L’aqueduc des sources de Fontfroide près de Narbonne, une richesse patrimoniale en péril.

L’aqueduc des sources de Fontfroide est un témoignage très lisible de la manière dont les anciens ont traité sur le long terme la problématique de l’eau.

Le projet de protection de Narbonne contre les inondations du Rec de Veyret menace et met en lumière un patrimoine méconnu.

Deux “montjoies” sur l’acqueduc et le chateau du Castellas (photo LF)

L’aqueduc des sources de Fontfroide

Narbonne n’a conservé presqu’ aucune trace de ses aqueducs antiques. Quelques indices dans la Clape ou à Sallèles suggèrent un réseau étendu approvisionnant en eau une cité populeuse et prospère. Mais rien n’a résisté au temps et au spectaculaire effondrement de la cité au XIVème siècle, fruit de la combinaison d’inondations catastrophiques, de la Peste Noire, de l’ensablement du port, de la modification du cours du fleuve et des pillages du Prince Noir.

A la toute fin du moyen-âge, l’alimentation en eau de la ville, pourtant très dépeuplée, était particulièrement préoccupante. Elle reposait sur un ensemble de puits privés et sur les eaux souvent insalubres de la Robine. Dès 1412, les consuls de la ville négocièrent avec les seigneurs locaux les droits sur les eaux des sources du Duc, de l’Auriol et de Saint-Pierre-des-Clars qui se trouvent aujourd’hui sur la commune de Montredon-Corbières. Ensemble elles étaient susceptibles de fournir 300 m³/jour d’une eau de qualité. Cette quantité demeurera suffisante jusqu’à la fin du XIXème siècle.

En 1501, les sources étaient captées et reliées à Narbonne par des canalisations souterraines via un réservoir près du Castellas, un château médiéval en ruine. Les canalisations en terre cuite amenaient les eaux jusqu’à la ville par gravité en suivant à quelques mètres de distance le Rec de Veyret, un cours d’eau sec l’essentiel de l’année, et la route vers l’abbaye de Fontfroide pour un total de 8,3 km.

163 regards en pierre au toit voûté, appelés localement montjoies furent progressivement construits pour faciliter l’entretien. Les canalisations s’entartraient, s’obstruaient ou étaient écrasées régulièrement par des charrettes. Elles furent même plusieurs fois ponctuellement emportées par les crues du Rec de Veyret.

L’aqueduc, devenu obsolète, fut vendu en 1931 par la ville de Narbonne à la commune de Montredon-Corbières. Sa partie amont près du Castellas, a été remarquablement conservée jusqu’à aujourd’hui.

Un patrimoine inscrit

Le collectif pour la protection et l’aménagement du Rec de Veyret (Coparec), puis la commune de Montredon-Corbières, fin 2021, ont déposé une demande d’inscription  de l’ouvrage du XVIème siècle.

Moins de deux ans plus tard, en mai 2023, le site était inscrit au titre des Monuments Historiques. Les regards permettant l’entretien de l’ouvrage, les montjoies, ont retenu l’attention des architectes des monuments historiques car ils marquent le paysage par leur style et leur régularité. 

En effet, les passants qui empruntent la D613 depuis le littoral vers les Corbières sont intrigués de découvrir, de part et d’autre de la route, à hauteur des ruines du Castellas, des alignements de plusieurs dizaines de cabanes au toit voûté. Le promeneur qui les suit à travers les vallons plantés de vignes retrouve immanquablement les sources. Les services chargés de la protection des monuments historiques sont catégoriques : “Des aqueducs d’amenée d’eau pour une ville, il y en a peu, il s’agit de patrimoine peu pris en compte, une œuvre de génie civil rare. Il y a un réel intérêt historique pour ce monument, qui est très bien attesté dans les archives.”

L’inscription du monument au titre des monuments historiques implique la création d’abords de 500 mètres autour du monument, une zone dans laquelle tout permis sera soumis à un avis de l’architecte des bâtiments de France.

Conflit d’intérêt général

Le monument a fait l’objet d’une soudaine attention car il est menacé. Il est au cœur de l’emprise où doit se dresser l’ouvrage écrêteur de La Plaine, pensé par ses promoteurs comme essentiel à la protection de Narbonne contre les inondations du Rec de Veyret. Cet ouvrage aux dimensions imposantes, doit venir barrer l’alignement des montjoies et détruire la continuité du monument. Le chantier de grande ampleur doit aussi mener à déporter la route départementale sur la ligne de crête.

L’ensemble du projet est porté par le Syndicat Mixte du Delta de l’Aude (SMDA). Celui-ci avait passé une étape déterminante fin 2022. La commission mixte inondation (CMI) du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires avait donné un avis favorable sans réserve pour le programme d’actions de prévention des inondations (PAPI 3) du bassin de l’Aude chiffré à 75 millions d’euros sur la période 2023-2029 et incluant l’ouvrage.

