La fin d’un cycle… Et après !

Le 29 juillet 2019, le « jour du dépassement », nous avons consommé, au niveau mondial, plus que la planète ne peut nous donner. En France, ce jour est le 5 mai… En 1999, il y a 20 ans, le jour de dépassement avait été fixé au 29 septembre.

Le jour ou l’humain mange son capital vital

 

Le 29 juillet 2019, le « jour du dépassement », nous avons consommé, au niveau mondial, plus que la planète ne peut nous donner. En France, ce jour est le 5 mai… Si le monde entier consommait comme nous : 2,9 planètes seraient nécessaires. Personnellement, et selon un calculateur trouvé sur internet, malgré quelques efforts, j’en suis à 2,69 planètes !
L’ONG WWF détaille « À l’échelle de la planète, nous avons pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres et cultivé plus de terres que ce que la nature peut nous offrir au cours d’une année. Quant à nos émissions de gaz à effet de serre, elles ont été plus importantes que ce que nos océans et nos forêts peuvent absorber. »
En 1999, il y a 20 ans, le jour de dépassement avait été fixé au 29 septembre.
Dans les années 1970, ce jour oscillait entre fin décembre et début novembre.  
Devant un tel constat, la première idée serait de limiter la croissance pour revenir à la seule règle acceptable : l’objectif d’une consommation réduite à ce que peut fournir en 1 an notre planète !

Une croissance mortifère

Dans ces conditions comment expliquer que depuis des dizaines d’années, et encore aujourd’hui, l’on nous rebatte les oreilles avec l’augmentation de la croissance du PIB (Production Intérieure Brut), qui reste la boussole de nos économistes libéraux et néo-libéraux… Croissance « nourrie », dopée, par la consommation d’énergies dont nous avons besoin pour faire encore davantage faire fonctionner nos diverses machines.
Devenue le pilier de nos économies, l’énergie d’origine fossile, constituée de pétrole, de charbon, de gaz, fournit 83% de notre énergie. Sans elle nous n’aurions pu développer l’agriculture « industrielle » avec ses pesticides et engrais qui consomment 23% de l’énergie produite, contre 33% pour les transports, qu’ils soient routiers, maritimes, aériens, (multipliés par 250 depuis 1950 !), à quoi il faut ajouter la part de l’industrie automobile et chimique… On pourrait aussi évoquer le « poids du numérique » qui utiliserait 10% de cette énergie. Tout cela pour répondre à la demande des consommateurs, tout en augmentant le profit des actionnaires.
Le pétrole est l’énergie de la mondialisation : pas de mondialisation sans pétrole et vice-versa. Sans pétrole, en quelques semaines, la civilisation « thermo-industrielle » s’effondrerait. Nous sommes « accros » aux énergies fossiles… que nous importons, en France, à 99%, et qui se consument en émettant du CO2, des gaz à effet de serre qui favorisent le réchauffement climatique… L’utilisation abusive des combustibles fossiles, nécessaires au développement de la croissance, se retourne contre nous.
Entre croissance et C02 « l’effet ciseaux » est redoutable !

De la nature qui fait l’homme à l’homme qui défait la nature

Nous sortirions de l’holocène, période débutée il y a 11 000 ans, moment où les humains ont commencé à se sédentariser. Depuis la température moyenne n’a pas varié au-delà d’un degré. Le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995 et Eugene Stoermer, biologiste, ont défini une nouvelle époque géologique : l’anthropocène, soit l’ère de l’Homme, pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre où les activités humaines ont eu un impact global tellement significatif sur notre écosystème pour les comparer à une force géologique qui vient perturber le système Terre.
Plusieurs dates sont avancées par la communauté scientifique pour définir le moment où aurait commencé l’anthropocène !

