De l’attractivité des villes moyennes

Il n’y a aucune fatalité au déclin des villes moyennes.

En France, les villes moyennes végètent.
A l’écart du dynamisme des métropoles, elles subissent les effets de la périurbanisation et de la réorganisation des modes de vie autour de la voiture. Leurs centres-villes périclitent. Les entreprises de pointe les fuient. Leur desserte en transport en commun, dont le train, est médiocre. A l’issue du confinement, leur retour en grâce a pourtant été proclamé. Mais force est de constater que le changement n’a pas eu lieu. Cette ambiance de déclin a des conséquences électorales qui alarment les élus. Les municipalités multiplient les projets pour dynamiser ou rendre attractive leur ville. Le bilan reste maigre, le développement dynamique est quasi étranger aux villes moyennes françaises. Pourtant l’exemple de nos voisins européens nous apprend que des villes moyennes peuvent prospérer au au 21ème siècle.

Rue au crépuscule (Image par StockSnap de Pixabay)

La hiérarchie des villes à la française

Il existe plusieurs manières de définir une ville moyenne. Par sa taille, l’INSEE classe dans cette catégorie les communes entre 50 000 et 200 000 habitants. Par ses fonctions, une ville moyenne polarise son bassin de vie autour de ses équipements, son hôpital, ses lycées, ses commerces ou ses administrations. Par ses difficultés, le programme Action Cœur de Ville, entre 2018 et 2022 visait à redynamiser les centres-villes de villes moyennes en favorisant les réhabilitations du bâti et la piétonisation notamment. En France, cette définition est liée aux efforts de hiérarchisation rationnelle des villes depuis la Révolution. La France compte une centaine de villes moyennes, appelées ainsi sans inventivité, car leur place dans la hiérarchie urbaine est entre les grandes et les petites.

Le fait urbain est caractérisé par la mise en réseau.
Il s’agit d’un phénomène complexe, multiscalaire et mouvant, produit par les circuits commerciaux et les relations de pouvoir. L’État l’oriente donc par ses choix d’organisation autant que par ses décisions d’investissement. Un État centralisé induit un réseau de ville différent d’un État fédéral par exemple. Cette mise en réseau est un sujet d’études fécond depuis la théorie des lieux centraux de Walter Christaller dans l’entre-deux guerres. Celle-ci, très controversée, suppose qu’une organisation spatiale et hiérarchique universelle et optimale des villes existe. En France, le sujet s’est imposé après la publication par Jean-François Gravier en 1947 de l’ouvrage « Paris et le désert français ». Il y constate que la macrocéphalie parisienne dévore les ressources humaines et matérielles du reste du territoire national. Il formule l’hypothèse que Paris serait moins performante pour utiliser ces ressources que ne le seraient des villes plus petites. Depuis, la compétitivité moindre des régions françaises par rapport à leurs homologues européens est devenue le moteur des politiques d’aménagement du territoire. En 1963, les travaux de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) proposa huit villes ou réseaux de villes pour bénéficier d’une politique de rééquilibrage. Ces métropoles d’équilibre bénéficièrent ensuite de nombreux équipements de niveau national. Puis en 1982 la loi de décentralisation érigea 22 villes, dont les têtes des métropoles d’équilibre, en capitales régionales. Ces niveaux hiérarchiques intermédiaires entre Paris et les villes moyennes vinrent compléter l’armature héritée de la Révolution. En 1789, l’assemblée constituante créait les départements. Ils furent chacun dotés d’une organisation rationalisée à travers une préfecture, des sous-préfectures et des chefs-lieux de canton. Les équipements de rayonnement international trouvaient leur place à Paris, les équipements de rayonnement départemental complétaient les préfectures et chacun était doté selon son rang. Le secteur économique se conforma globalement à cette hiérarchie pour des motifs de prestige et en raison du poids économique de l’État. Ce modèle craque. Des intercommunalités aux contours mouvants ont remplacé les cantons. Les régions ont été redessinées. L’État se contorsionne. Car en dehors d’une demi-douzaine de métropoles ayant réussi à se faire une place sur la scène européenne, le désert français demeure.

