De la détestation à la violence en République française

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Hier matin sur une radio publique, réputée pour la qualité « culturelle » de ses émissions, une brochette d’experts, constituée d’un sondeur d’opinion, d’un psychanalyste et d’une journaliste, investis du titre de  macronologue par l’animateur de l’émission, était invitée à disserter sur la détestation dont Emmanuel Macron, l’actuel Président de la République française était l’objet. (1).

Après avoir comparé l’importance du rejet d’E. Macron par les Français avec celui de ses prédécesseurs, il a été débattu des raisons de ce rejet caractérisé par son intensité. Ce débat fort intéressant a mis en face, d’une part une personnalité singulière, E. Macron, et d’autre part le peuple français. Ont été exposés une série de malentendus provoqués tant par E Macron que par les Français. D’un côté Macron n’aurait pas compris que le peuple ne se résume pas à un agrégat d’individus, mais qu’il s’agit d’un « corps politique constitué dans une histoire de luttes sociales et de révoltes » ; de l’autre les Français n’auraient pas encore réglé leur « ambivalence par rapport au sacré du pouvoir : d’un côté il y a une aspiration à la démocratie qui requiert un dialogue collectif, qui permet de s’opposer par des arguments sans s’exterminer, mais en même temps, il y a chez les Français la nostalgie des rois thaumaturges qui guérissent les écrouelles » selon le psychanalyste Roland Gori.

Ce qui est apparu tout au long du débat, c’est le rôle joué par la personnalité singulière d’E. Macron dans  l’intensité de son rejet par une grande partie des Français. Ce qui émane de cette personnalité, c’est une forme d’arrogance, le sentiment d’avoir toujours raison contre le peuple : c’est l’affirmation que si le peuple n’est pas d’accord, c’est qu’il n’a pas compris. Une telle attitude ressentie comme du mépris, comme une fin brutale de non recevoir, est génératrice de colère, voire de haine, en tout cas de rejet de la légitimité du président à gouverner la France et son peuple.
Même si la détestation d’E. Macron  apparaît comme particulièrement importante, elle n’a pas épargné ses prédécesseurs. Selon les sondages de l’IFOP, la popularité de F. Hollande était, en fin de mandat, encore inférieure à celle actuelle d’E. Macron laquelle était dépassée par le score de N. Sarkozy. Mais ni Hollande, ni Sarkozy n’ont été réélus pour un second mandat

Ce qui, me semble-t-il n’a été qu’effleuré, c’est une interrogation sur la capacité de nos institutions actuelles à traiter le rapport entre une personnalité singulière qui détient pratiquement tous les pouvoirs et un peuple qui a des aspirations, des représentations du politique et des attentes auxquelles il entend avoir des réponses de la part de celui qu’il a élu.

Faut-il changer notre système politique ?

L’arrogance et le manque de considération, ressentis par les Français soumis actuellement à l’exercice du pouvoir politique, ne se limite pas à la seule personne du Président, même si elle prend là un aspect particulièrement spectaculaire en raison de sa position et de sa personnalité. Ces comportements d’arrogance et de mépris “ruissellent” au travers d’une grande partie de la classe politique et de ses exécutants, du centre vers la périphérie. Ils sont le symptôme d’un fossé qui se creuse entre les “élites ” instituées, ou qui se reconnaissent comme telles, et le peuple. C’est ainsi que tendent à se déployer une morgue et un irrespect, qui vont du niveau ministériel jusqu’au petit cadre des services déconcentrés de l’État. L’usager, confronté à ces administrations et à la complexité de leurs règlementations et procédures, se ressent souvent comme l’objet de leur mépris, quand il n’est pas en plus considéré comme irresponsable. Il se crée alors une sorte de cercle vicieux, où l’usager qui se sent maltraité, réplique par des conduites de contournement ou de transgression, voire de révolte.

Le cas des élus locaux mérite d’être relevé.

