Quand trop de gens ouvrent leurs parapluies, l’eau en bouteille en bénéficie.

Le moment où l'on présente à un public des projets susceptibles de modifier son cadre de vie et ses habitudes est toujours craint par les élus comme par les techniciens à leur service. Pourtant il faut bien en passer par là.

Le moment où l’on présente à un public des projets susceptibles de modifier son cadre de vie et ses habitudes est toujours craint par les élus comme par les techniciens à leur service. Pourtant il faut bien en passer par là. Rares sont les réunions ou les autorités politiques et leurs techniciens mettent toutes les cartes sur la table, beaucoup utilisent des techniques d’évitement qui vont de la réunion public organisée à un moment impossible, au jargon hyper technique visant à décourager l’auditoire, en passant par le retrait des politiques qui, pour faire passer leurs décisions, s’abritent  voire s’effacent devant ce qu’il présentent comme la science  porteuse d’une vérité incontestable et incontournable.
Voici un texte teinté d’humour qui illustre ce type de comportement de la part d’élus et de techniciens qui oublient tout simple que dans leur auditoire il peut y avoir des gens qui possèdent une expertise égale voir plus pointue que la leur ! La société civile regorge de compétences !

La rédaction du Clairon

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L’air est frais en ce mois de décembre. La nuit est tombée. Des hommes en cravate se garent dans les ruelles de Pouzols-Minervois.  Des silhouettes emmitouflées les attendent de pied ferme au foyer municipal. Les mines sont sévères dans ce village audois de 560 âmes. Ce soir, nous parlons d’eau.

fontaine Image par Katja Just de Pixabay

Depuis toujours, un trésor réside sous le village. Un aquifère abondant. Le plus important réservoir aquifère régional s’aventurent certains. L’eau collectée sur les versants de la Montagne Noire s’infiltre dans un vaste réseau karstique et est piégée dans le synclinal de Pouzols. Ici, ce terme est d’usage courant. Pour un géologue, il s’agit d’un pli convexe dont le cœur est occupé par les couches les plus récentes. Dans cette portion de la vallée de la Répudre les couches anciennes sont imperméables et, sous les sédiments, des couches plus récentes sont formées de calcaires poreux où débouchent des eaux souterraines prélevées à la Cesse et aux versants du Massif Central. Pour les habitants et l’Agence de l’eau, il s’agit surtout d’une configuration hydrogéologique propice à la production d’eau potable, avec un aquifère protégé par un recouvrement naturel imperméable permettant de le préserver de l’impact potentiel des activités de surface.
Cette spécificité permettait aux habitants de Pouzols de bénéficier d’une eau abondante et de qualité autant pour l’irrigation que pour la consommation humaine. Deux forages et un traitement de potabilisation constitué de filtres à sable et à papier et de rayonnements ultraviolets donnaient entière satisfaction.
Mais en 2019 un des forages cessa d’être exploité sur fond de revendications concurrentes de propriété par la commune et l’exploitant BRL. En 2020, l’été fut sec. Le village avait accueilli 200 habitants supplémentaires en 12 ans. Les pratiques d’irrigation s’étaient développées. Il y eut des restrictions. En 2021, la communauté d’agglomération du Grand Narbonne lança alors des travaux de sécurisation de l’alimentation en eau. Il s’agissait de remettre en service le forage abandonné, de découpler l’irrigation de l’alimentation en eau potable et de mettre en place des interconnections avec les villages voisins. Tous saluaient le projet et se félicitaient de l’investissement. Un détail passa inaperçu. Le système de traitement serait réalisé par chloration.

Le chlore est bien connu par les détenteurs de piscines individuelles comme une solution efficace et particulièrement facile à mettre en œuvre pour désinfecter l’eau. Les usagers notent surtout son odeur. Le chlore est un oxydant puissant. Il agira d’abord sur des éléments les plus réducteurs comme le fer ou le manganèse. Puis il détruira les matières organiques en formant des chloramines. Ce sous-produit a une forte odeur de chlore et peut provoquer des irritations. Enfin, si le chlore a été ajouté en excès, la fraction résiduelle, appelée chlore actif donne à l’eau un pouvoir de désinfection rémanent. Cette rémanence permet de neutraliser d’éventuelles contaminations futures.