Bruno Latour, sociologue et anthropologue, évoque Galilée. Ayant découvert, en 1610, que la Terre n’était pas le centre de l’Univers, comme il était écrit dans les livres… avec et au bout : Dieu ! Galilée avec Copernic, Kepler, Giordano Bruno ont dû se battre contre le monde unanime s’accordant sur la platitude de la Terre, selon le dogmatisme des écritures… Ces savants ont provoqué un changement radical, non seulement dans la vision de l’ordre cosmique, mais aussi un bouleversement dans la religion catholique et sa suprématie sur les esprits, et par conséquent sur l’art, le droit, plus particulièrement l’économie et la politique. Tout est bouleversé : à partir de quoi le développement humain va aller crescendo.
D’autres auteurs pensent que l’anthropocène aurait commencé au début de l’ère industrielle au XVIII° siècle avec l’exploitation des énergies fossiles qui ont décuplé nos forces et permis le développement du productivisme qui agit encore de nos jours… Depuis les années 1950, toutes les courbes s’envolent : production, consommation, population mondiale, etc. En 1970, nous n’avons pas entendu les rapports du club de Rome qui avaient prévu la disparition des espèces, des oiseaux, l’infertilité des sols, la perte de la biodiversité, etc. Lesquels rapports nous indiquaient déjà l’impossibilité de poursuivre sur le rythme de croissance des économies industrielles. (Voir ma chronique d’avril 2019 sur les risques d’effondrements)
Il aura fallu plus de 30 ans pour que la prise de conscience de la communauté scientifique devienne unanime quant au réchauffement climatique et ses conséquences. Ce que quasiment tout le monde reconnaît maintenant. Notre milieu s’est transformé sans que l’homme n’en prenne toujours conscience : disparition de nombreuses espèces, destruction de milieux naturels au profit de milieux totalement artificiels, appauvrissement des sols, avec une pollution qui se répand progressivement sur tout notre environnement, dans la terre, la mer et l’atmosphère. Nous détruisons la chaîne de la vie, donc celle de l’homme, en considérant la Terre comme un stock de ressources infinies à exploiter, à détruire.
Pas besoin de sortir d’une « grande école » pour penser que cela ne pourra durer très longtemps.

Vivre et survivre dans un espace restreint

Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus la fin de héliocentrisme, mais celui de la biosphère, (sphère de la vie). Cette mince pellicule épaisse de 19 à 20 kilomètres représentant 3/1000° du volume de la terre où l’on se trouve les êtres vivants, humains et non-humains. Cet écosystème de la biosphère représente la globalité de notre environnement. Il est extrêmement fragile, contraint, et limité. Par la rapidité, la multiplication des échanges nous vivons une nouvelle situation, désormais planétaire, qui devrait nous faire prendre conscience de notre interdépendance. Désormais des évènements, géographiquement lointains, peuvent avoir un impact près de nous, sur nous comme l’exprime la métaphore du « battement d’ailes d’un papillon à l’autre bout du monde qui peut provoquer une tornade chez nous ». Tout ceci devrait nous inciter à plus de solidarité, or c’est l’inverse qui se produit : nos sociétés sont de plus en plus fracturées, éclatées. Alors qu’il devrait y avoir unanimité, les pays se renferment sur eux-mêmes comme si les questions terrestres ne les concernaient pas !
Nous avons eu nos Galilée, Copernic, Kepler, Giordano Bruno. Qui pourrait-on aujourd’hui citer ? Les auteurs du rapport Meadows ? (1), René Dumont ? André Gorz ? Ou encore le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat, mandaté par l’ONU) ? Tous ces chercheurs, lanceurs d’alerte ont été moqués, voire traités de « déclinologues ». Nous avons préféré les discours néolibéraux des Reagan et Thatcher qui ont promu un système organisé par, et pour, les puissants sur la base d’une recherche éperdue du profit. Mais aujourd’hui nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre que l’ère du capitalisme, soit le capitalocène avec sa croissance éternelle n’est pas crédible, mais terriblement dangereux. Au regard des dégâts humains provoqués et prévisibles, on pourrait même évoquer un « capitalocide » puisque dans ses effets il ressemble furieusement à la définition d’un génocide qui va jusqu’à l’élimination physique, intentionnelle, systématique, voire acceptée d’un ou plusieurs groupes humains en raison de leur appartenance à la classe des pauvres, de plus en plus réputée inutile ! Actuellement plus de 800 millions de personnes souffrent, voire meurent de la faim sur notre planète !
Et les émissions des gaz à effet de serre continuent d’augmenter, malgré leurs impacts de plus en plus sensibles sur les gens et leur environnement tandis que la mascarade des COP qui se suivent vise à rassurer le public ! Nos gouvernants se travestissent en pseudos écologistes qui ont du mal à comprendre qu’il ne peut pas y avoir de transition écologique sans rupture avec le modèle de développement imposé par le capitalisme. Modèle qui apporte encore du confort aux consommateurs des pays développés, mais surtout à leurs dirigeants : moyennant quoi la société a du mal à s’engager dans un programme d’actions suffisantes ! Voilà pourquoi on nous donne à rêver d’une croissance verte, d’un développement durable, en prenant des mesures symboliques qui pourraient infléchir doucement le système… pour espérer que peut-être dans 50 ans…
Certains évoquent la collapsologie (Voir ma chronique de juillet 2019) dont je crains qu’elle facilite l’acceptation de l’idée que la partie est déjà perdue ! Comment se sortir d’affaire, si c’est foutu ? Dans un tel contexte, je crains l’arrivée de nouveaux prophètes qui viendront nous demander de gros sacrifices, puisque nous serions responsables, en jouant sur nos peurs archaïques, en nous annonçant la fin du monde due à nos abus de consommation, à la façon dont nous vivons… Or ce ne sont pas les pauvres gens qui sont responsables. Ils ne font que subir ce système économique, en l’occurrence capitaliste néolibéral, de notre développement, thermo-industriel, productiviste.
D’autres pensent que le système capitaliste peut encore se sauver en invoquant le fait qu’il s’est toujours adapté aux évolutions historiques, contredisant ainsi ce que Marx prédisait : la fin du capitalisme du fait de la baisse tendancielle du taux de profit… Poussés par les gains de productivité, de rentabilité du capital, les capitalistes ont su jusqu’à présent développer une imagination débordante afin de maintenir une marge nécessaire aux entreprises. Mais dans l’urgence absolue où nous sommes, l’impasse semble au bout du chemin et pour sortir de cette situation nos systèmes politiques sont « à bout de souffle » : localement, nationalement, européen (Voir ma chronique de septembre 2019).

L’enjeu c’est le choix entre récession subie avec un effondrement, ce qui semble probable ou une décroissance choisie, adaptée, planifiée (Planification qui va faire hurler les libéraux !) afin de ne pas demander plus à la planète que ce qu’elle peut donner et absorber.
La première décroissance sera celle des inégalités… Ce n’est pas aux pauvres à faire les premiers efforts. Ils n’en ont pas les moyens. Mais aux riches, aux très riches, par ailleurs les premiers pollueurs (10% des riches = 50 % du CO2). Elle prendra la forme d’une nouvelle lutte des classes car, n’en doutons pas, les riches n’accepteront pas cette option préférant le chaos dans lequel ils pensent pouvoir « sortir leur épingle du jeu ». La société devra choisir entre : le partage, l’entraide ou la concurrence, le conflit, voire la barbarie.
Fondamentalement, il n’est plus acceptable dans nos sociétés d’envisager toute forme de développement sans garantir un réel intérêt général : le bien commun qui nous permettrait d’aller sur le chemin d’une humanité meilleure. Et à partir de là nous reposer la question du sens, de l’obsession de l’accumulation matérielle. On voit bien que la décroissance est une question politique qui à terme va limiter, voire dépasser ce capitalisme que les gouvernements actuels protègent ! La décroissance nous invite à repenser une vie autrement, à sortir de toutes ces aliénations économiques, consuméristes, culturelles, matérialistes et de se réapproprier les biens communs pour des usages citoyens.

Des initiatives concrètes à tous les niveaux peuvent être prises rapidement collectivement  ou individuellement. Ce sera le thème d’une prochaine chronique, thème qui appelle à une réflexion collective.

 

Oncle JEF pour le Clairon de l’Atax le 12/10/2019

 

 

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Notes
  1. qui évoque  en 1972 les limites de la croissance[]
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