Chili / France : l’extrême droite menace

Ce moi-ci Léna Waag nous présente un texte d’un ami chilien. Il lui a paru intéressant de le publier dans le Clairon dans ces circonstances précises d’un 2ème tour des présidentiels suivis des élections législatives en espérant que cela nous aide à réfléchir !

Ce moi-ci Lena Waag nous présente un texte d’un ami chilien. Il lui a paru intéressant de le publier dans le Clairon dans ces circonstances précises d’un 2ème tour des présidentielles suivis des élections législatives en espérant que cela nous aide à réfléchir ! Place aux jeunes !

La rédaction

 manifestation Chili (image Mauro de Pixabay)                 manifestation France (image Benjamin Bellier de Pixabay)

Je m’appelle Pedro Troncoso, j’ai 22 ans. J’ai passé 20 ans de ma vie au Chili : j’y suis né et j’y ai grandi. Au Lycée Charles de Gaulle de Concepción, j’ai été initié pour la première fois et pour longtemps à la culture française, ce qui m’a motivé à venir vivre en France, dans la ville de Strasbourg, pour poursuivre mes études. 

En décembre 2021, le second tour des élections présidentielles a eu lieu au Chili ; ce sont probablement les élections les plus polarisées depuis le retour à la démocratie.

D’un côté : Jose Antonio Kast, le représentant de la dictature de Pinochet, du conservatisme dur, du racisme, de la xénophobie et de l’extrême droite. De l’autre côté, Gabriel Boric, un jeune idéaliste, né et élevé dans la démocratie, ancien leader étudiant, qui, soutenu par le Frente Amplio (1) et le Parti communiste du Chili, se présente comme l’une des propositions les plus “gauchistes” depuis Salvador Allende.

Et c’est vrai, pour la première fois au Chili, l’ultra-droite a eu une chance de prendre le pouvoir, tout comme pour la première fois, le parti communiste (très craint au Chili en raison des fantômes introduits par la dictature) eut une chance réelle d’arriver au gouvernement.

Avec le retour du “pinochetisme” sur la scène politique chilienne, les traumatismes sont présents, la peur coule dans les rivières de notre pays, comme le sang coule encore dans les veines de notre mémoire. Une blessure est toujours ouverte et une grande partie du pays a fait campagne pour l’ouvrir encore plus. L’extrême droite, plus présente que jamais, menace la stabilité d’une démocratie qui a coûté au peuple chilien tant d’années et tant de vies. Le scénario est glaçant, la peur provoquée par la dictature et ses fantômes, la sensation de revivre un peu ces années, de faire un pas en arrière, et la certitude que, malgré les années, ceux qui ont massacré le peuple chilien sont toujours là parmi nous, attendant ce moment pour réapparaître ; à cela s’oppose une proposition progressiste et démocratique qui promet des changements au système ultra-libéral auquel est soumise la société chilienne, avec un jeune de 35 ans à sa tête.

En d’autres termes, c’est la peur d’un côté et l’espoir de l’autre. Et une fois de plus, le peuple chilien s’est levé pour donner une nouvelle gifle à la droite chilienne ; une fois de plus l’espoir et la foi en la démocratie ont surmonté les mensonges et la propagande de l’extrême droite. L’espoir l’emportait sur la peur, et l’esprit démocratique sur le pinochetisme.

Aussi, la personnalité de Boric et de ceux qui l’accompagnent, marquée par des déclarations qui visaient à créer une nouvelle politique dénuée de corruption, et de faveurs politiques, la promesse de gouverner avec de nouvelles personnes, de négocier avec tout le monde, toujours sur un ton conciliant, était exactement ce que le peuple chilien attendait. Après le scénario politique tendu de ces dernières années (qui a connu son apogée lors des manifestations massives de la fin 2019), les gens avaient besoin de quelqu’un qui apporte le calme et la réconciliation, et Boric l’a offert avec talent et naturel. Ainsi, Boric et les siens sont arrivés au pouvoir parce qu’ils affrontaient l’extrême droite et parce qu’il ils ont su entretenir une image de renouveau, de dialogue, de calme et de jeunesse. Beaucoup de gens n’ont pas aimé ses propositions politiques et n’ont pas soutenu sa candidature, certains trouvant qu’il était trop à gauche, d’autres parce qu’il était naïf et rêveur parce et promettait des choses qu’il pouvait difficilement réaliser, mais ils ont néanmoins voté pour lui parce qu’il était la seule option face au pinochetisme.
Un peu comme ce qui risque de se passer en France lorsqu’ Emmanuel Macron sera élu pour la deuxième fois par dépit, uniquement parce qu’il y a un candidat bien pire en face de lui, une fois de plus issu de l’extrême droite.

