Macron… et après ?

"Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent" Étienne de la Boétie (1574)

Qui sera chef ? (Image par mohamed_hassan de Pixabay)

 

La France est en crise, crise sociale, crise économique, crise politique. Va-t-elle s’en sortir : quand, comment, avec qui ? En tout cas E. Macron ne semble plus être la solution aux yeux d’une majorité de Français. Dans un régime présidentiel aussi autocratique et vertical, issu de la dérive des institutions de la Vème République, son départ devient une condition préalable à tout réel changement.
Ce départ se fera-t-il à la fin de son mandat ? Mais alors, entre temps, dans quel espace politique pourra-t-il exister et sur quel appareil partisan cohérent et constant pourra-t-il s’appuyer, alors qu’il n’a pas réussi à se doter d’un référentiel idéologique stable et d’un ancrage local significatif ?
Sera-t-il contraint au départ par les milieux politico-financiers qui l’ont fabriqué et commandité, lorsque ceux-ci s’apercevront que son rôle a été mineur dans l’accumulation de leurs profits, mais qu’à présent son impopularité risque de les desservir et qu’il devient urgent de le remplacer par une autre de leurs créatures ?
Sera-t-il lâché par sa garde rapprochée, lorsque son isolement et son impopularité seront tels que ses équipiers commenceront à craindre pour leur propre avenir politique et la fin de leur « métier » d’élus.es ?
Sera-t-il chassé par ce peuple envers lequel il professe un mépris aussi souverain qu’insensé et auquel il refuse le droit de se faire entendre ?

Mais au-delà du constat de cette situation de crise profonde qui touche notre pays, on peut se demander comment nos institutions, réputées démocratiques, ont rendu possible l’arrivée aux “fonctions suprêmes” d’un tel personnage dont la croyance quasi névrotique en sa propre supériorité a nourri un  mépris constant du peuple français.  A défaut d’une légitimité incontestable, acquise dans les urnes, E. Macron revendique une légitimité « Jupitérienne », fondée sur sa croyance en ses qualités intellectuelles exceptionnelles qui le séparent radicalement de ces Français “qui ne sont rien”, “qui n’ont pas compris” à qui il faut expliquer mieux ou autrement, etc.
Comment dans ces conditions pouvait-il attacher de l’importance à l’expression d’une souveraineté populaire, profondément ancrée dans le peuple, qui s’exprime par les corps intermédiaires ou à défaut par des manifestations, grèves, etc. ?

Le départ de Macron et le discrédit de son équipe ne signifieront pas que la page sera blanche et que les conditions seront réunies pour réfléchir en toute sérénité à une nouvelle constitution et à de nouvelles institutions.
On voit avec quelle prudence les élus en place abordent la question d’un changement constitutionnel. Pour les uns il n’est pas question de quitter le cadre de la constitution de la 5ème République, mais juste d’y apporter quelques retouches pour, selon le terme en vogue, « fluidifier les processus de décision ». Pour ceux-là, le projet d’une Assemblée constituante, proposé par LFI dans son programme « L’Avenir en Commun », est à combattre à tout prix.
D’un autre côté, il y a le délabrement actuel des partis politiques, qui semblent consacrer plus de temps à organiser, les uns leur survie, les autres la recherche de nouveaux référentiels, lorsqu’ils ne s’étripent pas pour savoir qui sera le chef et qui sera assis à sa droite.  Tout cela fait qu’ils ne sont pas dans les meilleures conditions pour réfléchir dans le calme et construire avec objectivité de nouvelles institutions.
Il y a enfin notre aberrante disposition à penser qu’il nous faut, à chaque échéance, trouver un homme providentiel. Les institutions de la Vème ont été fabriquées dans le sillage de Charles de Gaule : n’est-ce pas là que se situe le germe de leur faiblesse, une fois la statue du commandeur disparue ?
Avons-nous si mal digéré la mort du roi, qu’il nous faut à tout pris en trouver d’autres et les placer à notre tête ? Pourquoi cette tendance à réduire un parti ou un mouvement à une seule tête souveraine, alors que par ailleurs nous n’arrêtons pas de couvrir de louanges l’intelligence collective ? Le plus souvent les “chefs” que nous fabriquons nous étouffent et nous desservent.  Est-il si difficile d’imaginer et de faire fonctionner dans la France au 21ème siècle une direction collective ?

Nous avons entre nos mains tous les outils et les savoirs pour refonder une démocratie, encore faut-il le vouloir et dépasser nos craintes et notre propension à la soumission. 

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 22/03/2023

 

Étienne de La Boétie : Extrait du Discours de la servitude volontaire (1574)

Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter — puisqu’il est seul — ni aimer — puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, ils ne peuvent pas être toujours les plus forts. Si donc une nation, contrainte par la force des armes, est soumise au pouvoir d’un seul — comme la cité d’Athènes le fut à la domination des trente tyrans —, il ne faut pas s’étonner qu’elle serve, mais bien le déplorer. Ou plutôt, ne s’en étonner ni ne s’en plaindre, mais supporter le malheur avec patience, et se réserver pour un avenir meilleur.

 

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire