Agriculture : un projet de loi écocide en cours de discussion au Sénat

La crise environnementale ? Où ça ?

Le titre de cette proposition de loi présentée par le groupe LR du Sénat sent bon le tour de passe-passe. D’un côté les mots « choc » et « compétitivité », mots fétiches invoqués de façon quasi incantatoire par nos gouvernants pour se donner une image de modernité d’efficacité et de compétence sur la scène économique mondiale. De l’autre « la ferme France » qui fleure bon notre paysannerie traditionnelle, les vaches dans les prés fleuris et la boule de pain tranchée à l’opinel…Quel manque de courage et quel mépris de la part de ces sénateurs qui croient tromper le peuple par ces artifices de communication, alors que leur projet de loi ne vise qu’à une chose : défendre et développer la place de l’agro-industrie en France. En tout cas ce projet de loi soulève un tollé, tant chez les écologistes et les paysans, que dans les associations de défense des consommateurs. (1).

Le profit d’abord…pour l’environnement et la santé humaine on verra…

La proposition de loi (2) se fonde sur les arguments suivants :

  • la France, puissance agricole d’envergure mondiale est en déclin. Ses parts de marché dans l’économie mondiale s’effondrent et ça s’accélère
  • la France produit de moins en moins de produits de qualité “grand public” qu’elle est obligée d’importer et tend à ne produire et exporter que des produits de “haute qualité”, à destination d’un public à fort pouvoir d’achat, mais qui ne suffisent pas à équilibrer la balance commerciale
  • la France est obligée d’importer des produits de qualité “standard” de la CE  pour sa consommation intérieure, produits peu fiables en matière de normes sociales et environnementales
  • La France a tendance à produire des denrées peu rémunératrices

Pour sortir l’agriculture française de ce marasme les sénateurs LR  proposent :

Au plan politique :

  • ne pas faire de l’excès de zèle en traduisant les directives européennes dans la législation française. (3) et conserver les pratiques, normes et règlementations françaises en cours. Les sénateurs appellent cela « détendre le cadre normatif».
  • Réduire la fiscalité des entreprises agricoles, afin d’encourager l’investissement : on remarquera le caractère extraordinairement novateur de cette mesure.
  • Faire confiance et investir dans le progrès technique en matière d’agrochimie et de systèmes d’exploitation 2.0. On retrouve l’idée courante chez les néo-libéraux que les problèmes qu’on n’arrive pas à résoudre aujourd’hui, seront résolus demain par les progrès de la science et de la technique.

Au plan organisationnel et financier, pour renforcer la compétitivité des filières agricoles, il s’agit de (exposé non-exhaustif) :

  • Créer un « haut-commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises» aux compétences étendues, qui « participe à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques de compétitivité, qui est l’interlocuteur des filières agricoles, dont il « centralise les difficultés » dans le but de faire des recommandations. Le texte reste très flou sur le rôle exact de ce haut-commissaire : on ne sait pas à qui il fait des recommandations, son activité semble relever en partie du syndicalisme agricole lorsqu’il « centralise les difficultés ». De plus, dans la configuration actuelle,  il semblerait particulièrement exposé aux pressions de la FNSEA.
  • Mettre en place un «plan quinquennal de compétitivité », sorte de feuille de route à caractère incitatif des filières agricoles et agro-alimentaires visant à établir des priorités afin de restaurer maintenir ou développer leur compétitivité. Un tel plan  sera certainement utile aux agriculteurs dans la mesure où aura été traité en préalable la question de la pertinence du modèle agricole actuel et de la pertinence de certaines de ses filières, compte tenu de  la  crise environnementale en cours.
  • Créer un fond “spécial compétitivité” alimenté par une part de la taxe sur les surfaces commerciales, destiné au « soutien de l’investissement et de la recherche » et ciblant selon des termes flous « des petites filières agricoles, des filières en manque de compétitivité, ainsi que la relance de filières en état de crise».
  • De créer un livret d’épargne « Agri » alimenté par une quotte part de l’épargne défiscalisée, centralisée par la CDC, qui serait employée au « financement des investissements des structures agricoles et agro-alimentaires, notamment pour l’amélioration de leur compétitivité, leur mécanisation, la réduction de leur empreinte climatique ou l’atténuation des conséquences du changement climatique»

