L’extinction de la nuit.

Avec la fermeture des lieux culturels et du monde de la nuit, c’est une partie de notre jeunesse et de nos pulsions de vie qui nous a été retirée.

club-Image par IULIAN TUCA SIMINICIUC de Pixabay

Avec le durcissement des restrictions sanitaires, l’avenir de certains milieux artistiques qui était déjà mis en péril depuis le début de la crise sanitaire est plus que jamais en question. Parmi ceux-ci, le monde de la nuit, dont les établissements ont été fermés pour la majeure partie, et les artistes qui l’animent privés de leur travail depuis le printemps 2020.
Cela fait plus d’un an que nous, les jeunes, ne sommes pas allés danser et écouter de la musique dans un club, ni même dans un bar, pour boire des verres et nous retrouver entre amis.
Fermer les lieux nocturnes, est-ce exclure la jeunesse du débat public ? A mon sens, il est évident que oui. Tous ces lieux où nous aimions nous rendre, en premier les cinémas, fermés depuis des mois, alors que de nombreuses études ont démontré que le taux de reproduction du virus est de 0,5 dans les lieux culturels fermés avec port obligatoire du masque (!) ; mais aussi tous les lieux nocturnes, les clubs, les festivals, les bistrots qui sont non seulement des endroits où s’exercent des échanges humains, mais aussi et surtout des espaces démocratiques de convivialité, de partage, de sociabilisation. Or ces espaces que l’on ferme sont les lieux d’expression privilégiés d’une jeunesse qui s’engage ou qui ne souhaite pas s’engager, qui vote ou qui choisit de s’abstenir, mais quel que soit son choix, les lieux d’une jeunesse qui est incontestablement dans une relation de défiance avec toute forme de pouvoir et d’institution.

Quelle liberté d’expression, de choisir, et de décider, a-t-on laissé aux jeunes sur les problèmes les concernent au premier chef dans ce contexte de crise sanitaire ? Sans le moindre doute, leur place a été et reste très restreinte voir inexistante dans les débats. Cette mise de côté est presque insultante et il a fallut attendre des témoignages, plusieurs lettres adressées au président de la République et des suicides, pour que notre parole soit un peu entendue, et notre cas un peu mieux considéré.

Pourtant, comment pouvons-nous encore profiter de cette jeunesse, qui aujourd’hui nous échappe, et ne semble plus nous appartenir entièrement ? Non seulement nous avons subi la fermeture de nos facultés ; mais aussi la suppression de nos « petits boulots » (qui pour beaucoup d’entre nous étaient des « boulots alimentaires » essentiels à notre subsistance). A cela s’ajoute une restriction drastique de nos perspectives et de nos idéaux d’avenir ; et comme si ce n’était pas suffisant, nous subissons la fermeture des lieux culturels qui nous font nous exprimer et nous aident à exister !

Le monde de la nuit, et tous les acteurs qui animent cet espace culturel et artistique, sont victimes d’une erreur d’analyse et d’une double injustice :
– il y a d’une part un certain mépris de l’opinion publique pour le secteur nocturne ; pourtant, ailleurs en Europe et dans le monde ce secteur a depuis bien longtemps trouvé sa place dans les politiques culturelles de villes comme Berlin, Amsterdam, et New-York, mais en France, on persiste à conserver une vision culturelle de classe, qui laisse entendre qu’il y aurait d’un côté le patrimoine, l’art lyrique dans lesquels on investit des centaines de millions d’euros…
– et d’un autre part, l’espace de la nuit et la scène électronique qui l’habite, longtemps réduits par l’opinion dominante à des pratiques égoïstement festives et hédonistes et de ce fait entièrement laissés pour compte actuellement, alors qu’ils étaient indubitablement le foyer d’une extraordinaire effervescence culturelle.
Première injustice donc, au sein du monde culturel français !
Deuxième injustice : à l’heure actuelle, nous subissons de la part du ministère de la culture d’un manque flagrant de compréhension de l’importance du rôle social et démocratique de l’espace de la nuit. C’est un des endroits privilégiés par la jeunesse pour y exprimer son envie de participation citoyenne, de débat, et de contradiction. Un espace inédit de confrontation des idées, de dissensus aussi, au cœur de certaines des luttes politiques, sociales, anti racistes, anti sexistes et anti-homophobes des dernières années.

Mais aujourd’hui, dans l’effervescence d’une urgence sanitaire, on a dénigré, ignoré et oublié d’autres enjeux primordiaux. Car oui, cette jeunesse ne se retrouve pas forcément dans les lieux traditionnels de pouvoir et de débat public. Tout d’abord, parce qu’on ne lui en laisse pas toujours le droit, ni la place, à moins de sortir de l’ENA. Cette jeunesse se retrouve alors et s’identifie dans ces lieux de partage et de convivialité que sont les simples bistrots, ou les festivals.
Notre gouvernement et l’opinion publique méprisent ou méconnaissent ces enjeux, et en viennent à stigmatiser un secteur culturel essentiel, et une population, qu’ils considèrent irresponsable et inconséquente. Or, ce sont avant tout des recettes et des centaines et des milliers d’emplois, que l’on met à genoux dans cette histoire, sans compter l’atteinte au  rayonnement et l’attractivité culturelle de la France.

Avec la fermeture du monde de la nuit, nous faisons face à un autre danger : la perte progressive de notre identité sociale. Les boites de nuits et les clubs sont non seulement des ponts entre différents mondes qui se côtoient et se mêlent, mais aussi des microcosmes qui secrètent une véritable communauté. Ces lieux cathartiques où s’immergent les individus, envisagent la fête comme propulsion d’émotions communes, de libération, de rencontre avec les autres et avec soi-même. Au final ils constituent des parenthèses apaisantes dans le présent, des bulles dans lesquelles nous pouvions nous réfugier, nous retrouver, puis en ressortir mieux armés pour affronter l’extérieur. Aujourd’hui interdits, ils nous ont été enlevés, car  réduits au seul prisme de l’urgence sanitaire et des mesures d’hygiène.

Avec la fermeture des lieux culturels et du monde de la nuit, c’est une partie de notre jeunesse et de nos pulsions de vie qui nous a été retirée.

Lena Waag pour le Clairon de l’Atax le 22/03/2021

 

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