La plus grosse part de ce budget est fléchée pour prévenir les dégâts d’une crue centennale du Rec de Veyret. L’ouvrage écrêteur de la Plaine est au cœur de la solution technique retenue.

Le directeur du SMDA, Laurent Triadou, affirme dans le journal « l’Indépendant » ne pas être inquiet. Il s’était déjà distingué en traitant les montjoies de “cabanes”. Il compte sur l’obtention de dérogations, admises pour des motifs d’intérêt général, et promet de réduire l’impact de l’ouvrage. Ces modifications ne manqueront pas d’élever encore le coût final  du projet.

Il est également d’intérêt général de préserver le patrimoine et l’environnement. Pour traiter ce type de dilemme, la doctrine promeut l’application de la séquence “éviter – réduire – compenser“.

Avant de chercher à réduire l’impact, le SMDA devra donc commencer par justifier que la destruction de ce patrimoine ne peut pas être évitée. Pour cela, le SMDA devra pouvoir prouver qu’il n’existe aucune solution alternative. Or plusieurs autres solutions ont été écartées à des stades précoces sur des hypothèses budgétaires désormais obsolètes.

Finalement l’obstacle pourrait se révéler plus grand que ne l’anticipe le directeur du SMDA.

Les fontaines de Narbonne complètent ce patrimoine singulier

Pour être préservé, le patrimoine a besoin d’être mis en lumière. L’inscription de l’aqueduc des sources de Fontfroide est une aubaine qui invite à s’intéresser aux traces qu’a laissé le circuit de l’eau dans la ville.

Depuis Montredon, l’aqueduc entrait dans la ville en suivant un chemin parallèle à l’avenue de Bordeaux et à l’antique Via Aquitania des romains. Son tracé correspond à la voie ferrée actuelle jusqu’au nœud ferroviaire. Au XIXème siècle, un limonadier s’installa avenue de Toulouse pour utiliser cette eau de source. Près de la place des Pyrénées, l’aqueduc entrait dans l’enceinte fortifiée. De là une dérivation alimentait l’hôpital. Les remparts avaient disparu lorsqu’en 1894 un généreux notable narbonnais, appuyé par une subvention de la municipalité, fit construire la fontaine des Angelots qui magnifie la place Voltaire. Jusque dans les années 1930 elle servit, en plus de sa fonction d’ornement, à alimenter le quartier déshérité de la Charité en eau potable.

L’aqueduc descendait ensuite la rue de la Parerie jusqu’à la place des Quatre fontaines où coulait la fontaine de Bourg. Puis il traversait la Robine pour alimenter la fontaine de Cité qui subsiste, ornée de trois dauphins, contre le donjon Gilles Aycelin sur l’actuelle place de l’Hôtel de Ville.

Mais le trajet de l’eau des sources de Fontfroide ne s’arrêta pas là bien longtemps. Les archevêques firent installer une machine hydraulique sur la Robine en même temps qu’était construit un moulin à proximité. Ce bâtiment abrite aujourd’hui l’office du tourisme. La machine hydraulique, une curiosité, élevait l’eau qui traversait la Robine sur un aqueduc dont subsistent certaines photos et allait alimenter une fontaine dans les jardins de l’archevêché. Plus tard, une conduite amena cette eau encore plus au nord, près de l’église Sain Sébastien sur l’actuelle place du forum où la fontaine subsiste. La fontaine initiale fut érigée en 1676 comme l’indique l’inscription “Anno Domini MDCLXXVI”.

L’aqueduc des sources de Fontfroide est un témoignage très lisible de la manière dont les anciens ont traité sur le long terme la problématique de l’eau. Pendant 4 siècles, un simple tuyau accessible pour les opérations d’entretien a répondu aux besoins de la ville. Ce n’est pas une légende, nous pouvons encore le suivre. A l’heure ou la question de l’eau devient cruciale, à l’heure où nous réapprenons à privilégier le simple et le robuste sur le consommable, ce patrimoine est beaucoup plus qu’un vestige obsolète. Pour le sauver il faut le faire connaître. Venez le visiter avant que des bétonneurs de courte vue ne le détruisent. Peut-être les forcerons-nous à réfléchir ?

A Montredon, pour découvrir les Montjoies et les sources aux pieds du Castellas, la municipalité organisera une journée “la ronde des sources” le 11 juin.

 

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 20/05/2023

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3 commentaires

Plein de choses que je découvre avec cet article. Difficile à imaginer le réseau, informations à suivre. merci

Gerber Mariette

particulièrement intéressant en ces temps probables de pénurie d’eau

Merci pour votre appréciation. Espérons que cet article pourra modestement contribuer à une réflexion sur la gestion de l’eau dans la Narbonnaise et pourquoi pas remettre en question le bien fondé du barrage écrêteur du Castelas

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