Macron : de l’autocratie à la démocratie ?

. Considérer l’autre en position d’égalité, constitue un plier incontournable de la démocratie.

Les temps peuvent changer (images de Mohammed Hassan de Pixabay)

Stupeur et tremblements dimanche soir 19 juin 2022 après le second tour des législatives : Emmanuel Macron n’obtient pas la majorité absolue de députés qui lui aurait permis de gouverner dans la continuité de son premier quinquennat. L’ampleur du désaveu de sa politique est considérable : non seulement il lui manque 44 députés pour disposer de la majorité absolue à la “chambre”, mais encore le nombre des députés LREM a fondu quasiment de moitié !
Ainsi l’inversion en 2002 du calendrier électoral, qui a placé  les législatives quelques semaines après les présidentielles, visait à faire élire en profitant de la dynamique des présidentielles une majorité parlementaire « à la botte du chef d’État » n’a pas fonctionné cette fois-ci. Une telle défiance des électeurs envers des candidates et candidats qui se réclamaient de la cause présidentielle, alors que ce dernier venait juste d’être élu, remet aussi en cause les modalités de l’élection présidentielle. Pourquoi Macron a-t-il été élu pour être ensuite désavoué ? La dérive des institutions de la 5ème République a conduit les électeurs à voter pour un candidat, non par adhésion à son programme, mais  « par défaut », juste pour éviter un candidat considéré comme “pire” ! Il est temps de revoir de fond en comble notre système électoral.

Mais le résultat est là : non seulement Macron ne dispose plus de la majorité absolue nécessaire à son mode autocratique de gouvernance, mais en plus il perd une partie de l’élite de ses troupes, les « influenceurs » du parlement : Richard Ferrand, Christophe Castaner, Florian Bachelier, Laurent Saint-Martin, mais encore il fait face à diverses oppositions parlementaires de gauche et de droite (NUPES, RN), devenues puissantes en nombre de députés parce qu’elles se fondaient sur un rejet radical de sa politique.
Cette situation inattendue semble provoquer la stupeur, voire le désarroi dans le monde politique, ainsi que dans les médias dits “dominants”. Dans ces nouvelles circonstances « la paralysie guetterait la France », « le chaos se rapprocherait », « Macron serait privé des moyens de gouverner », etc.

Il est ici opportun de rappeler qu’au départ, les institutions de la 5ème république se fondaient sur l’idée qu’un président ne gouverne pas, mais qu’il arbitre : que ses pouvoirs sont d’arbitrage et non de gouvernement. Pour gouverner il y a un premier ministre (même si Jean Castex, le dernier premier ministre du 1er quinquennat de Macron, semblait plutôt endosser le rôle d’une courroie de transmission de l’Élysée). Le chef de l’État, dans l’esprit des fondateurs de nos institutions actuelles, devait être l’arbitre suprême entre le parlement et le gouvernement…

Mais voici qu’une situation nouvelle change fondamentalement le fonctionnement du parlement, mais aussi les relations entre le parlement et le gouvernement : le jeu politique devient plus âpre et plus complexe : finie la majorité de députés « godillots », encadrés par leurs « influenceurs », qui votent sans sourciller les textes qui émanent de l’Élysée et écartent les amendements des adversaires…

La nouvelle situation politique inaugure un mode nouveau de négociations complexes.
Depuis des années notre système de gouvernance, associant un président et une majorité acquise, permettait de culbuter tout dissensus au moment du vote. Désormais cela n’est plus possible, une décision ne pourra  être acquise qu’après négociations. Ces négociations impliquent le parlement, mais aussi le président de la République dont le rôle d’arbitre, donc de négociateur devrait se voir renforcé.

Cela pose de nombreuses questions : comment passer d’un fonctionnement de “président monarque” à celui de “président arbitre” ? E. Macron a-t-il pris la pleine mesure du changement opéré par le résultat des législatives, ou espère-t-il encore conserver sa position « jupitérienne » au moyen de quelques expédients ? E. Macron a-t-il les qualités et l’expérience nécessaires pour négocier des situations politiquement complexes ? Les opposants à sa politique le laisseront-ils opérer cette transition ?

Il est aujourd’hui trop tôt pour répondre à toutes ces questions, mais l’examen des réalisations d’E. Macron lors de son premier mandat et surtout l’excellente enquête que les journalistes Gérard Davey et Fabrice Lhomme lui ont consacrée (1) conduisent à se poser dès maintenant la question de ses capacités à négocier des situations politiques complexes. E. Macron a construit sa carrière politique en déployant à son profit des capacités de séduction remarquées par tous ses interlocuteurs et partenaires. Pour autant, si la séduction peut faire partie d’un processus de négociation, elle ne suffit pas pour le mener à bien, car il est indispensable de prendre en considération les aspirations et intérêts de la partie adverse pour aboutir à un compromis efficace. Considérer l’autre en position d’égalité, constitue un pilier incontournable de la démocratie. E. Macron arrivera-t-il à libérer de son esprit qu’il y a des «gens qui ne sont rien » ? Aujourd’hui cette question reste sans réponse, tout comme celle de sa capacité à exercer le rôle de président-arbitre dans la nouvelle configuration politique de notre pays.

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 21/06/2022

 

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Notes
  1. « Le traitre et le néant » Éditions Pluriel 2022, poche, 12 €[]
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2 commentaires

Excellent article d’une grande clarté. Merci.

Les résultats de ces législatives sont l’éclatante confirmation que le vote Macron au 2nd tour de la présidentielle était très majoritairement un vote destiné à barrer la route de l’Elysée à Le Pen et à la marge seulement un vote d’adhésion à Macron et à son “brochet”.

Étrangement, dans son allocution du 22 juin 2022, Macron semble encore s’accrocher à l’idée contraire, lorsqu’il parle de “ne jamais perdre la cohérence du projet que vous avez choisi en avril dernier”. Plus psycho-rigide, cela se peut certainement, mais il est tout de même permis de se demander si son cynisme et sa capacité de séduction lui permettront longtemps de ne pas succomber aux effets désastreux d’une telle arrogance.

Tout à fait d’accord : on peut dire que cela tend à se reproduire : le système électoral des présidentielles ne permet plus d’identifier clairement de quoi il est question dans le choix du candidat, la nouveauté c’est que les législatives 2022 disent clairement que les Français qui ont voté Macron au présidentielles l’ont fait majoritairement par défaut !

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