Le Rec de Veyret à Narbonne : un enjeu d’urbanisme et d’aménagement (suite n°2)

Pourtant, d’autres territoires mettent en place des projets globaux d’aménagement inspirants. Ces projets créent une perspective, un but partagé. Là réside la différence entre un agglomérat d’humains et une cité.

Cours du Rec de Veyret : projet de Barrages v 2021 (carte L.F)

Cette année 2021, deux grands équipements ont ouvert leurs portes dans le Grand Narbonne. A environ 11 km l’un de l’autre, L’hôpital privé du Grand Narbonne et le musée Narbo Via se trouvent chacun à une extrémité du bassin versant du Rec de Veyret. Ce petit cours d’eau capricieux, dont l’existence même est ignorée par la plupart des Narbonnais, borde une remarquable collection d’équipements publics et d’autres encore sont en projet. Enfin, c’est le long des rives de ses affluents que doivent se concentrer une fraction significative des extensions urbaines de l’agglomération au cours des prochaines années.

Le 25 novembre, le conseil municipal de Narbonne a prescrit la révision du plan local d’urbanisme de la ville. Le 10 novembre, le comité syndical du Syndicat Mixte du Delta de l’Aude (SMDA) a approuvé  l’avant-projet controversé d’aménagement du Rec de Veyret. Plus tôt dans l’année, le premier ministre avait relancé le proet de ligne nouvelle à grande vitesse entre Montpellier et Perpignan. Chacune de ces décisions structurantes aura ses principaux effets localement sur cette bande de 11km. A cela on peut ajouter l’hypothèse, formulée par le maire Didier Mouly,  d’y positionner l’aire de grand passage du Grand Narbonne  .

Le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) du Rec de Veyret propose, à l’occasion d’une crue centennale, une promenade au fil de l’eau depuis l’hôpital privé jusqu’au musée.  Ce document date de 2002, mais sa lecture reste d’actualité puisque seuls des aménagements hydrauliques mineurs ont été réalisés depuis. Les projets les plus importants sont encore dans des cartons. Suivons les aventures d’une goutte d’eau.

Ce périple commence dans la future zone d’activité économique des Clottes. 75 hectares à cheval sur les communes de Névian et Montredon, soit plus du tiers de l’ensemble des nouvelles zones d’activité de l’agglomération prévues par le schéma de cohérence et d’orientation du territoire. L’hôpital privé du Grand Narbonne vient d’y être inauguré. Des bassins de rétention ont été construits pour compenser l’impact de l’artificialisation des sols. La création de cette zone devrait donc être neutre d’un point de vue hydraulique, théoriquement.

Le long de la D6113, la capacité du lit est quasi négligeable au regard des débits mis en jeu pour un tel événement. Aussi, la route est inondée. Les vignes rive droite sont également submergées. (…) Les écoulements provenant des Clottes sont drainés par le fossé qui longe la D6113 puis la D69. Sa capacité est très faible aussi la plaine en amont du Bras est largement inondée (hauteurs d’eau supérieures à 1m). 85 m 3 /s s’écoulent sous et par dessus la D69. La zone aménagée est inondée (au nord de la zone industrielle de Montredon ndlr), les eaux pénètrent à gauche vers le centre du village mais restent confinées aux abords immédiats. (…).

Cet extrait du PPRI décrit l’inondation des routes autour de Montredon en cas de forte crue. Le projet d’aménagement sur lequel travaille le Syndicat Mixte du Delta de l’Aude (SMDA) ne prévoit rien pour protéger ces secteurs, au grand dam des Montredonais. En effet, dans l’optique de rétention maximale à l’amont choisie, il serait contreproductif d’élargir les fossés.
La zone industrielle de Montredon s’est largement développée depuis sur des terrains moins inondables et des ouvrages de rétention ont été réalisés.
En parallèle, depuis le sud, les eaux venues de la plaine d’Aussières contribuent à inonder les entreprises. Le projet du SMDA projette de les dompter avec un immense ouvrage écrêteur de crue juste à l’amont de cet enjeu.

La goutte d’eau que nous suivons s’engage ensuite dans le vallon de Cap de Pla. Elle passe sous le vertigineux projet de gare TGV 30 m plus haut. Quelques centaines de mètres plus loin, à son entrée dans la commune de Narbonne, elle dévale dans le bassin de rétention de Cap de Pla. Il s’agit d’une vaste dépression artificielle qui ne s’inonde que lors d’évènements exceptionnels. Le SMDA parle d’en faire un lieu dédié aux loisirs lorsque l’exploitation de la carrière aura cessé. Il est bordé par le centre de recyclage de déchets organiques, Bioterra à l’amont, et par l’aire d’accueil des gens du voyage à l’aval. C’est cette aire, que le maire a proposé d’étendre pour en faire une aire de Grand Passage. Elle fait face au barrage dont la rupture catastrophique en 1994 provoqua la dernière grande inondation. Immédiatement après se trouve le pont de la D6009 sur lequel le trafic peut atteindre 18 000 véhicules/jour, occasionnant des difficultés quotidiennes de circulation.
Ce n’est pourtant qu’à l’aval de ce pont que notre goutte entre dans le vif des enjeux d’aménagement.

Le voyage se poursuit dans une zone à urbanisation discontinue de près de 200 hectares qui fera vraisemblablement l’objet d’une ouverture partielle à l’urbanisation à l’occasion de la révision du PLU de Narbonne. On y trouve le quart de l’intégralité des zones prévues pour l’urbanisation dans toute l’agglomération par le schéma d’organisation et d’orientation du territoire. Cette zone est drainée au sud par le rec de las Tinos, un petit affluent dont le cours doit supporter un second grand barrage selon le projet du SMDA. Le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du PLU en vigueur à Narbonne prévoit un développement urbain en deux phases de l’amont, dans le secteur de Bagatelle, vers l’aval où ce document esquisse une approche :

Une réflexion particulière sera alors menée pour assurer un développement urbain périphérique dans les secteurs de La Mayolle, du Cap de Pla et de la Licune autour de la thématique de l’eau.
(extrait du PADD)

Par secteur du Cap de Pla, il faut, à la lumière des documents graphiques, comprendre qu’il s’agit ici du secteur entre le barrage de Cap de Pla et la Zone Industrielle de Plaisance. Ce qui frappe dans cette formulation, c’est que dans l’esprit des rédacteurs du PLU, l’aménagement urbain et l’aménagement hydraulique de ces secteurs sont deux facettes indissociables du même projet, très loin du fonctionnement en silo adopté par le SMDA. Mais loin d’être périphérique, ce quartier serait proche du centre géographique de la zone agglomérée de Narbonne. Aujourd’hui, la ville est divisée entre le centre historique et ses extensions au nord, et les vastes zones d’activité et résidentielles au sud. Entre les deux, ce secteur peut créer du lien, reconnecter la ville à elle-même.

Lors des réunions publiques d’information organisées par le SMDA, beaucoup de questions abordèrent le sujet de l’urbanisation, souvent avec défiance. Elles ne reçurent pas de réponse, à l’exception de la position de l’État formulée par le directeur départemental des territoires et de la mer. Celui-ci confirma que la doctrine était que les zones rouges du PPRI resteraient inconstructibles, quels que soient les aménagements. De la même manière, le périmètre des zones administrativement inondables, comprenant les bleues, ne changerait pas, et elles resteraient soumises à des prescriptions particulières. Une interprétation stricte de cette doctrine ne ferme aucune porte. Les zones à urbaniser concernées par le PPRI affichent une nuance de bleu.

Dans son périple, notre goutte a dû se frayer un chemin à travers la végétation qui encombre le lit du rec de Veyret et des amoncellements de gravats souvent anciens. Un panneau « décharge interdite » sur la rampe d’accès aval au barrage de Cap de Pla rappelle que des indélicats n’hésitèrent pas à se délester de leurs encombrants dans le lit du rec. L’élargissement du fossé, d’ordinaire sec, constituant le lit du cours d’eau et de ses affluents n’est soumis à aucune limitation physique. Mais la pente y est de l’ordre de 0,5 % à 1 %. Agir augmenterait la vitesse du flux arrivant sur le pont de la voie ferrée et aggraverait le risque que son étroitesse génère.

A mon humble connaissance, à ce jour, au regard de l’explosion récente des prévisions de coûts des ouvrages du SMDA, la création des barrages ne se justifie que pour ne pas toucher à cet obstacle. L’argument décisif n’est ni technique, ni financier. Tous les arguments de cette nature ont été battus en brèche. Il se trouve dans la complexité du projet. En effet, pour refaire ce pont, il faut accepter de se soumettre aux créneaux et conditions déterminés par le gestionnaire du réseau ferré. C’est une contrainte inconfortable pour les équipes techniques. Il est utile de rappeler ici que la durée de vie d’un pont est évaluée à 100 ans et que celui-ci n’est pas flambant neuf. Mais si ces constats mènent naturellement à une conclusion grinçante, il faut reconnaître sa nature partielle tant les détails des motivations des choix restent opaques. Le SMDA semble déterminé à lever ces doutes : 
« La poursuite de ce projet va se faire dans un souci permanent de transparence et d’information auprès du plus grand nombre. » C’est un progrès louable qui reste modeste face aux exigences de participation du public renforcées récemment par le Conseil d’État.

pont du chemin de fer “chemin des Fours A Chaux / rue des Corbières” (photo HR)

Le pont sous la voie ferrée est une curiosité. Sous le faisceau ferroviaire, sur une largeur d’environ 9 mètres et sur un même niveau, se cumulent les fonctions de passage routier de délestage des grands axes encombrés, d’exutoire d’un bassin versant de plusieurs dizaines de kilomètres carrés et de passage à gué sur le cours d’eau presque toujours sec. Dans le projet du SMDA, son étroitesse fait office d’ouvrage écrêteur inondant la rue du dépôt et une partie de la zone industrielle de Plaisance. Il est en limite du projet de rallongement du raccordement ferroviaire de Narbonne qui doit, incessamment ajouter une voie supplémentaire entre les directions de Carcassonne et de Perpignan à l’étoile ferroviaire toute proche.  Une légende urbaine veut qu’un pont routier en surplomb ait été envisagé, au siècle dernier, et que ce projet existe encore, en sommeil. La trace qu’il en demeure se trouve parmi les emplacements réservés du PLU.  « N°6 Création Boulevard Domaine de Saint Crescent ». Celui-ci, sur la rive gauche du rec, le long du quartier de la caserne Montmorency, relierait le chemin des fours à chaux au boulevard de Maraussan.