L’attractivité face à la métropolisation

La métropolisation désigne le processus de captation des ressources humaines, économiques et intellectuelles par les villes de grande taille au détriment de territoires et de villes périphériques. La théorie décrit comment il s’accompagne d’une évolution du modèle économique vers des formes postindustrielles créatrices de valeur, organisées dans des réseaux globaux. En France, il est enseigné en classe de géographie et imprègne toute la société d’une forme de fatalisme. Les meilleurs emplois sont dans les plus grandes villes et leurs couronnes. Ce processus est regardé avec faveur par les gouvernants des territoires gagnants, alors que les élus des villes plus petites sont trop éloignés des lieux de pouvoir pour être écoutés. Cette théorie peut aussi bénéficier d’un biais de confirmation auprès des élites académiques qui résident dans ces métropoles ou dans des grandes villes aspirant à ce statut. En décrivant l’impact de la concentration d’une élite, ils parlent aussi d’eux-mêmes et cette théorie confirme leurs choix de vie.

Dans des pays moins hiérarchisés comme peuvent l’être la Suisse, l’Italie, l’Allemagne ou la Belgique les facteurs d’attractivité ne sont pas perçus comme directement corrélés avec le décompte de la population. Les fonctions urbaines supérieures comme les universités ou de commandement comme les sièges sociaux ne sont pas l’apanage des seules plus grandes villes. Et cette répartition ne semble pas être moins efficace en termes de création de valeur. Attirées par ce modèle, les villes moyennes françaises en quête d’attractivité investissent dans des équipements dans le but de séduire des talents. Ces talents sont des personnes diplômées, mobiles sur le marché international et exigeantes. Ainsi, des pôles universitaires, des salles de spectacles ou des pépinières d’entreprises ont fleuri dans de nombreuses villes moyennes comme autant d’appâts pour ces individus mystérieux. Mais les entreprises ont rarement été séduites. La réalité des villes moyennes françaises est très diverse. Certaines ont des atouts et des infrastructures remarquables, pourtant elles convainquent rarement.

L’émergence du concept de « ville du quart d’heure » dans les années 2010 a imposé une nouvelle approche.
Les villes attractives seraient celles où tous les services essentiels sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou en vélo. Le moteur de l’attractivité des villes moyennes qui réussissent serait à chercher dans leur centre-ville. Il faudrait inverser le mouvement de renvoi sur les franges des fonctions urbaines intermédiaires et supérieures. Les métropoles assurent cette concentration par l’effet de leur masse propre à la manière d’un soleil qui s’allume spontanément. Les villes moyennes nécessiteraient une volonté politique pour lutter contre les forces centrifuges et créer les conditions de l’émergence de la valeur. Le cadre urbain propice à cette émergence serait pacifié, accessible et patrimonial. Les villes multiplient donc les actions pour réduire la place de l’automobile en centre-ville au profit des piétons et des terrasses. Elles développent des navettes gratuites et des parkings relais. Et elles valorisent leurs monuments et leur architecture vernaculaire.

A l’issue du confinement, le cadre de vie des villes moyennes apparaissait comme enviable alors que de plus en plus de diplômés fuyaient des métropoles devenues invivables. Pourtant l’exode des entreprises vers ces nouveaux horizons n’a pas eu lieu.

Séduire ces mystérieux talents

Pour porter ses fruits, une politique d’attractivité doit être ciblée sur le temps long. L’image que renvoie la ville joue beaucoup. Dans un contexte de fragmentation sociale postmoderne, cette image n’est pas monolithique. Chaque tribu se forge la sienne et l’enrichit avec les expériences positives et négatives dont elle reçoit l’écho. Cette fragmentation n’est pas un fait nouveau, mais les lignes de partage sont de moins en moins géographiques et de plus en plus sociales. Il est évidemment impossible de plaire à tout le monde. Pourtant la cohabitation d’images antinomiques est fréquente. Certains peuvent décrire une ville animée quand d’autres la jugent calme. La ville est une imbrication de bulles sociales qui s’approprient des lieux ou des moments différents.

