Table débat (Image par Ricarda Mölck de Pixabay)
Mercredi 12 octobre a eu lieu la première « table de quartier » de Narbonne-Ouest. Elle visait à libérer la parole des habitants, rendre visible leurs difficultés et se mobiliser pour passer à l’action, selon la formule de Samir Boumediene. Le directeur de l’Arche, une association socioculturelle locale co-animait la rencontre avec Zoubida Chalkha. Ce moment était attendu par les habitants. Ils avaient beaucoup à dire. Les représentants de l’État, certains élus, des associations et le principal bailleur social étaient à l’écoute.
Un précédent
Entre 2009 et 2015, une précédente démarche s’était conclue par la défiance des pouvoirs publics. Après quelques succès, une parole trop brute dans un contexte de menaces d’attentats islamistes, un combat contre une antenne relais basé sur des craintes peut-être irrationnelles avaient changé le regard des institutions sur la démarche. Forts de cette expérience, en relançant les échanges les organisateurs étaient prudents.
Le contexte
Narbonne-Ouest est un quartier prioritaire de la politique de la ville qui, par un découpage savant, regroupe les cités et résidences où la précarité est la plus forte. Il s’agit des quartiers Saint-Jean-Saint-Pierre et Anatole France à Narbonne dans l’Aude. Au cœur de ces deux quartiers mixtes (qui comprennent diverses formes d’habitat : privé, public, pavillonnaire, collectif) d’environ 15 000 habitants, Narbonne-Ouest englobe environ 3500 résidents. Plutôt que mixtes, ces quartiers pourraient être qualifiés de juxtaposés, tant les différents groupes vivent les uns à côtés des autres plutôt qu’ensemble.
La parole des habitants du quartier était portée essentiellement par des mères de famille. Elles étaient venues parler de rats, de serrures, de places de parking, d’éclairage ou d’aires de jeu. La plupart des interventions s’adressaient à la représentante du bailleur social qui ne s’y attendait pas vraiment. En filigrane apparaissaient des ressentis et des constats plus larges. Le sentiment d’être délaissés d’abord a poussé la déléguée du préfet à rappeler l’engagement financier fort de l’État pour ce quartier prioritaire. Mais le plus frappant était le positionnement de demandeur que tous adoptaient. Avant de passer à l’action citoyenne, qui est le but de la démarche, une évolution culturelle sera nécessaire. Les habitants devront oser prendre en main des sujets qui les préoccupent et les autorités devront le permettre. Le chemin est encore long.
L’échange a été riche, au point que le temps prévu pour l’organisation de la suite a été écourté. Parmi les sujets saillants, trois au moins nécessitent de s’interroger sur les effets induits de nos pratiques :
Le fonctionnement de la commission d’attribution des logements sociaux
Comme lieu de dialogue, la table de quartier peut permettre d’éclairer un sujet qui est revenu sous plusieurs angles dans les préoccupations des habitants. Le fonctionnement de la commission d’attribution des logements sociaux les interroge. Ils le perçoivent comme une boite noire dont la complexité ne sert qu’à masquer des pratiques discutables. Le processus leur semble manquer d’équité. Les rumeurs de pratiques illicites ou de favoritisme basé sur le patronyme ne manquent pas. Une mère de famille s’interroge sur le choix politique d’installer les étrangers fraichement arrivés, génération après génération, toujours dans les mêmes cages d’escalier où se perpétuent encore et encore les mêmes problèmes d’intégration. On parle de la concentration des “parisiens” (1), attirés par l’école hors contrat dont le mode de vie dénote. On demande à ce que les familles relogées pour permettre des rénovations aient aussi droit à profiter du neuf. Pour les institutions tout est pourtant clair et transparent. Espérons que les tables de quartier permettent d’ouvrir une réflexion plus approfondie.
La qualité des travaux dans les logements sociaux
Un autre sujet ayant provoqué l’étonnement des institutions a été le volume de malfaçons reportés au cours de rénovations et l’idée très partagée que les entreprises n’hésitent pas à bâcler le travail ou à recourir à des matériaux de qualité discutable lorsqu’il s’agit de logements sociaux. Une mauvaise expérience n’est pas une preuve statistiquement recevable. Et les changements de pratiques mettent du temps à s’imposer dans l’imaginaire collectif. En tout état de cause, les décideurs auraient tort de négliger ce ressenti.
L’emploi et l’éducation
Ce thème n’a été évoqué qu’une fois. Une habitante regrettait que rien ne soit fait pour aider financièrement ceux des enfants du quartier ayant obtenu un diplôme à partir pour trouver un emploi. En effet, les politiques publiques se concentrent sur ceux qui n’ont pas de diplômes. Mais le plus marquant dans cette intervention était l’acceptation comme un fait immuable qu’il n’y a pas d’emploi pour les personnes diplômées à Narbonne et que ceux qui réussissent doivent partir. Un des facteurs de réussite scolaire est la présence dans l’entourage familial des élèves de figures ayant réussi par l’école. En ne donnant pas d’autre solution aux meilleurs d’entre eux que l’exil, cela ne fait que renforcer la proportion de ceux qui sont en échec, et pire encore, cela réduit les chances de succès des générations suivantes de Narbonnais en les privant de modèles positifs. Favoriser l’emploi des diplômés permet de lutter sur le long terme contre l’échec scolaire dans les quartiers prioritaires.
La prochaine table quartier aura lieu le 9 novembre.
Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 16/102022
Notes :
- sont considérés comme tels par la population “historique” des nouveaux arrivants dans le quartier⇗