Macron au pont d’Arcole ?

Par un effet retour le capitalisme qui détruit la planète est menacè par cette destruction. Survivra-t-il ? En France certains disciples de Friedman, Hayek et Schumpeter y croient dur comme fer.

Crise politique, crise de la démocratie, l’actualité fourmille de commentaires et d’analyses qui tournent en boucle. Quelle crise ? Pourquoi et comment s’est-elle produite ? Quelles issues ? Vers quel avenir ? Un peu lassé par ces perpétuelles répétitions du même, il ne m’a pas semblé indispensable d’y ajouter ma propre contribution argumentée et d’apparence rationnelle. J’ai choisi de survoler les choses en un récit toute à fait subjectif.

 

Bataille du pont d’Arcole Par Horace Vernet ; 1826
http://historicalcinema.blogspot.com, Domaine public,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15565932

Dans l’imagerie pédagogique du milieu du 20ème siècle, le tableau d’Horace Vernet : « La Bataille du Pont d’Arcole », était accompagné d’un texte explicatif. Alors que ses troupes hésitent sous la mitraille piémontaise, le général Bonaparte le jeune et dynamique premier de cordée de l’époque, s’empare d’un drapeau tricolore et fonce jusqu’au milieu du pont. C’est alors qu’il se retourne et constate que ses troupes ne l’ont pas suivi : il bat en retraite et bousculé par ses grenadiers en fuite, il tombe dans la vase. (1) La maxime que le pédagogue tirait de ce tableau était qu’il ne fallait jamais foncer sans réfléchir.
On peut se demander si lesélites qui nous gouvernent aujourd’hui, ont eu la chance dans leur jeunesse de méditer devant ce tableau et de bénéficier des commentaires d’un pédagogue  éclairé.

En marche

C’était le cri de ralliement des débuts du macronisme. Tous ceux qui piaffaient d’impatience, englués dans le marécage du Hollandisme finissant, reconnaissaient un possible dans les harangues du trentenaire Macron. Il promettait de bouger, d’aller de l’avant : start-up, bond technologique, croissance, réformes structurelles…et puis son bouquin « Révolution », 269 pages, la bible socio-libérale ! Cette révolution là ne faisait plus peur, elle devenait même bancable pour la bourgeoisie grande ou petite…
Des troupes enthousiastes se constituèrent rapidement autour du révolutionnaire Macron. C’est qu’il y avait là de quoi mobiliser tous les Schumpéteriens, biberonnés au concept de –destruction créatrice– lors de leur passage à l’ENA, HEC, Science po et autres officines où l’on privilégie le savoir-faire au détriment d’une démarche singulière de connaissance n’excluant jamais le doute. Et puis il y avait la caste financière qui voyait d’un bon œil l’émergence de ce jeune personnage énergique et ambitieux, déjà formé aux arcanes du business. Il fera un excellent vizir capable de doper la croissance donc leurs profits.

Ainsi fut lancé le produit Macron avec le succès que l’on sait. Les législatives qui suivirent apportèrent au jeune président la majorité nécessaire à ses ambitions. Cette majorité vibrait de talents, nouveaux en politique, qui se promettaient de bouger les choses à l’ombre tutélaire de leur créateur et patron. Bouger, en marche, un mouvement qui s’invente chaque jour : voilà de fort belles déterminations !

Du rêve à la réalité 

Ils firent ce qu’ils avaient appris : administrer. L’ingénieur crée, le médecin soigne, l’enseignant enseigne, le chercheur cherche et l’administrateur administre : il ne lui est pas indispensable d’avoir une expérience dans les métiers précités pour les administrer. Pour la plupart de ces nouveaux venus en politique, administrer est une science à part : il s’agit de contrôler, réorganiser, rationaliser. Selon la doxa néolibérale, cela signifie baisser les coûts de production, donc de main d’œuvre. Bienvenue aux start-up du numérique qui permettent de virer, les secrétaires médicales ou les caissières de supermarchés et de transformer les commis et coursiers en auto-entrepreneurs

Mais voilà : finalement la destruction créatrice ne fonctionne pas bien.
Certes du côté de la destruction ça va pas mal : les services publics continuent à être dégraissés jusqu’à l’os. Car le problème n’est pas dans l’attrition des moyens humains et financiers, mais dans l’organisation. Il faut réorganiser le service public à grand coups de réformes pour qu’il retrouve son efficacité.
Du côté de la création ça ne va pas si bien que ça. Chez les start-up il n’y a que peu de licornes qui broutent dans le corral français,  le bond en avant industriel n’est pas en vue et le déficit commercial ne cesse de croitre…

Les espoirs déçus augmentent et les mécontentements se font entendre jusqu’au fond des campagnes. Qu’à cela ne tienne ! Le chevalier blanc de l’Élysée enfourche son destrier et galope jusqu’aux communes les plus reculées de ses provinces pour jouter avec les petits maires abasourdis.
Le petit peuple s’insurge ? C’est que peu instruit il a mal compris tout le bien qu’on lui veut. Pour le calmer on va lui faire des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, tout en continuant les réformes, notamment celles de l’appareil répressif en engageant un préfet de police particulièrement doué en la matière.

