Climatisons autrement

Face à des vagues de chaleur de moins en moins exceptionnelles, dans des villes si peu adaptées à de telles conditions, le besoin de fraicheur se révèle impérieux pour les particuliers comme pour les commerces. Paradoxalement, pour répondre à ce besoin, nous réchauffons nos villes.

Voici à la fois un état des lieux et une présentation des différentes solutions visant à tempérer une chaleur excessive. Ne nous sommes nous pas fourvoyé en matière de climatisation dans des surenchères technologiques finalement contreproductives alors que nos anciens disposaient de techniques simples et efficaces pour nous apporter de la fraicheur. Il s’agit de les redécouvrir et de les remettre en œuvre : les “low tech” peuvent servir à cela.

La rédaction

Machine à climatisation (Image par NI-CO-LE de Pixabay)

Cet été, il aura fait chaud. Les climatiseurs auront tourné à plein régime. Ce genre d’étés est une nouvelle norme à laquelle nous devrons nous faire. Le gain en confort est indéniable. Face à des vagues de chaleur de moins en moins exceptionnelles, dans des villes si peu adaptées à de telles conditions, le besoin de fraicheur se révèle impérieux pour les particuliers comme pour les commerces. Paradoxalement, pour répondre à ce besoin, nous réchauffons nos villes.

Les appareils de climatisation sont une solution facile à mettre en place à l’échelle individuelle. Une unité intérieure souffle de l’air frais et pompe la chaleur vers une unité extérieure qui la rejette. Mais il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle. La chaleur rejetée correspond à la fraicheur produite à laquelle il faut ajouter la consommation énergétique des appareils. Celle-ci s’est aussi transformée en chaleur selon les lois de la thermodynamique. Chacun peut faire l’expérience du souffle chaud rejeté dans nos rues de béton et de bitume aux heures les plus suffocantes de la journée. Nos villes se réchauffent encore, dans leur immensité, le besoin de fraicheur est encore plus impérieux. De surcroit la démultiplication de ces appareils crée des tensions sur nos capacités de production énergétique. Elle provoque des pics inédits de consommation d’électricité et induit une surconsommation importante des véhicules. Comme une fraction importante des sources d’énergies que nous utilisons sont fossiles et que celles-ci sont la cause du changement climatique, un second cercle vicieux vient s’ajouter au premier.

Dans beaucoup d’esprits, forgés par notre société individualiste, les climatiseurs individuels sont la seule solution. Pourtant les exemples de mise en œuvre de méthodes plus vertueuses abondent. Utiliser les horaires espagnols, en se calfeutrant entre 12h et 17h, limiterait le besoin de fraicheur. La végétalisation, la ventilation urbaine, ou les réseaux de froid sont des techniques de rafraichissement dont certaines applications étaient déjà maîtrisées dans l’antiquité. L’air, sa température et son humidité est un bien commun. Une ressource que nul ne s’est appropriée mais qui peut être dégradée par son usage. En économie, une telle ressource est qualifiée de rivale et non excluable. Rivale parce que l’utilisation par l’un peut impacter la capacité des autres à en user. La traversée d’une ville par un camion dégradera la qualité de l’air pour tous, comme un climatiseur réchauffera l’air extérieur pour tous. Non excluable parce que nul ne peut s’en réserver l’usage. Notre système économique ne sait pas appréhender les biens communs et encore moins les protéger. Dès lors, la solution ne peut venir que de la sphère publique. Les municipalités doivent répondre à l’enjeu de la fraicheur urbaine.

La végétalisation est la solution la plus évidente et la plus urgente. Un couvert végétal produit deux effets positifs. D’abord il produit un ombrage salvateur en été. Des arbres à feuilles caduques ont même la propriété, en perdant leurs feuilles en hiver, de produire un ombrage saisonnier naturellement. Ensuite, les plantes transpirent et rafraichissent l’air par ce processus. En effet, lorsque de l’eau s’évapore de leurs feuilles, la chaleur latente de vaporisation de cette eau est prise dans l’environnent ce qui produit un rafraichissement. Ce processus est régulé par la plante elle-même en fonction de la température. L’utilisation d’humidificateur d’air est parfois proposée comme une alternative facile pour utiliser cet effet. Mais l’air ne peut qu’intégrer une quantité de vapeur d’eau limitée à sa pression de vapeur saturante. Une fois l’effet rafraichissant passé, l’air reste alors moite et étouffant si il est trop chargé en humidité. Si les plantes usent de cet effet intelligemment,   en abuser serait nocif. Végétaliser demande du temps et de l’entretien en plus de l’investissement initial. Il est beaucoup plus simple de choisir le bitume que les arbres en blâmant les feuilles mortes qu’ils produisent ou les oiseaux qu’ils attirent.

