Approche anthropologique de la crise sanitaire

Raconter une histoire, notre histoire. Le récit est le premier remède contre tout mal.

            L’anthropologie du grec antrôpos : homme, et logos : science, parole, discours, est l’étude de la dimension sociale de l’homme, avec de nombreuses et diverses sous-disciplines : sociales, culturelles, économiques, politiques, religieuses, physiques ou biologiques voire moléculaires, ou encore la paléoanthropologie… C’est un domaine vaste et intéressant !
Citons Claude LÉVI-STRAUSS, anthropologue : « l’homme est un corps, un esprit, un être relationnel avec les autres et l’univers ».
L’anthropologie incite à « penser et comprendre » l’unité de l’homme à travers la diversité des cultures, il est question de la façon dont nous nous comportons, nous construisons notre société… et bien sûr dont nous mourrons.
D’où ma question : comment la crise sanitaire actuelle a-t-elle généré une telle épidémie de peur ? Au fond, elle nous a rappelé la fragilité de notre condition, et réalimenté nos vieilles angoisses métaphysiques, nos peurs collectives, notre rapport avec la mort, avec notre mort…

fantasme-Image par S. Hermann & F. Richter de Pixabay

Ah ! La mort !...

Dans nos sociétés, dites « civilisées », quelquefois au plus mauvais sens du terme, on « met de côté » la mort, on escamote sa présence, on jette sur elle un voile pudique. Jusqu’à, quelquefois, avoir des difficultés pour en parler. Et ceci a, immanquablement, de graves conséquences sur la façon dont nous conduisons notre vie quotidienne !
Platon et Cicéron, disaient « Philosopher, c’est apprendre à mourir ». Et Montaigne a rajouté « apprendre à mourir, c’est apprendre à vivre » Mais comment philosopher quand nous nous réfugions dans la peur ?
Thème ô combien anxiogène ! Ouvrant ainsi un vaste champ à toutes les manipulations… (Voir chronique de mai 2019 « Émancipation ou manipulation de l’individu »)

Tout commence avec Sapiens, et surement avant.
Sapiens a toujours vécu dans des milieux, où il était en grand danger, où chaque jour se posait la question de manger ou d’être mangé, et même des virus le menaçaient déjà ! Les éléments naturels qu’il ne comprenait pas comme les orages, les tremblements de terre, etc. laissaient place à toutes les interprétations. Dans un tel contexte, il fallait bien se rassurer, donner une réponse à ces peurs… C’est, pourquoi je pense que Sapiens, animal social, depuis l’aube des temps, a passé son temps à se raconter des histoires, à imaginer et construire des mythes qui nous façonnent encore. Ce ne sont jamais de pures inventions. Et si elles sont souvent factuellement fausses, elles sont bien réelles dans leur dimension psychologique !
Il s’agit en effet d’un système symbolique qui tend à répondre à la question : qui sommes-nous ?
Elie Wiesel disait : « Dieu a créé l’homme, ou le contraire, parce qu’il aimait les histoires ». 
Pas étonnant qu’à travers la civilisation, la prise de parole se fasse souvent à partir de « Il était une fois ». La bible ne débute-t-elle pas sur ces mots « Au commencement… » !  
Raconter une histoire, notre histoire. Le récit est le premier remède contre tout mal.
Imaginez Sapiens face à une mort qu’il ne comprend pas… Qu’aujourd’hui nous ne comprenons guère plus. Qui d’ailleurs a des compétences pour en parler ? Personne n’en est revenu, donc personne ne sait vraiment ce qu’est la mort. Ce qui fait dire à E. CIORAN « L’avantage de se pencher sur la mort, c’est que l’on peut dire n’importe quoi ! »

Il ne s’agit pas de vaincre la mort, mais de lui donner un sens, afin de prêter moins le flanc aux interprétations et manipulations.
Or, dans son incommensurable orgueil, l’homme veut se croire immortel. S. FREUD disait « Nous nous savons tous mortels, mais notre inconscient nous croit immortel »
Tout est mis en œuvre pour occulter cette évidence, qui pourtant nous habite dès les premiers instants de notre existence : la mort nous met les menottes aux poignets… Il peut apparaître banal de rappeler que les êtres humains soient mortels et, en même temps, il leur semble insupportable de le concevoir. Et tout sera mis en œuvre pour occulter cela…
La mort ? C’est toujours celle de l’autre. Pas la mienne !
Et sans cesse notre ego, par son imagination débordante, a construit des remparts de sécurité et d’ordre. Nous enfermant pour se protéger dans une prison faite de prétentions, de faux-semblants, empêchant ainsi une sorte de « lâcher-prise », afin de rendre l’homme plus vivant… face à la mort.
Dépasser cela, c’est entreprendre un chantier colossal dans notre société, composée d’egos de plus en plus surdimensionnés…
Par où commencer ? On pense d’abord aux religions qui parlent de la vie après la mort. Imaginez les religions sans cette peur de la mort ?

Est-ce que les êtres humains de tout temps auraient été aussi sensibles aux discours des prêtres de toute religion, et autres prophètes, s’ils n’avaient connu ni l’angoisse, ni la peur de mourir ?
Est-ce que les religions existeraient si l’homme n’était pas conscient de la fragilité de son existence ?
La mort lance un défi à la raison, suscite des croyances irrationnelles. Comme souvent avec ce que l’on ne connaît pas, la mort nourrit les superstitions… Cette faiblesse de l’individu, si c’en est une, fait toute la force des religions. Toutes nous parlent d’éternité ou de paradis, avec un éventuel purgatoire pour ceux qui auraient manqué le premier examen !
Génial ! Quelle imagination ! C’est ce que l’on appelle une croyance ! Chaque époque a ses croyances, ou a cru à cela ou à ceci.  
Nous ne comprenons pas ce passage du connu vers l’inconnu, alors que nous avons un besoin essentiel que tout soit expliqué. Tout ceci me semble humain, profondément et normalement humain. Posons que l’être humain est naturellement croyant, je dirai mieux : espérant. Souvenons-nous, toutefois, que l’espérance fait partie de la boite de Pandore. À force d’espérer le bonheur pour demain, nous oublions de vivre aujourd’hui…
DIDEROT pensait : « Dieu est une invention qui fournit aux questions particulièrement métaphysiques, des réponses si obscures et si insatisfaisantes, qu’elles poussent des hommes à se haïr, et à s’entr’égorger »
Le XIX° siècle a cru dans la République, le XX° siècle dans les Révolutions… Et le XIX° siècle ne croit ni à l’une, ni à l’autre.

Depuis 200 ans, au début de la révolution industrielle, nous avons construit, développé un système, basé sur le scientisme, autour d’une nouvelle croyance car il faut bien échanger ; celle en notre nouveau dieu immatériel, intemporel et incontournable : le Marché ! Tel un dieu… « IL est » et édicte sa loi : celle du marché. Tout ce qui n’est pas inscrit dans la « loi du marché » est rejeté. Et ça tombe bien : sa « main serait invisible » ! Se soustraire à sa volonté, s’en écarter, c’est être classé péjorativement comme hérétique… Souvenons-nous qu’est considéré comme hérétique quelqu’un sortant du cadre, chose qui aujourd’hui me semble plus que jamais nécessaire… Aujourd’hui, ne pas vouloir changer est une forme de suicide.
Le dieu Marché a construit son système qui exerce une influence majeure en utilisant tous les outils des ordres religieux… Il élève des temples : sa bourse avec son crédo monétaire. Ses centres commerciaux pour le bas peuple, avec sa loi du pouvoir d’achat, son rite des soldes, ses slogans publicitaires qui ont pris le relais des discours religieux, tels des évangiles, tout aussi prometteurs, voire trompeurs… créant des illusions consuméristes… Et les consommateurs ont le sentiment d’y retrouver leur compte, voire de quoi espérer (encore !). Ses prêtres, prédicateurs et moines soldats, formant un clergé médiatique : des « experts économistes », des « éditocrates », omniprésents dans les médias, lesquels sont aux mains des plus riches. Ils diffusent leurs mantras, leurs prêches constamment. Ils nous sermonnent en reprenant l’idée du paradis qui alors serait terrestre… Souvenez-vous d’Alain MINC avec sa « mondialisation heureuse ! » En fait de paradis sur terre, je ne vois que les paradis fiscaux, avec un enfer pour les plus pauvres !
Sans oublier, bien sûr, le haut clergé de ce dieu Marché, formé par une élite, qui prétend servir l’État, qui est normalement en charge du bien commun et qui a trahi le peuple en devenant une oligarchie travaillant pour les biens privés de personnes hyper minoritaires et ultra-influentes… Pour ceux-là, il faut que nous consommions pour que la machine économique, guidée par le dieu-marché, fonctionne et croisse !

Le dieu-marché, comme les religions jadis, a organisé nos vies et notre société entre :

  • Ceux qui travaillent risquent constamment le burn-out (voire le bore-out), occupés dans des luttes quotidiennes compétitives, à la recherche du bien-être par une consommation frénétique, assurée par une ascension hiérarchique continue. Un travail accablant !
  • Et ceux qui sont exclus et culpabilisés, qui se débattent dans des contraintes économiques, sociales journalières. Une activité épuisante !