Arrive la pandémie du Covid 19 : c’est un drame et une aubaine. (2) Un drame parce qu’elle tue. Une aubaine parce qu’elle permettra à la macronie de se dédouaner de tout ce qui été promis et n’a pas été tenu. Une aubaine aussi parce qu’E. Macron revêt à nouveau son armure de chevalier blanc, proclame l’état de guerre et vole au secours des Françaises et des Français « quoi qu’il en coûte » ! En même temps, il crée un conseil de défense opaque à tout contrôle et décrète 3 confinements successifs qui privent ses concitoyens d’une de leur libertés fondamentales : se déplacer. Habeas corpus ?

Mais la pandémie s’estompe et les affaires se remettent en marche.
Marcher, mais dans quelle direction ?  En avant et en arrière : Macron avait promis de réduire la part du nucléaire ? Il relance la filière ! Mais sa posture est toujours aussi déterminée et son verbe aussi haut : il ne dérogera pas à son objectif : servir le grand capital pour que ça ruisselle…

2022, lors des élections présidentielles une partie du peuple, gorgée du mépris des “élites” gouvernantes abandonne et s’abstient, tandis qu’une autre partie, dûment canalisée par l’infernale alternative Macron versus Le Pen, apporte suffisamment de voix à E. Macron qui devient pour la seconde fois le président légal de la France. Ce n’est pas un plébiscite mais c’est légal, donc légitime pour la macronie qui ne semble pas faire de distinction entre ces 2 termes.

Dans la foulée des présidentielles, les élections législatives privent le président d’une majorité absolue qui lui aurait permis de poursuivre sans réelles contestations sa gouvernance autocratique. Désormais 146 députés de gauche ou écologistes, réunis au sein de la Nupes, constituent un groupe majoritaire au sein de l’opposition. Hélas le déclin du macronisme a aussi profité au Rassemblement National qui rafle 87 sièges de députés.
Comment gouverner avec une telle opposition ? Rien n’est perdu pour la macronie ! Il suffit d’employer cette méthode si archaïque et pourtant si efficace : diviser pour régner, tout en étant puissamment soutenus par les médias de formatage de l’opinion, détenus par des milliardaires amis.

Plus dure sera la chute

Pour E. Macron et ses affidés, en ce début de ce second mandat il s’agit de réussir ce que leurs commanditaires du grand capital attendent d’eux : casser une législation qui confère encore un statut trop protecteur aux travailleurs. Il s’agit de fabriquer une main d’œuvre, contrainte par des rapports de subordination renforcés, totalement mutable et disponible en fonction des besoins de l’économie capitaliste.
Dans ce contexte la réforme des retraites n’est qu’une bataille, il y en aura d’autres. Les macronistes et leurs alliés ont voulu gagner à tout prix cette première manche des réformes en utilisant tous les artifices, détours et contournements possibles. La loi et la règlementation étaient respectés mais pas leur esprit : en démocratie de tels agissement posent un problème d’éthique politique. Mais déjà le président Macron, et son premier ministre, provisoirement reconduit dans se fonctions, annoncent de nouvelles réformes et font comme si la question des retraites était réglée et désormais derrière eux.

Mais sire la crise est bien là ! Il ne s’agit pas d’une simple bronca, elle a quitté la sphère du politique et s’est étendue à toute la société. Vous semblez jouer la montre, mais loin de s’apaiser la contestation s’organise à la faveur d’une alliance inattendue des syndicats, que le peuple suit et soutient.  La lutte s’étend et se diversifie  au-delà de la réforme des retraites. C’est l’ensemble de votre gouvernance qui est remise en cause par le peuple ! Vous avez perdu la confiance du pays, vos soutiens commencent à se poser des questions car ils ne trouvent pas d’explication rationnelle à votre posture rigide, face à toutes ces oppositions que vous semblez considérer comme un défi personnel. Certains de vos amis pensent déjà en douce à votre remplacement  et d’autres à votre succession.

Vous êtes de plus en plus seul , ils sont de plus en plus nombreux !

Sur le pont d’ Arcole , Emmanuel Macron marche sûr de lui, il brandit le drapeau du libéralisme avancé. Face à lui des troupes de gauche alliées à des éléments des corps intermédiaires opposent une résistance farouche, les balles sifflent.
Pour le moment Emmanuel Macron ne s’est pas encore retourné…

Quelques années après Arcole, Bonaparte se proclama empereur, qu’en sera-t-il d’E Macron ?

 

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 21/04/2023

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Notes
  1. Dans la vraie histoire le pont ne fut jamais franchi[]
  2. Une vidéo intéressante : https://youtu.be/3h29VJ2eR_o  []
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1 commentaire

Mordant, cruel et satirique. On aime bien ce style.
Il n’y a aucune excuse à trouver à ce bouffon de la politique, mais, hélas, les gens souffrent

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