Vers un démantèlement d’EDF ?

Le -plan Hercule- qui vise à sauver EDF présente dans sa forme actuelle de nombreuses incohérences et de nombreux risques, ce qui peut faire douter de sa réalisation si on se place sur le plan de la raison, mais la situation de la filière nucléaire et de son opérateur EDF sont telles qu’on ne peut pas parier à coup sûr sur une victoire de la raison.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

« Si je devais utiliser une image pour décrire notre situation, ce serait celle d’un cycliste qui, pour ne pas tomber, ne doit pas s’arrêter de pédaler. »
                                  Jean Bernard Levy, PDG d’EDF, audition sur le nucléaire à l’Assemblée Nationale, le 7 juin 2018

Tandis que la dette d’EDF s’élève à présent à 42,4 Mds € et que la crise du Covid plombe encore plus ses comptes d’1,5 Mds €, rien ne semble indiquer une amélioration qualitative du fonctionnement de la filière nucléaire. Bien au contraire, les incidents se poursuivent ici et là, tandis qu’EDF prépare ses autorités de tutelle à de nouveaux retards pour la mise en service de l’EPR de Flamanville et pour le chantier d’Hinkley point, avec pour conséquence de nouveaux dérapages des coûts.
Pendant ce temps EDF négocie avec la Commission Européenne un plan de restructuration de l’entreprise, dit plan « Hercule », qui a reçu l’aval du gouvernement.
Hercule est ce héros de la mythologie grecque qui en guise de punition fut condamné à exécuter 12 travaux réputés irréalisables…

Centrale nucléaire EDF du Tricastin 4 réacteurs de 900 mégawatt Image par falco de Pixabay

Le plan Hercule

Il vise à répondre à une double contrainte : d’une part se conformer aux règles de libre concurrence édictées par la Commission européenne (1), d’autre part tenter de résoudre la question des énormes investissements nécessaires au maintien de la filières nucléaire (chantiers EPR, entretien + grand carénage) et à la construction de nouveaux réacteurs (6 EPR).

Le scénario :
Il s’agit de scinder les activités actuelles d’EDF en 2 ou 3 paquets :

  • Le nucléaire serait regroupé dans EDF Bleu
  • L’hydroélectricité serait regroupée dans EDF Azur , mais pourrait être intégrée dans EDF Bleu la question ne semble pas réglée
  • Les énergies renouvelables, la distribution et la commercialisation de l’électricité serraient logées dans EDF Vert dont le capital serait ouvert aux investisseurs privés.

Ce découpage consacrerait la séparation définitive entre l’activité production et l’activité vente d’électricité, que les fondateurs d’EDF en 1946 avaient voulu loger dans la même structure publique.

La publication du -Plan Hercule- a entraîné de nombreuses réactions dans les milieux syndicaux, mais aussi, fait plus rare, de la part d’anciens responsables de l’entreprise. Ces derniers reprochent au plan de mettre fin à la continuité entre production et vente au sein d’un ensemble intégré, sans résoudre le problème crucial du financement de l’activité production.
Pour les syndicats l’ouverture du capital d’EDF Vert serait une menace pour les salariés. Ainsi, selon Philippe Page Le Mérour (CGT), secrétaire du comité social et économique central (CSEC) d’EDF SA. “L’activité commerciale d’EDF et de ses 8.000 salariés se retrouverait finalement dans la jungle du dumping social et commercial et EDF deviendrait une entreprise comme les autres en tant que fournisseur“. De nombreuses manifestations marquent l’opposition quasi générale des salariés à ce projet…

Les tenants et aboutissants du -plan Hercule- :
On pourrait, dans un premier temps, interpréter ce projet comme un classique d’une gouvernance néolibérale : on socialise les pertes et on privatise les profits, puisque les activités du secteur commercial d’EDF (Enedis) sont tout à fait rentables. Mais les profits dégagés  ne seraient pas à la hauteur de l’énorme besoin de financement de la filière nucléaire.

De fait, 2 facteurs ont fortement contribué à cette situation d’endettement d’EDF, qui l’empêchent de faire face aux besoins de la filière nucléaire, mais plus généralement à une concurrence de plus en plus forte. Il y a d’une part, les choix financièrement catastrophiques du développement EDF à l’international (2), d’autre part le manque à gagner dans la vente d’électricité nucléaire occasionné par le dispositif de l’ ARENH (3), négocié avec Bruxelles afin de conserver un fonctionnement intégré entre production et et vente d’électricité et contourner l’aspect monopolistique de l’entreprise. Ce dispositif ARENH qui fixe un tarif hors marché pour une partie de l’électricité nucléaire produite, aurait fait perdre entre 5 et 10 Mds € en 10 ans.