Ici, la pente du lit devient très faible au moment où le cours d’eau rencontre son second obstacle majeur, le pont de l’avenue du Général Leclerc. C’est lui qui a concentré les débats puisqu’il a été présenté comme le facteur limitant pour la capacité d’écoulement du rec. Il constitue lui aussi un ouvrage écrêteur dont la retenue inonde notamment les lotissements au sud de la caserne Montmorency. Cette avenue est une artère majeure pour la ville et son passage au droit du complexe sportif et de loisirs de l’Espace Liberté, qui borde le rec, est un des principaux points de congestion de la ville. Un projet d’un pont supplémentaire de délestage sur le rec plus à l’aval est évoqué.

C’est à l’aval de ce pont que se concentrent l’essentiel des risques dû aux inondations. Sur la rive gauche s’étendent les quartiers de Maraussan et de la Mayole. Cette portion du rec y est canalisée et rectiligne depuis l’ancien régime, mais elle est grandement sous dimensionnée pour un épisode exceptionnel. Le projet du SMDA prévoit de l’élargir et de refaire pour cela les trois ponts suivants qui l’enjambent. L’extension est calibrée sur le débit sortant du pont de l’avenue du Général Leclerc. Il est utile de rappeler ici qu’un pont a une durée de vie estimée à 100 ans et que lorsque nos petits enfants le  referont, ils se demanderont sans doute pourquoi nous n’avons pas prévu plus large aujourd’hui.

Vue générale : plaine eu aval de l’Espace Liberté

La plaine à l’aval de l’espace Liberté est classée dans le PLU en zone N3. « Il s’agit de zones naturelles et de loisirs destinées notamment à la création d’espaces verts et d’équipements publics. » La création de jardins y est étudiée. En termes d’aménagement, l’enjeu est immense. Les Narbonnais demandent plus d’espaces verts. Pourtant peu de villes de cette taille ont leur cœur de ville si proche de la campagne. L’appropriation de ces espaces par les habitants, pour former un poumon de verdure proche du centre ville, pourrait changer notre quotidien. Les abords du rec pourraient être un lieu de promenade. Cela revient à envisager une révolution dans la manière de les concevoir. La liste des équipements qui le bordent aujourd’hui est symptomatique d’une vision déclassée de ces espaces. Zones industrielles, centre de recyclage, aire d’accueil des gens du voyage et enfin la déchetterie de la route de Lunes que notre goutte atteint désormais. Et pour cause, le rec n’est qu’un fossé disgracieux émaillé de flaques où prolifèrent les moustiques, au mépris de tous les objectifs de bon état écologique. Une cicatrice suppurant épisodiquement un eau boueuse.

La première étape de ce changement d’angle de vue a été initié complètement à l’aval de notre périple. Juste avant l’autoroute, un seuil hydraulique a été créé pour que les flux les plus importants surversent vers l’ancien étang du Cercle, puis l’étang de Bages. Le reste de l’eau emprunte un bras mort de l’Aude devenu canal de la Robine avant de se jeter dans ce dernier. C’est là que s’étend la zone d’aménagement concertée des Berges de la Robine. Sur la rive gauche du canal les travaux battent leur plein, les immeubles sortent de terre et le musée Narbo Via trône fièrement face au Parc des Sports et de l’Amitié. La ZAC s’étend aussi administrativement sur la rive droite. Il s’agit d’un des trois périmètres prévus dans le PLU pour recevoir un développement urbain périphérique sur la thématique de l’eau. L’hypothèse d’un port fluvial ou de maisons flottantes est régulièrement évoquée et devrait être poussée par la municipalité lors de la prochaine révision du PLU.

Ces projets sont ou seront portés par le Grand Narbonne, le SMDA, les communes de Narbonne et de Montredon, SNCF réseau ou le conseil départemental, pour ne citer que quelques institutions publiques. Un schéma de coordination sur le temps long serait pertinent. L’accumulation parle d’elle-même. L’État, qui jouait ce rôle se désengage. Chacune de ces institutions se limite à ses compétences. Pourtant, d’autres territoires mettent en place des projets globaux d’aménagement inspirants. Ces projets créent une perspective, un but partagé. Là réside la différence entre un agglomérat d’humains et une cité.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 19/12/2022

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