Pour attirer une entreprise, il faut convaincre la structure elle-même qu’elle y trouvera son intérêt. L’échange est direct et rationnel. La volonté politique suffit. Mais il faut aussi convaincre des employés de suivre le mouvement et pour cela il faut les comprendre.

En matière d’attractivité, le Graal est d’attirer des ingénieurs. L’ingénieur est ce “pokemon” légendaire qu’il faut attraper avant qu’il ne se retire avec un ordinateur dans un garage pour produire une idée qui attirera des montagnes d’investissements. Le vrai ingénieur qui choisit une ville moyenne souhaite plus simplement un emploi et des perspectives pour lui et sa famille, et il peine souvent à les trouver. Il est étonnant de constater le fossé entre ce souhait incantatoire d’attirer des têtes pensantes et le niveau de connaissance de leurs attentes.

Lors de leur formation, les futures élites intellectuelles subissent une acculturation. Elles gardent souvent un souvenir chaleureux de leur vie étudiante et de la ville qui en était le cadre. En France, la hiérarchie des centres académiques épouse la hiérarchie urbaine. Nos élites sont donc culturellement urbaines. Elles voyagent aussi et ouvrent leur horizon. Elles apprennent deux choses. Elles découvrent l’importance de tisser un réseau pour faire progresser leur carrière et elles gagnent une conscience accrue des mécanismes de reproduction sociale.

Une ville moyenne, ayant envoyé ses plus brillants enfants étudier dans des métropoles et ne sachant pas les faire revenir n’a pas grand-chose à proposer en matière de réseau. Les élites y sont des héritiers de petites entreprises, des médecins ou des avocats. Aucune de ces professions n’a de clés pour faire progresser la carrière d’un ingénieur par exemple. L’offre de travail pour des emplois de niveau métropolitain est famélique et le conjoint de la personne mutée n’arrive pas à trouver un emploi sur place. Enfin, en matière de reproduction sociale, les villes moyennes se reproduisent d’abord elles-mêmes ce qui n’est souvent pas considéré comme suffisant par les classes socioculturelles les plus privilégiées.

La question des réseaux et des emplois est la moins compliquée à résoudre. Si dans les métropoles, la mise en réseau se fait toute seule, elle nécessite un coup de pouce politique dans une ville moyenne. L’intégration des nouveaux arrivants est un enjeu. Elle peut révéler la présence de talents pouvant en retour faciliter l’implantation d’entreprises qui les emploieront. Enfin, la mise en réseau avec les pôles proches peut être aussi fluide qu’entre deux quartiers de métropole.

Pour les gouvernants, ces réseaux portent cependant un risque d’être supplantés. Si les élites de niveau métropolitain présentes dans les villes moyenne s’organisent, il semble inévitable qu’elles formulent des projets pour la ville.

L’exemple de Narbonne

Narbonne est une ville moyenne disposant d’infrastructures de transport et d’équipements culturels de rang régional. Sa dynamique démographique flatteuse est portée par l’héliotropisme dont elle bénéficie. La ville et son territoire se positionnent comme le point de chute idéal pour les retraités de classe moyenne à supérieure à la recherche de mer et de ciel bleu dans un cadre naturel préservé. Si la viticulture reste un marqueur culturel fort, elle a été supplantée par le tourisme, l’aide à la personne et le bâtiment. Ces secteurs ont en commun de proposer des emplois peu qualifiés à temps subi.

La ville a également développé un secteur logistique significatif porté par ses nœuds autoroutiers et ferroviaires. Ce secteur devrait bénéficier des importants travaux d’agrandissements réalisés dans le port de La Nouvelle, en attendant la gare TGV promise. L’accessibilité est le point fort de la ville avec des liaisons directes avec Paris, Barcelone, Toulouse, Marseille ou Lyon.