La forme urbaine, beaucoup plus complexe à faire évoluer peut aussi apporter des services. L’architecture vernaculaire des bourgs méditerranéens s’articule autour de ruelles étroites, de maisons mitoyennes et de cours ombragées. Le hasard, l’expérience des siècles ou une science perdue depuis a produit des espaces remarquablement frais par une combinaison d’ombrages opportuns et d’effets aérodynamiques utilisant la chaleur pour produire des courants d’air frais. Les tours à vent persanes ont raffiné cet effet pour atteindre des résultats remarquables même en plein désert. Des techniques de ventilation naturelle étaient déjà maîtrisées des romains qui avaient appris à produire de l’air frais. Pour cela, ils faisaient simplement passer l’air dans des conduits souterrains. Plus la profondeur est importante, moins la température du sol varie. La température moyenne annuelle en France était de 14,1 °C en 2020. Un immense gisement de fraicheur réside juste sous nos pieds. Mais dans des tissus urbains denses il ne peut pas être valorisé à l’échelle individuelle. Les municipalités doivent s’engager.

Les réseaux de froid sont une solution moins vertueuse mais qui est rapide à mettre en œuvre en zones denses et s’inscrit dans les impératifs de rentabilité de notre système économique. Il s’agit de constituer des boucles d’eau froide, en général de l’ordre de 6 à 10°C, desservant les usagers d’un quartier. Des tuyaux de polyethylène entourés d’une épaisse couche d’isolant relient les appareils de climatisation installés chez les usagers à une centrale de production de froid. La quantité de froid consommée est décomptée et facturée. Le système est intéressant si la centrale de production de froid dispose d’une solution adaptée pour évacuer sa chaleur. Il peut s’agir d’un réservoir d’eau suffisament vaste pour que la hausse de température y soit négligeable par exemple. Si le fonctionnement d’un réseau de froid peut s’auto suffire économiquement, une volonté politique est nécessaire pour le mettre en place. Ce type de réseaux est encore très rares en France. Leur fonctionnement est l’exact miroir des réseaux de chaleurs, beaucoup plus fréquents, qui alimentent un nombre croissant de systèmes de chauffage.

Toutes les villes ont une rue commerçante, où des portes grandes ouvertes proposent au chaland de venir profiter d’un intérieur généreusement climatisé aux heures les plus chaudes de la journée. Pendant ce temps la chaleur est rejetée dans la rue de derrière qui devient invivable. Au quotidien, il s’agit d’un désastre écologique. Les clients préfèreraient peut être s’y rendre à des heures moins brûlantes mais sont reconnaissants d’y trouver de la fraicheur. Les commerçants eux ne sont peut être pas dans la capacité de proposer des horaires différents et doivent faire fonctionner leurs commerces. Sans doute dans certaines villes, la municipalité s’est engagée dans le long processus qui permettra de nous rafraichir plus intelligemment. A Narbonne ce n’est pas le cas, et un souffle chaud sort des climatiseurs sur les quais derrière la rue du Pont des Marchands.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 22/07/2022

 

Moutons dans le froid (Image par scott payne de Pixabay)

 

Print Friendly, PDF & Email

1 commentaire

Les commerces de la rue du Pont des Marchands, mais aussi, hélas, de la rue de l’Ancien Courrier, de la rue Droite,… Gratitude aux trop rares boutiques dont les portes sont fermées…
Et les vitrines qui restent éclairées nuit et jour, week-end compris ??? Comme celle du marchand de truffes de la rue Droite…
S’il vous reste un peu de conscience, mettez m’en 1 kg : c’est pour offrir !

Répondre à Martine ROUCH Annuler la réponse