Dans les deux cas, tellement attirés par la possession et la consommation, nous passons notre temps à « gagner » notre vie… pour peut être finalement la perdre ! Une forme de « bougisme », qui nous laisse peu de temps pour nous-mêmes ou pour les autres, ou encore pour s’engager dans des actions politiques, syndicales, associatives, culturelles, artistiques, etc. Le marché produit des richesses, il ne produit en soi ni solidarité, ni valeurs, ni projet, ni sens.
Et tous, nous nous retrouvons devant des informations, souvent télévisuelles, invasives, composées de temps de publicité mixés avec des temps de propagande… Le tout suivi d’un feuilleton ou d’un film qui vous emmènera dans les bras de Morphée avec l’aide d’un tranquillisant ! 
Toujours moins de temps disponible dans nos cerveaux pour réfléchir à ce que nous sommes, ce que nous faisons! 
Le discours dominant, économique et médical, rend nos sociétés malades par l’angoisse qu’il génère. Il s’agit de considérer la vie comme un combat et la mort comme un échec… Pour affronter cela, chacun se drogue, soit à l’argent ou au pouvoir, ou encore d’autres substances reconnues comme toxiques, tels le tabac, l’alcool sans oublier l’arsenal de drogues illicites.
Dans ces conditions, comment s’étonner que les humains se sentent mal… Alors ils se précipitent chez le psychiatre, le médecin, le pharmacien… Ils s’empoisonnent la vie en consommant des montagnes de médicaments pour le plus grand bonheur de « Big pharma ».  

Et voilà qu’un virus invisible viendrait, par la peur qu’il entraîne, faire turbuler le système encore davantage ! Dans ce moment où nous avons détruit dieu, nous allons perdre notre religion consumériste ? Et la peur se développe, ouvrant un champ illimité aux manipulations, ici, maintenant et ailleurs.
Face à cela, quelles stratégies développer ?
Celle de la « servitude volontaire » décrite par La BOÉTIE en 1576. (Voir chronique du mois d’octobre sur la manipulation du coronavirus), ou à l’opposé, celle proposée par Hannah Arendt qui évoque l’esprit de désobéissance et qui nous dit « quand quelque chose ne tourne pas rond dans la société, il faut résister, la désobéissance morale est la clé du progrès ».
Alors servitude ou désobéissance ?
Rosa Luxembourg répond : « Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaines »

Servitude ? On y va ! Avec l’annonce d’un « passeport sanitaire », réservé à ceux qui suivent les consignes, ceux qui seront vaccinés, ceux qui accepteront d’être traqués au moyen leurs smartphones ; tout ça en attendant de « bénéficier », comme en Chine, du « crédit social », réservé à ceux qui ont un bon comportement. Tu obéis et tu as droit. Sinon tu es puni !
Désobéissance ou remise en cause du système ? Pouvons-nous continuer à nous laisser contrôler par une poignée de névrosés, voire de psychopathes et leur opposer à une petite poignée de résistants pour sauver notre monde et proposer autre chose ?
Combien se disent libérés alors qu’ils adorent la servitude ?
Et voilà où nous mène la peur, particulièrement celle de mourir, dans ses différentes conséquences. Souvenons-nous que tant que nous aurons peur, nous ne serons pas dangereux. Si nous sommes incapables de vaincre cette peur, d’acquérir la liberté d’action nécessaire pour affronter les enjeux écologiques colossaux qui peuvent aller jusqu’à la mise en péril de notre société, voire de l’humanité, alors quelle chance avons-nous d’éviter l’effondrement de cette société ?  

Pour conclure
Imaginez, 2 minutes, que notre société se mette à changer, à partir d’une réflexion authentique sur la mort et sur le sens de notre vie, de nos vies. Beaucoup de choses seraient alors différentes : tant au niveau de la problématique de l’avoir et de l’être… que de l’éducation de nos enfants, des jeunes, des vieux, de la maladie, de l’habitat, du travail, de l’urbanisme… etc.
Nous pourrions alors construire une autre philosophie de la vie, qui pourrait modifier notre existence.
Incontestablement, notre société contemporaine a besoin d’autres histoires que celles qui nous sont serinées et que nous répétons à notre tour, en creusant notre malheur. Posons-nous la question : que valent ces mythes et ces histoires qui circulent aujourd’hui dans notre société ?
Question ô combien difficile qui justifierait de nombreux débats, de nombreuses remises en cause. Ceci au moment où notre société étouffe derrière des masques improbables et des confinements destructeurs de notre société.

Oncle JEF pour le Clairon de l’Atax le 16/11/2020

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