Les élus pour lesquels le rapport de force est favorable y font inscrire ce qu’ils désirent. Le Maire de Gruissan est très influent.

Greenpeace questionne le lien entre accroissement démographique et prospérité. Le modèle économique départemental est celui d’une fuite en avant. Le secteur de la construction apporte de l’emploi mais doit être sans cesse nourri par de nouvelles constructions. A l’heure ou la problématique de l’eau devient aiguë, ce modèle n’est pas tenable. Greenpeace dénonce l’absence de plan à moyen terme à l’échelle de l’agglomération du Grand Narbonne. Les documents de planification prolongent les courbes sans questionner les dynamiques.

Les extensions urbaines sont purement résidentielles et négligent la question de l’emploi. Ce n’est pas un problème pour les retraités ou pour ceux qui investissent dans une résidence secondaire, nombreux à Gruissan.

Mais les publics précaires bénéficiaires des logements sociaux seront bien en peine de trouver des emplois hors de la saison estivale. Le projet de La Sagne, loin de répondre aux maux de Gruissan risque de fixer une population précaire loin du principal pôle d’emploi.

Toujours plus de voitures

L’activité économique est centrée sur Narbonne à 15 km. Le projet est de nature à augmenter le nombre de déplacements entre Gruissan et Narbonne. Il prévoit un pôle d’échange multimodal pour absorber ce surplus. Greenpeace n’est pas convaincu. Les transports en commun dans le Grand Narbonne sont notoirement peu efficaces. Rien ne laisse soupçonner que la création d’un nouveau quartier soit de nature à révolutionner les modes de déplacement.  Les extensions urbaines qui fleurissent dans de nombreuses communes de l’agglomération ne font que saturer davantage les axes routiers.

Greenpeace estime l’accroissement dû au projet de la circulation sur l’axe Gruissan-Narbonne à 1730 véhicules/jour. Une offre de transport en commun dont la constitution semble chimérique.

Ce projet va à l’encontre des objectifs en matière de sobriété énergétique, en accroissant la dépendance à la voiture et l’éloignement des commerces, et contredit ainsi la stratégie nationale bas carbone.

La municipalité fonde son argumentaire en faveur du projet sur la nécessité de loger les jeunes gruissanais forcés à l’exil par l’augmentation des prix et des loyers. Cette problématique est l’une des facettes de l’attractivité touristique. Le projet de La Sagne le réglera peut-être pour un temps. Le problème resurgira pour la classe d’âge suivante. Si au lieu de repousser les problèmes, nous essayions de les résoudre ?

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 22/06/2023

 

Pour en savoir plus

L’avis du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) :
https://www.avis-biodiversite.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023-01-29x-00014_zac_ecoquartier_de_la_sagne_guissan_11.pdf

 

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4 commentaires

J aurais aimé arriver en train a Narbonne et trouver un transport en commun pour aller a Gruissan mais c est impossible .il n existe surtout en hiver que le bus du matin et du soir complet avec les scolaires . De ce fait je m oblige à conduire bien qu en prenant de l age ,ça ne sera plus possible un jour . Je trouve cela bien dommage ,d autant que se garer dans Gruissan est également difficile a certaines périodes de l annee

Merci de votre commentaire, cordialement Pour le Clairon H Reys

Loger les jeunes de la commune. Le Maire aurait du y penser dès sa première élection en 2001 ! Mains non ils a laissé se construire des hlm de luxe qui rapportent bien plus. Son envie de détruire est à la hauteur du gain espéré

merci de votre commentaire, il manque une stratégie globale du Grand Narbonne en matière d’urbanisme et d’habitat….

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