Réfléchissons : et si l’Etat foutait la paix aux médecins praticiens ?

S’il y a un domaine dans lequel la gouvernance doit se faire de la base vers le haut, c’est bien la médecine.

Coronavirus (Image par enriquelopezgarre de Pixabay)

 

Hydroxychloroquine

Qui ne se souvient de l‘intervention du ministre de la santé Olivier Véran auprès du Haut Conseil de la Santé  Publique (HCSP) : « Suite à la publication dans The Lancet d’une étude alertant sur l’inefficacité et les risques de certains traitements du Covid-19 dont l’hydroxychloroquine, j’ai saisi le HCSP pour qu’il l’analyse et me propose sous 48 heures une révision des règles dérogatoires de prescription », déclarait-il dans un tweet, le samedi 23 mai 2020. 4 jours plus tard, le 27 mai 2020, le gouvernement interdisait l’utilisation de l’hydroxychloroquine en traitement de la Covid-19
La prescription de ce médicament,  utilisé depuis des dizaines d’années, était soudain interdite au prétexte qu’une revue de médecine, certes réputée, publiait un article qui le dénigrait.
Quelques jours plus tard la communauté scientifique remettait en question le contenu de l’article du « Lancet », tandis que l’OMS ré-autorisait les essais cliniques de ce médicament en traitement de la Covid-19.
Que s’était-t-il passé dans la tête du ministre, de formation pourtant scientifique, donc instruit de la nécessaire analyse des informations, pour réagir ainsi dans la précipitation ? Des considérations d’ordre politique ne l’avaient-t-elles pas emporté sur celles relatives à la santé publique ? Alors que le gouvernement était fortement critiqué pour sa gestion de la pandémie, l’interdiction rapide de l’hydroxychloroquine était-t-elle censée redorer son blason ?

Mais si cet exemple a connu un grand retentissement dans l’opinion en raison de la surmédiatisation faite autour de ce médicament, d’autres interventions gouvernementales plus discrètes, indiquent une indéniable volonté d’encadrer les prescriptions du médecin de base qui revendique de traiter ses patients en âme et conscience, quitte à l’obliger à ne pas respecter son serment d’Hippocrate. Quelques exemples :

  • Dans le « Projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions » en cours de discussion, chapitre 2, article 6 : « […] des données relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles peuvent être partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées, dans le cadre d’un système d’information créé par décret en Conseil d’État et mis en œuvre par le ministre chargé de la santé ». (1)
  • la cascade de décrets précisant ou modifiant les destinataires et l’usage des différents types de masques, sans qu’une justification d’ordre médical n’explique les raisons des changements successifs
  • les volte-face d’autorisation ou d’interdiction de prescriptions, faites par le gouvernement sans justification médicale de ces changements. Ainsi par décret du 28 mars l’emploi du rivotril (ou clonazepam), en administration de façon isolée par un médecin généraliste, devient soudain possible par dérogation à un décret précédent qui en limitait l’usage à des conditions particulières, dont l’obligation de prendre la décision du traitement lors d’une concertation collégiale !

Ce qui apparait, lorsqu’on examine ce qui fonde les récentes décisions gouvernementales en matière de pratique médicale, c’est qu’elles ne sont pas basées sur des raisons médicales mais sur des questions de gestion. Gestion des stocks, gestion des moyens, gestion des personnels, gestion des personnes malades. Pour ces dernières il y a peut être aussi à l’esprit de certains de nos gouvernants macronistes, l’idée de profiter de l’effet d’aubaine et du prétexte de la pandémie pour augmenter le contrôle social, au moyen de mesures de fichage et de stockage centralisé de données personnelles, présentées comme provisoires et exceptionnelles.

D’ailleurs comment un gouvernement pourrait-il prescrire des modalités de traitement à caractère général alors que :

  • Dans le cas particulier de la pandémie Covid-19 les connaissances sur le virus et ses effets ne sont pas stabilisées et continuent à alimenter le débat entre scientifiques, entre praticiens et entre praticiens et scientifiques…
  • La relation de soin est une relation complexe et particulière : la médecine clinique n’implique pas seulement la qualité et la singularité du diagnostic, de la stratégie de traitement, des médicaments prescrits, mais aussi la qualité de la relation entre le patient et le médecin. Comment tenir compte de toutes ces interactions dans un décret ?
  • Dans les nombreuses instances qui conseillent nos gouvernants et sont censés les aider à définir une politique de santé, les « médecins d’exercice » sont peu ou pas représentés et particulièrement les médecins généralistes, pourtant en première ligne face à la population à qui s’adresse le système de santé

En tout cas les dernières irruptions du gouvernement dans le domaine de la pratique médicale, alors même qu’il a montré son incapacité à conduire une action cohérente dans le traitement de la pandémie,  posent la question des rôles respectifs de l’État et du médecin praticien  et impliquent une redéfinition du qui fait quoi.

La France dispose d’un système de santé publique qui a longtemps fait référence. Dans un tel système les choses sont relativement simples : il revient à l’État de garantir son fonctionnement en veillant à ce que les moyens nécessaires au traitement des maladies soient disponibles, en garantissant la sûreté des pratiques médicales et de la pharmacopée utilisée. Le reste relève d’une gouvernance interne de la médecine exercée par les médecins. Dans des cas exceptionnels comme les pandémies, c’est cette gouvernance interne qui prescrit les mesures politiques à prendre.
S’il y a un domaine dans lequel la gouvernance doit se faire de la base vers le haut, c’est bien la médecine.

Mais la politique d’inspiration néolibérale, menée par les gouvernements qui se sont succédé depuis plusieurs dizaines d’années, a provoqué la lente attrition du service public au profit du privé. Dès lors la question de la rentabilité du système médical devient prépondérante : il s’agit de faciliter et de garantir le profit, non seulement des instances de soins, mais aussi des laboratoires, des assurances-maladie privées et des prestataires périphériques. Cela implique un encadrement du patient, lequel devient un « client », qu’il s’agit de « gérer » en accumulant le plus de données personnelles, afin définir les prestations qui lui seront proposées dans un catalogue de soins standardisés, ainsi que les tarifs d’assurance maladie qui lui seront demandés.

Dans un tel univers que deviendra la pratique médicale ? Les médecins seront « libres d’obéir » aux règles du « Health business » ? Certains feuilletons télé américains nous donnent une idée de ce que cela pourrait être…

Voulons-nous cela ? Nos gouvernants ont-ils réellement tiré les leçons de cette pandémie ? Changeront-ils de cap ou faudra-t-il que nous les y aidions ? Avons-nous encore l’énergie nécessaire pour manifester ce que nous voulons, ou alors ont-ils réussi à instiller tout au long de cette crise une peur qui nous paralyse ?  Appeler les négociations en cours, qui engagent l’avenir de notre système de santé : « le Ségure de la santé » relève du marketing américanoïde le plus stupide et n’annonce rien de bon…

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 22/06/2020

 

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Notes
  1. Les médecins sont ainsi autorisés à communiquer à différentes instance publiques des données personnelles en échange desquelles ils seraient rémunérés, c’est trahir le secret professionnel : tout le contraire du serment d’Hippocrate qu’ils ont prononcé ![]
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1 commentaire

Catherine BURGER

Analyse très pertinente et inquietante. Que dit l’Ordre des Medecins, bien silencieux pourtant

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