Le virus au théâtre : une tragi-comédie ?

 

La rédaction du Clairon de l’Atax a le plaisir de vous présenter un texte d’amour. D’abord d’amour pour le spectacle vivant, mais bien au delà et plus fondamentalement, pour ce qui nous met en présence les uns des autres, là où se transmet et se partage de l’émotion. Peut-on exister sans ces rapports à l’autre ?

La rédaction

Un spectacle du Théâtre de Ségure à Tuchan Corbières (Photo …)

Non, impossible de s’y résoudre, ce n’est pas un virus, fût-il coriace, qui renversera trente siècles et plus de spectacle vivant sur cette planète. Les antiques théâtres qui la parsèment, ces arènes, ces odéons, ces salles à l’italienne, ces auditoriums, ces théâtres modernes, ces zéniths m’en sont témoins, ils ne vont pas devenir du jour au lendemain obsolètes, néfastes, dangereux.
L’incomparable partage de l’émotion que l’on peut vivre dans un lieu de spectacle va évidemment perdurer sans que l’on ait besoin de se tenir à deux mètres du voisin. On ira toujours s’asseoir tout à côté d’un ou d’une autre passionné(e) de spectacle pour goûter sa sensation inimitable sans être obligé(e) de se masquer. Les acteurs sur le plateau ne seront pas obligés de faire de même, sauf à jouer Goldoni ou les Précieuses Ridicules…(1)

Ces quelques lignes ne sont pas un vœu pieu ni même un rêve à oublier désormais. Elles ne sont destinées qu’à expliquer que ce qui est décrit ci-dessus entre dans la définition même du spectacle vivant. Sinon, il ne l’est pas.

Il est vivant parce que devant vous, à quelques mètres, des artistes vous expriment directement par leurs corps, leurs voix, leurs regards, leurs silences, leurs non-dits, bref tous leurs sens et leurs intelligences, ce que vous allez, vous, recevoir au même instant et par les mêmes canaux pour devenir, vous aussi, un ou une initié(e). Que tout ceci s’appelle le partage de l’émotion et qu’il est tout simplement inhérent au spectacle vivant. Il en est même l’élément essentiel et non négociable.

Il a toujours existé depuis que l’homme se rassemble en groupe pour fêter, célébrer, entendre, voir et il ne pourra disparaître qu’avec la disparition de l’espèce humaine.

Ce qui doit s’effacer ici, ou céder la place, ce n’est pas la façon de se rassembler mais la cause même de l’interruption des rassemblements. En d’autres termes, le virus ne peut pas gagner cette bataille. Il doit être vaincu. Et si jamais nous devions vivre avec, c’est lui qui devra respecter des barrières à ne pas franchir.

J’en vois déjà qui sourient en lisant ces mots. Le virus se fiche bien d’une telle affirmation stupide…

J’ai pourtant utilisé à dessein le mot barrière, parce qu’on nous en gave en ce moment avec les fameux gestes barrière. Je l’ai utilisé pour exprimer que la barrière ne doit pas, ne peut pas se faire à l’intérieur du théâtre, entre acteurs et spectateurs ou entre spectateurs entre eux, mais à l’extérieur de ce théâtre, avant que le public n’y entre.

D’accord, me direz-vous, on fait comment ? On ne le sait pas en détail à ce jour mais il est certain que là réside la solution, quelle qu’elle soit.

Puisque nous devons vivre avec ce virus – comme homme de théâtre et amateur de farces je n’en suis pas convaincu et pense qu’il peut disparaître ne serait-ce que pour se moquer un peu plus de certains experts – laissons-le donc à l’entrée ! Les animaux, même ceux qu’on aime le plus, ne sont pas admis non plus, sans que cela ne choque. A fortiori, un mauvais virus ne doit pas s’imposer ici. Stop ! C’est fermé pour toi mon coco.

Tu resteras dehors parce que nous, le public, allons tout d’abord prendre l’engagement moral de ne pas contaminer les gens lorsque l’on est atteint, en nous abstenant provisoirement. Ce comportement altruiste résoudra moult problème. Allez-vous au théâtre quand vous toussez à fendre l’âme de quiconque ? Non, bien sûr. Développons ainsi ensemble les règles à respecter, pourquoi pas ?

Ceci n’est pas une boutade ou un jeu de mot naïf mais un impératif sans lequel le spectacle vivant risque fort de se retrouver effectivement mourant ou sous la coupe de gens qui n’y comprennent rien, la technocratie par exemple, ce en tous cas jusqu’à l’arrivée du vaccin. Sachant de plus qu’une fois ce dernier trouvé et répandu, un autre virus pourra apparaître et l’histoire recommencer…

Mais constatons dès aujourd’hui qu’un baiser fougueux sur le plateau entre deux acteurs masqués, une scène d’amour en combinaison de caoutchouc stérile, des couples de spectateurs ne pouvant se prendre par la main pour partager l’émotion, tout cela est une vaste mauvaise plaisanterie.

Comme le décrivait superbement Federico Fellini, le rituel du spectateur qui se prépare pour sortir et passer de l’espace privé à un espace social et convivial, c’est aussi cela le charme discret du spectacle vivant.

Une fois sur place, la distanciation physique dont on nous rebat les oreilles n’a donc plus aucun sens, voilà qui est démontré. Au contraire, la promiscuité est au cœur du miracle du spectacle, elle en est consubstantielle.

Que les cinéphiles partagent également ce point de vue, il est facile de l’admettre. Qu’on nous pardonne ici d’avoir plaidé pour la famille du théâtre, mais elle est extensible. Bienvenue !

On peut d’ailleurs en élargir le champ, comme disait Jean Vilar. Dites-nous alors que vous serez aussi heureux de vous retrouver à 250 000 personnes rassemblées sur un lieu pour goûter la bière de Munich, le foot de Barcelone, le Tour de France ou le festival de Woodstock. Vous l’aurez bien agrandie, notre famille.

Dites-nous encore que la distanciation physique, les gestes barrières (mieux nommés gestes de protection) ne sont qu’un état très provisoire des comportements et qu’après, tout recommencera pour ce qui est de la fête, la joie, l’émotion, le plaisir du spectacle.

Dites-nous enfin que vous en serez et que ce ne soit pas interdit par une nouvelle société totalitaire à naître.

Strasbourg, le 15 mai 2020

Patrick Chevalier, pour le Clairon de l’Atax

 

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Notes
  1. Ndlr : qui se jouent masquées[]
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