Centrale nucléaire du Tricastin – Des défaillances graves, nombreuses et persistantes

Une étude récente, effectuée à la demande de l'association GreenPeace, met en évidence de nombreuses défaillances constatées à la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), à l'aube de la quatrième visite décennale de l'ASN. Certaines de ces défaillances résultent de l'absence de prise en compte, par EDF, de signalements effectués par l'ASN depuis de nombreuses années. Dans de telles conditions, peut-on sérieusement envisager de prolonger de 10 voire 20 ans la durée d'activité de cette centrale au-delà des 40 ans initialement prévus, comme le souhaite EDF ?

Vue comme cela, on pourrait imaginer que la centrale du Tricastin ne présente aucun danger
Image par MeenerTijn – 2019 – CC-BY-SA-4.0 – Exposition modifiée

La plateforme citoyenne “Green Voice” nous a fait parvenir un résumé de l’étude remarquable portant sur la sûreté de la centrale du Tricastin. Cette étude, intitulée «La sûreté de la centrale du Tricastin à l’aube de sa quatrième visite décennale», a été réalisée à la demande de l’association “GreenPeace” par Bernard Laponche, ancien ingénieur du CEA, physicien nucléaire et expert en politique énergétique.

Elle recense et analyse les incidents survenus à la centrale du Tricastin au cours des onze dernières années (2010-2020), depuis la visite décennale des 30 ans (VD3). Tous les incidents recensés et analysés dans cette étude ont été déclarés à l’ASN par EDF.

Rappelons que les quatre réacteurs de la centrale du Tricastin ont été mis en service en 1980 (réacteurs T1 et T2) et 1981 (T3 et T4). Ils ont chacun une puissance de 900 MW. La durée de vie de ces réacteurs, prévue initialement pour 30 ans a par la suite été portée à 40 ans. En toute logique, deux de ces réacteurs devraient déjà être arrêtés et les deux autres devraient l’être à la fin de cette année. Or EDF a émis le souhait de prolonger la durée de vie de tous les réacteurs de 900 MW pour une durée allant de 10 à 20 ans supplémentaires.

Vous trouverez ci-dessous le résumé proposé par “Green Voice” de cette étude, dont le rapport complet est disponible en suivant ce lien. Des informations plus complètes concernant la centrale nucléaire du Tricastin sont disponible sur le site du collectif “Stop Tricastin”.

Enfin, la plateforme “Green Voice”, émanation de “GreenPeace” vous propose de signer une pétition pour demander l’arrêt de cette centrale.

La rédaction du Clairon de l’Atax, le 21 janvier 2021

Entre 2010 et 2020, 84 incidents regroupés dans l’étude en cinq grandes classes

Classe d’incident Code
Nombre d’incidents

Erreurs ou non respect des règles d’exploitation ou
combinaison de la défaillance d’un équipement et d’erreurs d’exploitation

EX 38
Défauts de maintenance MA 11
Irradiations ou contaminations radioactives d’un travailleur en maintenance MAR 4
Défaillances d’un équipement, sans agression extérieure EQ 13
Défaillances d’un équipement en cas de séisme SE 18
Total 84

 

Les incidents d’exploitation (EX) sont les plus nombreux et chacun est relatif à un seul réacteur.


Viennent ensuite les incidents traduisant un risque en cas de séisme (SE), en général du fait du mauvais état de certains équipements. De plus, chaque incident touche plusieurs réacteurs, voire l’ensemble des 4 réacteurs.

Les catégories des incidents de maintenance (MA) et de défaillance de certains équipements (EQ), sans agression externe, se situent un peu au-dessus de la dizaine et peuvent toucher un ou plusieurs réacteurs. Sur quelques exemples il est démontré que c’est le plus souvent la combinaison du non-respect des règles d’exploitation, une maintenance défaillante et des équipements défectueux (soit d’origine soit par vieillissement et manque d’entretien) qui peut conduire à des accidents graves ou majeurs.

