EPR de Flamanville : nouveau retard dans la mise en service. La sûreté des installations nucléaires est remise en cause par la pandémie de Covid-19.

Pendant des années le fléchage des crédits public à favorisé le secteur du nucléaire civil et militaire au détriment du secteur public de la santé. A présent les conséquences imprévues de la pandémie de Coronavirus impactent la filière nucléaire, d’autant plus que les moyens médicaux manquent à présent pour assurer son fonctionnement dans de bonnes conditions, notamment en termes de sûreté.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

Tandis qu’un nouveau retard est acté pour la mise en service de l’EPR de Flamanville, l’épidémie de Covid-19 touche personnel des centrales.  Ce ne sont pas seulement les personnels d’EDF et d’ORANO, mais aussi les employés des entreprises sous-traitantes qui sont atteints par le virus alors que les mesures de protection s’avèrent souvent insuffisantes.

Secouristes (Image par Eugen Visan de Pixabay)

Le 27 mars 2020 un décret, publié au journal officiel (1), a prolongé la date limite de mise en service de l’EPR de Flamanville jusqu’en 2024. Ceci prolonge jusqu’à 17 ans le délai accordé à EDF pour construire l’EPR. Le délai précédent était de 13 ans.  Depuis sa mise en chantier en 2007 pour une mise en service prévue en avril 2012, la date de cette échéance a connu de nombreux dérapages, dus à des incidents techniques ou des malfaçons. Rappelons que la date prévisionnelle de mise en service est ainsi passée d’avril 2012 à fin 2018/début 2019, puis à 2022 et maintenant à 2024.

Cette dernière prolongation des délais est due à un problème de malfaçons sur les soudures des tuyauteries  du  circuit secondaire d’eau à l’endroit où il traverse la double enceinte de confinement du réacteur. Cet endroit particulièrement difficile à atteindre rend les travaux de réparation complexes et délicats.

Ce report de la mise en service correspond à une victoire de l’ASN face à l’électricien nucléaire EDF.
EDF a déclaré avoir découvert les défauts sur les soudures au début 2018, mais considérant qu’ils n’étaient pas de nature à empêcher le fonctionnement du réacteur, l’entreprise avait souhaité le mettre en service au plus vite pour réaliser les réparations lors de son premier arrêt pour opérations d’entretien. L’ASN était d’un avis contraire : en juin 2019 elle a conditionné  la mise en service du réacteur au préalable de la réparation de ces soudures.

Rappelons que l’échéance de fin 2024 avait déjà été fixée par l’ASN en octobre 2018. Il s’agissait alors de “non conformités” découvertes sur le couvercle en acier de la cuve du réacteur, suite à un forgeage irrégulier de la pièce. A l’époque, sous la pression, l’ASN avait accepté le principe de la mise en service du réacteur avec son couvercle “non-conforme”, mais avait limité l’utilisation de ce couvercle à la fin 2014.

La question est maintenant de savoir si la durée de validité du couvercle “non-conforme” sera prorogée jusqu’en 2028 ou si la limite de 2024 restera valable. Et surtout dans quelle mesure les effets de la pandémie ne créeront pas de nouveaux retards dans les réparations programmées.

L’histoire de la construction de l’EPR est marquée par une série quasi continue de dysfonctionnements et de malfaçons. Selon diverses expertises, cette série noire serait due à une perte de savoir faire des opérateurs de l’industrie nucléaire française, ces derniers prétendent avoir retrouvé aujourd’hui ces savoir faire : faut-il les croire ?

