Présidentielles 2022 : lettre aux lecteurs circonspects

Alors oui, il faut voter au second tour des présidentielles comme au premier tour, mais que choisir pour ceux qui ne se reconnaissent dans aucun des candidats en lice : vote barrage, vote utile, ou vote blanc ?

Crocodile : qui sera dévoré ? (image MartinStr de Pixabay)

On pourrait s’attendre, en Démocratie, que toute personne élue arrivant en fin de mandat, fasse le bilan de son action et rende ainsi compte à ceux qui l’ont élue comment elle avait mis en œuvre le mandat qui lui a été confié. Pour que ce bilan ne tende pas vers un plaidoyer «pro domo» ou un acte de propagande, il est important qu’il fasse l’objet d’un débat public contradictoire. Refuser ce genre de débat, c’est remettre en cause une pratique essentielle à la démocratie ; a fortiori lorsque ce refus émane de celui qui se trouve au sommet de l’État et dispose des pouvoirs quasi discrétionnaires que lui donnent les institutions de la Vème République. (1).

Pourtant E. Macron, président sortant de la République française et candidat à sa propre succession, a décidé de ne pas se prêter à ce bilan contradictoire et de ne pas s‘exposer aux critiques de ses concurrents, du moins pas pour le 1er tour des élections. Venant d’une personne qui concentre autant de pouvoirs et les exerce déjà de façon quasi-autocratique, ce refus d’un débat critique est très inquiétant : les glissements progressifs vers la dictature de chefs d’état démocratiquement élus, sont nombreux et bien documentés dans l’histoire contemporaine. De plus, depuis sa candidature et tout au long de son mandat (2), E. Macron a laissé paraître avec quelle désinvolture, voire en quel mépris il tenait le peuple français, ce demos qui l’avait élu président de la République.
Certes, les affidés et obligés qui entourent le chef de l’État, mettent en avant la crise ukrainienne et ses responsabilités de Président de l’Union Européenne pour justifier son absence dans le débat pré-électoral. Aurait-il ainsi des choses si importantes à faire, qu’il lui serait impossible de trouver le temps de justifier ses actions à la tête de l’État et de défendre le programme qu’il compte mettre en œuvre s’il était reconduit ?

Cette absence de débat contradictoire est d’autant plus fâcheuse que le bilan d’E. Macron fait l’objet de critiques nombreuses et variées de la part de ses adversaires, mais aussi dans son propre camp.

L’objet de cet article n’est pas de reprendre ces critiques, nous en exposons quelques-unes dans nos articles, mais de faire le constat des décalages, revirements, contradictions, entre ce qu’il annonçait lors de sa candidature en 2017 et à divers moments de son mandat et les mesures réellement prises, ainsi que les actions effectivement menées.  
A certains moments sa gouvernance relève de la duplicité : ainsi lorsqu’il annonce un «Grand Débat» censé recueillir les doléances et propositions du pays et qu’il monopolise la parole tout au long de réunions / spectacles ; ainsi lorsqu’il assure aux participants de la Convention Citoyenne pour le Climat : “Ce qui sortira de cette convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre, soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe.” alors que, par la suite, il censure d’autorité une partie de leurs propositions et rogne ou modifie certaines autres qui ne l’arrangent pas !

En définitive, malgré les annonces de gouvernance «disruptive», faites lors de la campagne électorale de 2017, le mandat d’E. Macron a privilégié une gouvernance technocratique où, persuadé de connaître ce qui est bon pour le peuple, il n’a pas écouté et pris en compte ce que ce peuple considérait comme bon pour lui.

Au cours de son mandat E. Macron a considérablement affaibli l’exercice de la démocratie en France. En tant que candidat à sa succession, il réduit le débat contradictoire à sa portion congrue, ce qui contribue à relativiser le mandat “vrai” dont il pourra se prévaloir s’il est élu. Et le ré-élire, c’est glisser vers le renforcement d’un libéralisme autoritaire, susceptible de déboucher sur encore pire…

Que faire ?

En tout cas il faut voter au premier tour comme au second. L’abstention n’embête personne dans les allées du pouvoir, mais chez les citoyens qui risquent de se retrouver gouvernés par des gens qui ne représentent qu’une part minime des Français. L’abstention peut même en arranger certains : en France il n’y a ni dans la Constitution, ni dans le code électoral, d’article définissant un seuil d’abstention en dessous duquel une élection est annulée. Et cela est vrai pour toutes les élections.

Que voter au second tour, si… ?
Sauf coup de théâtre, il semble actuellement que le choix des électeurs, à l’issue du 1er tour des présidentielles 2022, sera de voter pour un président sortant qui a prouvé pendant 5 ans qu’il ne fait que rarement ce qu’il promet, ou pour un candidat ou une candidate qui font des promesses, mais dont on a aucune possibilité de vérifier la sincérité et la crédibilité.

Alors que faire si on n’a foi en aucun des 2 candidats présents au second tour ? On peut réfléchir à la manière de dépasser ce dilemme…

Il s’agit d’éviter un certain nombre de pièges.