Boric fait partie d’une génération née à la fin de la dictature de Pinochet. Ses membres ont appris à s’exprimer pendant la transition démocratique et ont élevé la voix pour la critiquer, d’abord en tant qu’écoliers, lors du “pingüinazo” (2006) (2), puis en tant qu’étudiants universitaires, à la tête du mouvement étudiant de 2011. Ils sont les enfants de la période “concertacioniste”, de la fin de la guerre froide, du néolibéralisme, de la croissance économique, d’internet, de ses réseaux sociaux, de l’irruption des identités et du réchauffement climatique. Ce sont de parfaits progressistes, des sociaux-démocrates.
Plus qu’une idéologie, ce sont des causes diverses qui les rassemblent. Celle qui s’est le plus solidement établie est peut-être le féminisme. Mais aussi les approches de genre, l’écologie, la reconnaissance des diversités culturelles et des droits sociaux. Et c’est pour cela que leurs propositions touchent tant de monde. Car il s’agit de personnes à mi-chemin entre les anciens et les jeunes. Entre ceux qui ont vécu les horreurs de la dictature et d’une société conservatrice, comme l’était le monde au XXe siècle, et ceux qui ont grandi en écoutant les idées et récits de leurs parents, s’efforçant aujourd’hui de les remettre en question. Ils sont un peu de chaque côté. Et je parle au pluriel parce que Gabriel Boric n’est pas seul.
S’il Gabriel Boric en est le représentant, c’est parce que, premièrement, il est un peu plus âgé que ceux qui le suivent (plus âgé que Giorgio Jackson par exemple) et qu’il était le seul à avoir l’âge de se présenter à la présidence. Le reste est le résultat de ses succès. Avec Jackson, en effet, ils forment un duo inséparable et complémentaire. Jackson est l’ingénieur et Boric l’humaniste. Il y a aussi Izkia Siches, la femme forte du cabinet, avec son propre leadership. Et le socialiste Mario Marcel : la figure paternelle et fiable, en charge du portefeuille fiscal. Sans oublier Camila Vallejos, qui a également été leader étudiant aux côtés de Boric et qui est aujourd’hui secrétaire générale du gouvernement. Ils forment un groupe d’amis qui depuis 2011 est descendu dans la rue lors des manifestations massives et a su porter ses revendications au congrès, puis un peu plus tard au gouvernement, avec la même énergie que celle des jeunes étudiants révolutionnaires qu’ils étaient à l’époque.

« Nous savons, compatriotes, (…) que nous ferons des erreurs et que nous devrons les réparer avec humilité, en écoutant toujours ceux qui pensent différemment et en comptant sur le peuple chilien », a-t-il déclaré dans son premier discours depuis le balcon de La Moneda. “Boric, mon ami, le peuple est avec toi”, répond la foule. Mais nous savons déjà que les amours et les préférences populaires, de nos jours, mutent de manière surprenante. Les résultats des nombreux votes organisés ces dernières années le confirment.
Sebastián Piñera (3) a remporté le second tour avec 54,58% et, à la fin de son mandat quatre ans plus tard, selon le sondage Mori, seuls 15% le soutiennent.
Lors du déchaînement social, il a atteint 6%. Quatre-vingt pour cent ont voté en faveur d’une nouvelle constitution. En mai 2021, la droite a remporté moins d’un tiers des sièges de la circonscription, mais sept mois plus tard, plus de la moitié du Sénat. José Antonio Kast a remporté le premier tour de la présidentielle et Boric l’a balayé au second. Les désirs de transformations profondes sont entremêlés de craintes, d’angoisses et d’envies de calme.

Et en effet, au début de son gouvernement, plusieurs erreurs ont été commises. En raison de la crise profonde que traverse le pays, il fallait s’attendre à des débuts difficiles. Cependant, une partie des problèmes de l’exécutif provient de ses propres erreurs, et pas tant de l’ampleur des conflits dont il a hérité. Et c’est là le plus gros problème : plusieurs erreurs involontaires (non précisément celles de Boric mais plutôt de son équipe) ont marqué le premier mois de gouvernement. La ministre de l’intérieur, Iskia Siches, était trop sûre d’elle lorsqu’elle s’est rendue dans la zone de conflit du territoire mapuche, dans le sud du Chili.
À la surprise générale, la représentante de ce gouvernement, qui se vante tant de sa capacité de dialogue, a été accueillie par des tirs de balles en l’air et des pierres. Et tous les fantasmes et promesses qu’ils avaient faits pendant des mois (de pouvoir résoudre un conflit historique avec la seule bonne volonté) ont volé en éclats lorsqu’ils ont vu que la guerre était plus ancrée dans la réalité qu’ils ne le pensaient. D’autres déclarations du ministre qui se sont avérées fausses, ou le nombre énorme d'”amis” présents parmi les ambassadeurs et les responsables de la politique étrangère nommés par Boric lui-même, constituent d’autres points faibles que ce gouvernement a laissés en place dans son premier mois d’exercice du pouvoir. Mais ce sont des erreurs qui sont principalement dues à l’inexpérience et j’espère personnellement qu’ils sauront les réparer rapidement, car en un mois ils n’ont pu maintenir le soutien de tout leur électorat, et le soutien des citoyens me semble crucial pour les quatre prochaines années.

Pedro Troncoso pour le Clairon de l’Atax le 20/04/2021

Traduction de Lena Waag

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Notes
  1. ndlr. Coalition politique de mouvements de gauche[]
  2. ndlr. révolte des collégiens 2006[]
  3. Ndlr. ex président de la République[]
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