Les effets du Covid-19 sur le fonctionnement des centrales nucléaires

Le développement de la pandémie du Covid-19 à gravement impacté le fonctionnement des entreprises. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quels sont les effets de cette pandémie sur le fonctionnement des centrales nucléaires, sur la santé personnel qui y travaille, et sur les éventuels risques d’accident.
Dans notre édition précédente nous avions mentionné l’existence de « plans pandémie » chez EDF et ORANO. Chez EDF ce plan, actualisé en 2011, prévoyait de maintenir une permanence dans la conduite des réacteurs, celle-ci était assurée pendant une période de 12 semaines avec 25% des effectifs absents  et pour une période de 2 à 3 semaines avec 40% d’absents.
A l’expérience de l’allongement actuel de la période de confinement on s’aperçoit que ces durées estimées peuvent être facilement atteintes. De plus la conduite des réacteurs s’avère complexe et exigeante : elle déroule des procédures très précises qui impliquent des savoir-faire et une expérience qui rendent les opérateurs difficilement remplaçables. Or le coronavirus affecte plus particulièrement les agents les plus âgés, donc les plus expérimentés, leur remplacement par des plus jeunes risque d’affecter le bon fonctionnement du pilotage des réacteurs.
Une extension de l’épidémie au sein de ce personnel aux fonctions particulièrement sensible risque d’être d’autant plus problématique que certaines équipes sont déjà reconnues comme étant en difficulté suite à des réorganisations internes. C’est ce que révèle en octobre 2019 un rapport de l’ASN suite à une inspection de la centrale de Golfech (2) qui parle d’équipes « en grande difficulté » et de défaillances dans la maîtrise des procédures !

Ce “plan pandémie” implique par ailleurs la suspension de certains travaux de maintenance,  alors que seuls les travaux nécessaires au maintien de la sûreté des installations restent maintenus. Mais cette situation devient rapidement problématique, d’une part parce que tout ne peut pas être arrêté, soit parce que des procédures ne peuvent pas être interrompues, soit parce que des travaux, non réalisés dans les temps d’arrêt prévus, entraînent des conséquences, notamment en matière de sûreté, qui impliquent des interventions plus importantes à long terme. De plus comme les travaux de maintenance sont le plus souvent délégués à des prestataires extérieurs à EDF, ceux-ci sont moins disponibles pour des interventions décidées dans l’urgence.
Enfin ce qui rend la situation encore plus problématique c’est l’absence de contrôle « sur le terrain » de l’ASN qui a suspendu sa présence physique dans les centrales pendant la durée de la crise.

Des prestataires plus exposés que les agents EDF ?

Les prestataires de service ne disposent pas des mêmes conditions que les agents EDF, engagées dans des travaux effectués dans des environnements plus radioactifs, ils ne bénéficient pas d’un suivi médical adéquat.  Le coronavirus constitue aujourd’hui un danger supplémentaire qui se superpose au danger radioactif. Ainsi pour détecter les éventuelles contaminations radioactives corporelles, chaque travailleur doit placer ses mains et ses pieds dans un portique C2 de contrôle radiologique en contact avec la peau, mais cet appareil n’es pas désinfecté entre 2 passages…). Selon certains travailleurs les entreprises prestataires qui les emploient ne leur donnent pas les moyens de se protéger contre le virus.
Tout cela crée un climat anxiogène peu propice à la qualité des travaux et au maintien de la sûreté des installations.

Tchernobyl hommage aux liquidateurs (Image par Chris Spencer-Payne de Pixabay)

Au 9 avril 2020 divers cas de contamination ont été diagnostiqués tant dans le personnel EDF que chez celui des entreprises prestataires.
Sont ainsi touchées les centrales EDF de Flamanville (40 agents contaminés), de Cattenom, de Belleville sur Loire ; de Bugey, de Fessenheim. La centrale de Gravelines fonctionne avec un tiers de ses effectifs.
L’usine ORANO de retraitement du combustible usé de la Hague a arrêté son fonctionnement le 17 mars
Des personnels de plus en plus nombreux dénoncent des risques pour leur santé, mais le nombre de contaminés dans industrie nucléaire n’est pas connu.

Pendant des années le fléchage des crédits public à favorisé le secteur du nucléaire civil et militaire au détriment du secteur public de la santé. A présent les conséquences imprévues de la pandémie de Coronavirus impactent la filière nucléaire, d’autant plus que les moyens médicaux manquent à présent pour assurer son fonctionnement dans de bonnes conditions, notamment en termes de sûreté.

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 13/04/2020

 

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Notes
  1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041759388&dateTexte=&categorieLien=id[]
  2. ASN inspection_golfech_octobre_2019-2[]
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