Diverses autres mesures à caractère économique, destinées à soutenir et renforcer la compétitivité par des crédits d’impôts et le soutien à l’épargne de précaution, sont proposées dans le projet de loi, lorsque soudain, dans l’article 8 du titre II on passe à des mesures techniques

drone agricole (Image par DJI-Agras de Pixabay)

Au plan technique, il s’agit de (exposé non-exhaustif) :

  • Renforcer l’efficacité des traitements chimiques des sols par une modernisation du système d’épandage aérien (interdit depuis 2009 !). La solution serait d’utiliser des drones « télépilotés ou contrôlés par intelligence artificielle pour la pulvérisation de précision de produits phytopharmaceutiques sur les terrains agricoles». A l’instar des ” frappes chirurgicales” vantées par l’US Air Force lors de la guerre d’Irak, ces dispositifs seraient censés épargner les populations riveraines, mais aussi par voie de conséquence, réduire les normes en matière de distance de sécurité pour les habitations, et les milieux aquatiques, etc. Mais le texte n’aborde pas la question de la toxicité des produits phytopharmaceutiques pulvérisés et de leurs effets….
  • Élargir la liste des produits autorisés à l’emploi en restauration collective (assouplir ?)
  • Améliorer l’information des consommateurs sur l’origine « des ingrédients des produits alimentaires transformés». Mais cette formulation de dit rien sur leur qualité.
  • lutter contre la sur-règlementation en matière agricole”, censée freiner la compétitivité, notamment : a) en modérant l’application de la règlementation européennes en fonction des intérêts de la production agricoles française ; b) en relativisant les décisions de l’Anses par l’établissement d’un bilan « bénéfices, risques », ce qui pourra conduire dans certains cas à accorder des “délais de grâce”  en  cas de retrait d’autorisation de mise sur le marché d’un produit ; c) en effectuant un bilan des mesures d’encadrement des pratiques agricoles depuis 2017, destiné aux parlementaires afin de leur permettre de contrôler l’efficacité de ces mesures ; d) en assouplissant la règlementation et les procédures liées à l’usage de l’eau à des fins agricoles, notamment en rendant ces usages prioritaires en les déclarant « d’intérêt général majeur » (par exemple la création de méga-bassines) .

La proposition de loi « pour un choc de compétitivité pour la ferme France » semble, telle que formulée, être une transposition législative des vœux et des intérêts particuliers des tenants de l’agro-industrie qui vise à faciliter leurs pratiques actuelles sans y apporter de réels changements. D’ailleurs les dispositions de la loi dénotent l’état d’esprit de ses promoteurs  qui se résume en : pourquoi changer ces pratiques puisque les causes du déclin seraient à imputer à la bureaucratie d’État, à l’Europe, à la frilosité des investisseurs, à une fiscalité  injuste et contre-productive !.
De temps en temps, on trouve dans le texte quelques déclarations
cosmétiques pour faire croire au souci de l’intérêt général. Mais l’intérêt général des consommateurs français ne semble pas être la priorité des auteurs de ce texte : pour eux il s’agit surtout de favoriser la compétitivité de la France sur le marché mondial, bien plus intéressant en termes de profit que le marché intérieur trop encadré.
Enfin, quelle peut être l’utilité de ce projet de loi, alors que se pose la question fondamentale de l’adéquation du modèle agro-industriel français au contexte de crise environnementale en cours. 
Pourtant ce projet pourrait bien être adopté, lesté ou non de quelques amendements mineurs, car il entre en résonnance avec le discours actuel de la Macronie qui compte bien sur le soutien des agro-industriels pour se sortir du mauvais pas politique où elle s’enferre chaque jour un peu plus.

 

La rédaction du Clairon de l’Atax le 14/05/2023

 

Martin pêcheur (Image par David Mark de Pixabay)

 

Selon une récente étude du CNRS, 20 millions d’oiseaux disparaissent chaque année en Europe victimes de l’agriculture intensive

 

 

 

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Notes
  1. cf. l’article d’Alain Bazot, Président de l’UFC “Que choisir” : https://www.quechoisir.org/billet-du-president-proposition-de-loi-ferme-france-une-regression-environnementale-dangereuse-pour-la-sante-des-consommateurs-n107582/[]
  2. texte intégral : https://www.senat.fr/leg/ppl22-349.html + exposé des motifs : https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl22-349-expose.html []
  3. ndlr. en termes technique ça s’appelle faire de la surtransposition (sic)[]
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Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

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