Il y a le piège de l’abstention : si, découragé du choix offert, on décide de ne pas aller voter, on renonce d’une certaine manière à sa qualité et à son pouvoir de citoyen. En démocratie le peuple est souverain : à qui va le pouvoir si le peuple renonce à l’exercer ?

Il y a le piège du vote barrage : au fond de la nasse électorale, fabriquée il y a déjà 20 ans, on avait inventé pour piéger l’électorat, un appât qui a jusque aujourd’hui démontré son efficacité : c’est le “barrage républicain” !
Schématiquement cela fonctionne ainsi : en prévision du second tour des présidentielles, les forces politiques néo libérales au pouvoir, leurs soutiens médiatiques et leurs commanditaires, choisissent celui des deux candidats qui leur semble le mieux incarner “le changement dans la continuité” (sic) (3). Celui-ci est alors adoubé par l’establishment et les médias comme le bon, le gentil, l’efficace, le sérieux, le fiable, etc., tandis que son adversaire est présenté comme la menace, le dangereux, le mauvais, l’incapable, l’instable, etc. Devant la perspective de tant d’horreurs, les indécis, les déçus du choix proposé, les adversaires modérés du “gentil”, sont censés se rallier en masse au “gentil” et voter pour celui qui incarne alors à leurs yeux “le moindre mal”. Et jusqu’à présent ça a marché, lorsque l’un des deux partis de gouvernement était absent au second tour ! En 2002, le «gentil Chirac de la fracture sociale» gagne avec 81,21% des suffrages exprimés contre l’affreux Jean Marie Le Pen ; en 2017 , Emmanuel Macron, avec 24,01 % des suffrages exprimés au 1er tour, passe à 66,10% au second tour grâce au repoussoir Marine Le Pen.
Beaucoup d’électeurs ont par la suite regretté leur vote au second tour pour E. Macron qui s’est avéré à l’usage pire qu’ils ne le pensaient.
Mais ce piège à électeurs présente un autre risque : le candidat élu au second tour grâce à ce mécanisme, peut se prévaloir d’une légitimité qui ne correspond pas à la réalité puisqu’il a bénéficié d’un vote par défaut, d’un vote contre son adversaire.

Alors comment échapper à cette nasse électorale qui pourrait à nouveau se mettre en place au second tour des élections 2022 ?
Les chances que ce piège soit massivement déjoué sont minces : faut-il pour autant renoncer à se battre ?
Rappelons tout d’abord que si le pouvoir d’un président élu sous la Vème République est très / trop important, il repose tout de même en grande partie sur une majorité parlementaire acquise à sa cause. Or deux mois séparent les présidentielles 2022 des législatives qui leur succèdent : dans ce laps de temps très court, la dynamique des élections présidentielles peut fonctionner et doter ainsi le président élu, ou la présidente,  d’une “majorité à sa botte”. Cela se fera d’autant mieux que son score aux élections aura été haut, donc que sa légitimité aura l’air établie. A contrario, le fait qu’une présidente / un président soit élu avec un score relativement médiocre peut freiner la dynamique susceptible de lui apporter cette majorité parlementaire propice.
C’est pourquoi les électeurs qui ne se reconnaissent dans aucun des candidats présents au second tour et qui votent blanc le 24 avril prochain ne commettent pas un acte dérisoire et inutile.

Le vote blanc : un outil pour les citoyens ?
Depuis  2014 la loi distingue le vote blanc du vote nul (4) Le vote blanc consiste à déposer dans l’urne une enveloppe vide ou comportant un papier blanc vierge. Il se distingue du bulletin classé nul qui peut comprendre divers contenus.
L’article 1er de la loi n°2014-172 du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections stipule : « Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc. »
En l’état actuel le vote blanc ne pèse pas directement sur les élections puisqu’il n’entre pas en compte pour la détermination du résultat, par contre il peut avoir des conséquences post-électorales significatives, lorsque se pose la question de la légitimité du candidat vainqueur à représenter le peuple. Ainsi 3 ans après la loi de 2014 précitée, lors de la présidentielle de 2017, les votes blancs et nuls ont atteint le taux record de 11,47% des votes, soit 4 069 256 votants qui n’ont pas choisi E. Macron pour président de la République : ce n’est pas rien !

Alors oui, il faut voter au second tour des présidentielles comme au premier tour, mais que choisir pour ceux qui ne se reconnaissent dans aucun des candidats en lice : vote barrage, vote utile, ou vote blanc ?

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 18/03/2022

Print Friendly, PDF & Email
_______________________
Notes
  1. cf. : particulièrement la Constitution d’après 2002, qui fait suivre les législatives peu après les présidentielles[]
  2. cf. : épisodes des kwassa kwassa, de «la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler», des «gaulois réfractaires au changement», des «gens qui ne sont rien», etc.[]
  3. ndlr. Il s’agit du génial slogan électoral du Président Georges Pompidou (1969/1974). Celui-ci, agrégé de lettres, avait réussi du premier coup en 1931 le concours d’entrée à l’École Normale Supérieure[]
  4. voir https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000028636783[]
_______________________

Laisser un commentaire