La ville s’est assidûment dotée de tous les équipements supposés la rendre plus attractive.

Par contre, la ville n’a pas encore amorcé sa reconcentration vers la ville du quart d’heure. Elle déplace en ce moment même son école d’infirmières du centre-ville vers un quartier en cours d’urbanisation et elle a financé le déménagement d’un important centre de santé vers sa banlieue. Ses rares infrastructures universitaires et de recherche sont également éparpillées en périphérie.

La municipalité n’affiche aucune appétence pour le développement d’itinéraires sécurisés pour les modes doux. Mais elle développe des navettes gratuites et des parkings relais facilitant l’accessibilité du cœur de ville. Par contre, en choisissant un mode de gestion réactif plutôt que proactif sur des éléments patrimoniaux majeurs, elle a amplifié les difficultés des commerçants du centre-ville.

La ville aimerait attirer des entreprises de pointe mais échoue. La volonté politique est pourtant là.

Pour réussir, dans l’état actuel de nos connaissances, la ville doit faire un effort d’image vis à vis des élites scientifiques. Pour cela, elle doit rendre visibles leurs homologues qu’elle héberge. Elle doit les chouchouter pour que chacun devienne son ambassadeur zélé auprès de ses pairs. La meilleure option consiste à entreprendre un processus de concentration de ses infrastructures universitaires et de recherche en centre-ville. Cela permettrait d’intensifier les échanges entre les différents groupes leur permettant d’accueillir plus facilement de nouveaux arrivants. En parallèle, il faut organiser un processus de reconcentration de services essentiels. En guise d’effet collatéral, des étudiants en centre-ville apportent une animation plaisante pour les élites urbaines, en plus de correspondre à la typologie des logements. Les escaliers étroits ne sont pas un obstacle pour la plupart d’entre eux et nombreux se passent volontiers d’un véhicule lorsqu’ils ont le choix.

La ville à travers se établissements secondaires doit lier des partenariats avec des établissements d’enseignement supérieur pour permettre aux talents attirés de mettre en place des stratégies de réussite pour leurs enfants.
Puis, en tirant profit de sa position géographique, la ville doit organiser des évènements attirant les talents de Montpellier, de Toulouse ou d’ailleurs pour faire de Narbonne un lieu de réseau dans le domaine qu’elle souhaite développer. Ceci combiné avec un suivi des nouveaux arrivants peut permettre d’aller chercher des acteurs économiques avec des arguments solides.

Pour réussir, une ville moyenne doit se spécialiser.
Plus le domaine est pointu, plus la ville a de chance de se faire un nom à l’échelle européenne, ou même au-delà. Mais cette orientation ne se décrète pas, elle émerge. Une discussion informelle autour d’un café est parfois tout ce qu’il faut pour entrevoir un chemin. A ce jeu, la ville qui gagne est celle qui a permis ce moment.

Un projet d’attractivité est un projet de longue haleine. Et face à ce défi, toutes les villes n’ont pas les mêmes atouts. Mais il n’y a aucune fatalité au déclin des villes moyennes. Une politique d’attractivité doit consister à créer et faire connaitre des conditions d’accueil avantageuses pour les entreprises, comme pour leurs employés. Mais de la même manière qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, on n’attire pas les ingénieurs avec un agent immobilier.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 22/03/2024

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2 commentaires

BURGER Catherine

Article très dense et fort bien argumenté. A diffuser auprès des décideurs de la Communauté d’agglomération de Narbonne, ainsi qu’ à ceux du département et de la Région. C. Delga s’intéresse-t-elle aux villes moyennes ; quant à nos 3 branquignols représentants de l’Aude à l’Assemblée Nationale je doute qu’ils en aient la capacité

Merci de votre appréciation, quelques élus lisent le Clairon. Nous espérons contribuer à leur réflexion

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