Des incertitudes et des risques :
Regrouper les actifs du nucléaire dans –EDF Bleu– à capitaux uniquement publics, implique que les besoins de financements seront assurés par de l’argent public, ce qui risque de « coincer » au vu des l’ampleur des investissements nécessaires, lesquels provoqueront des arbitrages politiques délicats. EDF Bleu pourrait, en cas d’arbitrages défavorables, évoluer vers une structure de défaisance, une sorte de cimetière à actifs.
EDF Vert– sera ouvert aux capitaux privés, ce qui peut être positif pour financer le développement des énergies renouvelables et en partie du nucléaire, mais cela peut aussi être un Cheval de Troie favorisant des OPA inamicales de grand groupes du secteur des énergies fossiles (par ex : Total), ou d’opérateurs du numérique en recherche de diversification profitable de leurs activités. Ainsi ENEDIS et ses compteurs –Linky- communicants seront une véritable aubaine pour les opérateurs du numérique (GAFAM).
Le -plan Hercule- posera, s’il est mis en application, des problèmes de statuts des personnels et de gestion des ressources humaines, puisqu’il crée avec EDF Vert une structure à caractère privé, à coté des 2 autres structures qui demeurent publiques.
La séparation EDF Bleu / EDF Vert va scinder les activités de réseau d’EDF en 2 parties distinctes le transport d’électricité assuré par RTE, qui reste dans EDF Bleu, et la distribution avec ENEDIS,  qui revient à EDF Vert entreprise privatisée. Alors qu’au plan physique ce réseau était cohérent, les lignes RTE étant prolongées par les terminaux de distribution ENEDIS, on voit mal comment pourront s’articuler ces 2 parties gérés l’une par une entreprise publique, l’autre par une entreprise privée.
Enfin la répartition des activités d’EDF, prévue dans le –plan Hercule-, ne semble pas respecter les directives européennes qui stipulent la séparation en entités patrimoniales distinctes de la production, du transport et de la distribution. Or dans ce projet, RTE serait situé dans la production (EDF Bleu). Et que dire de FRAMATOME entreprise publique intégrée à EDF Bleu qui vend des centrales et du matériel nucléaire qu’elle produit et qui de ce fait relève de la production et de la distribution.

Le -plan Hercule- dans sa forme actuelle, présente à la fois de nombreuses incohérences et de nombreux risques, ce qui peut faire douter de sa réalisation, si on se place sur le plan de la raison. Mais la situation de la filière nucléaire et de son opérateur EDF sont telles, qu’on ne peut pas parier à coup sûr sur une victoire de la raison.

 

EPR de Flamanville : « risque élevé » de dérapages

Une étude diffusée par EDF le 18 février dernier, confirme les déclarations de son PDG Jean-Bernard Levy devant une commission sénatoriale : le « calendrier » de l’EPR est très tendu et le risque de dérapages en termes de calendrier et de coûts finaux de construction est « très élevé ». (4).
La faute en incomberait à l’épidémie de Covid-19, notamment à l’impact du 1er confinement sur le chantier.
Malgré cela le PDG d’EDF affirme que le chargement en combustible nucléaire de l’EPR se fera fin 2022.
Rappelons que selon la dernière estimation faite en octobre 2020, le coût de l’EPR évalué à 10,9 Mds € en 2019, est passé à 12, 4 Mds, soit plus de 4 fois le coût initial estimé à 3,3 Mds € en 2004.

Chantier EPR d’Hinkley Point : 6 mois de retard

Le retard du chantier de construction par EDF des 2 EPR anglais à Hinkley Point a été annoncé fin janvier. EDF précise que ce retard n’est pas dû à des problèmes techniques, mais qu’il est, comme en France, dû au confinement en Angleterre. Ce retard de 6 mois va générer pour les 2 EPR un surcoût de 500 millions €, pour une facture totale estimée jusque là à 25 Mds € et une livraison prévue vers juin 2026 pour la première tranche de travaux.

Les chantiers de construction d’EPR en Europe, menés par EDF enFrance et en Angleterre, ou par AREVA en Finlande, connaissent de nombreux avatars. Les 2 constructeurs opposent aux critiques visant leur savoir faire, l’argument que ces EPR représentent des têtes de série et que ces retards sont donc normaux et qu’ils ne se reproduiront pas sur les futurs EPR successeurs. Cet argument est mis en doute, lorsqu’on compare les 12 ans de retard du chantier de l’EPR Finlandais, les 10 ans de retard de l’EPR Français avec les 2 EPR Chinois qui fonctionnent à Taishan depuis 2 ans, après 10 ans de travaux.

 

Curly Mac Toole & Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 19/02/2020

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Notes
  1. cf.loi Nome : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000023174854/ 2010[]
  2. cf. échec du réacteur de Clavert Cliffs / USA, ou montage financier scabreux du projet des 2 EPR d’Hinkley Point qui a entraîné l’opposition et la démission du directeur financier d’EDF[]
  3. Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique, pour en savoir plus : https://www.connaissancedesenergies.org/nucleaire-quest-ce-que-larenh-180730[]
  4. ndlr : à force de lire la communisation de la filière nucléaire on ne peut qu’être frappé par l’emploi constant d’euphémismes, censés masquer l’importance des événements[]
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