Dès leur formation, les cadres de la fonction publique sont investis du rôle de “sachants”, tandis que les élus locaux sont réputés plutôt “ignorants”. (Il faut voir avec quelle désinvolture les élus locaux sont parfois traités, lorsqu’ils sont confrontés à ces cadres administratifs affectés en “province”.)
Le cas des maires de petites et moyennes communes est particulièrement édifiant.
Si les communes sont à la base de la démocratie, leur maire et le Président de la République se situent à 2 extrémités opposées de l’édifice démocratique. Tous les 2 incarnent l’État et tous les deux sont censés représenter les citoyens, mais avec une grande différence d’autorité et de moyens. Si le président de la République dispose de façon pratiquement illimitée de l’autorité et des moyens de l’État, le maire est bien faible à la tête d’une collectivité qui subit une double contrainte. D’une part, celle-ci voit ses moyens propres constamment diminués, d’autre part ses missions et responsabilités ne cessent de s’étendre et, de ce fait, de confronter une seule personne, le maire, à la pluralité de services administratifs aux procédures parallèles et aux exigences parfois contradictoires.

Dans le contexte actuel, le maire se trouve aussi dans une situation complexe face au citoyen. Il est contraint par un cadre politique national, dont l’objectif est de transformer les institutions, alors qu’une majorité de citoyens en refuse le caractère radical, sans être en mesure de s’y opposer alors même leurs objections sont traitées avec condescendance, voire mépris. La colère générée par cette situation et ressentie par les citoyens comme un déni de démocratie, s’étend alors à l’ensemble des institutions et particulièrement à la plus fragile d’entre elles : la commune. Il suffit qu’une mesure, édictée ou non par une commune, fasse l’objet d’un désaccord important dans la population locale pour que celle-ci se retourne contre la personnalité qui incarne l’autorité : le maire. Ce maire si faible, avec si peu de moyens de défense, qu’il est facile de l’agresser.

Les démissions de maires de petites et moyennes communes ne sont pas une nouveauté, mais la recherche de leur cause n’a que peu intéressé jusqu’à présent les “élites gouvernantes” . Il a fallu le scandale provoqué par les agressions perpétrées contre le maire de Saint-Brévin-les-Pins et sa famille, dans la quasi indifférence des services de l’État,  pour que le problème soit enfin connu du grand public.

Le système politique actuel semble verrouillé sur une dynamique de scission entre des élites gouvernantes au service du grand capital et le peuple, autrement dit vers l’avènement dans la violence d’une démocratie illibérale, voire pire…Dans une telle situation, la question de savoir s’il faut réformer la Constitution ou seulement la pratique des institutions existantes ne se pose plus : c’est d’abord la Constitution qu’il faut réformer et ensuite bâtir des institutions adéquates avec les évolutions environnementales, porteuses de violence, que nous devrons subir.
Étonnant que la quasi-totalité des partis politiques à l’exception de LFI soient discrets sur le sujet.

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 20/05/2023

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Notes
  1. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins-d-été[]
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2 commentaires

Bravo pour ce bel article et les réflexion qu’il engendre.
J’ajouterais un commentaire pour comprendre que si E Macron est devenu impopulaire, ce n’est pas seulement dû à son attitude mais également à la façon dont il maltraite les institutions et les organisations. Pour que notre démocratie puisse fonctionner de façon convenable, il faut créer et entretenir un équilibre des pouvoirs entre le gouvernement qui dirige, le parlement qui valide et la société civile (syndicats, ONG, associations…) qui orientent, chacunes de ces organisations devant respecter l’autorité “naturelle” des autres. Hors, depuis 7 années, E Macron n’a eu à coeur que de reduire ces autorités, par exemples en bi passant le parlement (49-3), en dénigrant les syndicats, en rejetant majoritairement les rendus de la convention citoyenne sur le climat. Ces actions délibérées de sa part, ont ainsi créé un dééquilibre de nos institutions et un rejet de plus en plus massifs des acteurs et des citoyens. En découle, non plus une autorité naturelle de notre président et du gouvernement, autorité respectée par une grande majorité de concitoyens, mais un autoritarisme rendu nécessaire pour pouvoir mener les réformes au pas de charge ; d’ou un recours violent de la police. On pourrait se demander à qui cela profite, mais c’est un autre sujet.

Merci pour ce commentaire et tout à fait d’accord sur la nécessité d’un équilibre des pouvoirs qui assure in fine une meilleure prise de décisions. Il y aurait énormément à dire sur les raisons de l’impopularité de Macron, par exemple sur l’importance de la confiance : il en faut entre le peuple et les dirigeant pour qu’une société fonction, or Macron est versatile : sur le nucléaire, comme sur les retraites : un jour il dit blanc et après il dit noir, comment se fier alors à un tel dirigeant ? Ses revirements génèrent angoisse et colère ici et là et perte de confiance

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