La catégorie des incidents d’irradiation ou de contamination (MAR) de travailleurs en maintenance comprend 4 incidents, mais on sait que la question des risques de ce type pour les travailleurs des entreprises extérieures (qui constituent la majorité des intervenants en maintenance) est très importante.

Le rapport précise que “pour 84 incidents signalés, il faut en réalité analyser 147 situations incidentelles” et fait apparaître que, sur ces 147 situations, le réacteur T1 vient en tête, avec 44 situations à lui seul.

Il apparait clairement que le réacteur le plus touché est le réacteur n°1 avec 44 incidents sur 147, ce qui vient conforter notre demande de son arrêt dans les meilleurs délais.

Cette analyse portant sur les incidents de sûreté qui ont affecté la période 2010-2020, entre les troisième et quatrième visites décennales des réacteurs de la centrale nucléaire du Tricastin, a montré la situation de risque permanent, du fait de défauts dans les équipements, d’erreurs dans l’exploitation et de manques répétés dans la maintenance. Cette analyse a mis en évidence un risque majeur pour la centrale du Tricastin : le risque d’accident grave ou majeur en cas de rupture de la digue du canal de Donzère-Mondragon du fait d’un séisme. Et ceci d’autant plus que des interrogations nouvelles apparaissent sur les magnitudes qu’il faudrait prendre en compte dans l’avenir pour le séisme majoré de sécurité (SMS). L’augmentation de ces magnitudes entraînerait des renforcements de certaines structures, certainement difficiles et onéreuses.

En ce qui concerne le vieillissement des installations, si l’on peut effectivement remplacer en théorie beaucoup d’équipements, on sait bien qu’en pratique cela ne serait pas le cas pour tous, étant donné que l’état de beaucoup d’entre eux était déjà discutable bien avant la quatrième visite décennale. Pour exemple, voir les générateurs de vapeur et les diesels de secours, avec tous les équipements auxiliaires dont ils dépendent.

Deux grands équipements essentiels pour la sûreté ne sont pas remplaçables : la cuve et l’enceinte de confinement de chaque réacteur.
 Il se trouve que, parmi toutes les cuves neuves des réacteurs de 900 MW mises en place à la construction, la cuve du réacteur n°1 du Tricastin est la plus affectée, avec une trentaine de défauts sous revêtement (DSR). D’autre part, le vieillissement de la cuve du fait du bombardement neutronique (la fluence), augmente la température de transition ductile-fragile de l’acier de la cuve et impose des mesures compensatoires consistant à maintenir à au moins 20°C, voire nettement plus, la température des bassins et circuits du refroidissement de secours, compliquant l’exploitation du réacteur. La tenue de la cuve des réacteurs du Tricastin et notamment celle de Tricastin 1 au-delà de 40 ans, est un sujet de controverse scientifique. Quant à «se rapprocher le plus possible» de la sûreté de l’EPR, cette exigence ne sera pas satisfaite pour la protection du «bâtiment combustible» qui contient le bassin d’entreposage des combustibles irradiés sortis du réacteur. En effet, ce dernier n’est pas et ne sera pas « bunkérisé » comme c’est le cas pour l’EPR et, de ce fait, il constitue une cible facile pour toute agression extérieure, accidentelle ou criminelle.

Une innovation lourde est cependant exigée pour la mise en place d’un «stabilisateur de corium», cependant moins performant que le «récupérateur de corium» de l’EPR et son fonctionnement est sujet à de nombreuses incertitudes.

Globalement, il ressort de cette étude que la conjonction du mauvais état des quatre réacteurs, de la complexité technique et organisationnelle des quatrième visites décennales et d’un risque sismique majeur (lié à l’extrême et double vulnérabilité de la centrale du Tricastin au séisme, soit par action directe, soit du fait de la rupture de la digue du canal de Donzère-Mondragon) mène à la conclusion que la centrale du Tricastin devrait être arrêtée après 40 ans de fonctionnement.

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Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

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