Ce soir, à Pouzols, l’exposé du directeur du Cycle de l’Eau du grand Narbonne détaille les travaux réalisés. La salle roumègue. Cette réunion, les pouzolais l’ont obtenu en signant massivement une pétition dénonçant la forte odeur de chlore qui a fait intrusion dans leurs vies. L’historique, ils la connaissent. Plusieurs d’entre eux ont été membres du conseil municipal du temps où l’eau était gérée par la commune. L’ancien maire précise « On nous a donné trois jours, en octobre, pour faire signer la pétition, c’est pour cela que nous n’avons eu que 250 signatures, en une semaine nous en aurions présenté le double. »

Les premières questions sont courtoises. Elles permettent d’apprendre les raisons du choix de la chloration. Cette technologie serait utilisée dans toutes les autres communes de l’agglomération, la choisir facilite donc l’interconnexion et participe à la sécurisation. Les filtres à papier demandaient beaucoup d’entretien, alors que l’adjonction de chlore se fait automatiquement. Mais surtout la rémanence permet de s’assurer que même en cas de contamination du réseau, l’eau reste consommable où que se trouve le point de contamination. L’hypothèse proposée par le technicien étant qu’il y aurait des puits abusivement raccordés au réseau d’eau potable, et que les compteurs en question ne seraient pas dotés d’un clapet anti-pollution. La chloration serait donc la seule solution permettant de garantir la sécurité sanitaire de l’approvisionnement en eau potable partout et à toute heure. Un ancien conseiller municipal s’étonne, le système précédant était pourtant conforme. Le directeur lui demande comment étaient gérés les problèmes dans les analyses. L’ancien maire lui répond que cela n’arriva qu’une fois, lors des inondations tragiques de 1999 qui endeuillèrent le département. Silence….

Dans l’auditoire on connaît le cas de l’agglomération de Mulhouse qui utilise un système aux ultraviolets et répond aux exigences réglementaires. Dans l’auditoire on sait qu’un clapet anti-pollution ne coute que quelques euros et que la régie n’a pas besoin d’autorisation pour en poser.

Viennent ensuite les questions sur les qualités organoleptique de l’eau chlorée. Le directeur affirme que le chlore est imperceptible, seule ses variations peuvent être décelées. Un habitant l’invite alors chez lui pour constater que sous la douche on pourrait se croire à la piscine municipale. Un autre déclare acheter désormais de l’eau en bouteilles tant l’eau de Pouzols autrefois si remarquable est devenue infecte. Il pointe le gâchis écologique. Le directeur assure avoir fait tester le chlore actif et constaté qu’il répondait aux normes. Face aux questions répétées, il détaille le protocole de l’Autorité Régionale de Santé qui éclaire bien peu les Pouzolais.

Dans l’auditoire on sait ce que sont les chloramines. Dans l’auditoire on regarde avec étonnement cet homme en cravate qui n’en fait pas mention et les trois vice-présidents de l’agglomération qui répètent ne rien y connaître mais avoir une confiance totale dans leur expert…

La question fatidique est enfin posée. On demande de réinstaller un système à ultraviolet pour retrouver la qualité de l’eau d’antan. Le directeur refuse. Pour lui la rémanence est nécessaire pour protéger la population et seul le chlore apporte cette caractéristique. Il est de sa responsabilité d’imposer cette solution. Dans un grand bruit de chaises la moitié de l’assistance se lève et quitte la salle. Une dame demande alors quelles actions peuvent être menées pour obtenir gain de cause. Les élus et leurs techniciens n’ont pas de réponse. La question leur semble peut-être même incongrue. A mon tour j’interpelle les élus, en leur demandant si la responsabilité ce n’est pas d’abord la leur. L’un d’eux me demande si je voudrais qu’ils prennent des risques avec la santé des habitants. Je lui réponds que je voudrais qu’ils consultent d’autres experts.

D’autres questions suivent. Oui madame, je suis aussi surpris que vos filtres se bouchent, il y a pourtant moins de sédiments dans le forage utilisé désormais que dans celui d’avant. Un murmure lui répond qu’il y avait surtout des filtres avant. En effet, monsieur, je suis surpris que votre adoucisseur d’eau n’élimine pas le goût de chlore. Mais n’en abusez pas, l’adoucisseur d’eau remplace les ions chlorures par des ions potassium dont l’excès peut être dangereux pour la santé.

Mon cerveau décroche, je n’en peux plus. Les ions chlorures Cl sont des anions. Les ions potassiums K+ sont des cations. Ils ont des charges opposées, le système ne peut pas fonctionner comme cela. Un adoucisseur d’eau remplace les ions calcium Ca2+ par des ions potassium K+ dont la charge est de même signe. La dureté correspond à la concentration en calcium. Peut-être s’est-il embrouillé avec les charbons actifs qui permettent la déchlorination. Mais on ne fait pas ce genre de bourde quand on est l’ingénieur qui anime une réunion publique sur le chlore. Et puis s’il y a des sédiments dans l’eau, le chlore ne peut pas détruire les pathogènes encapsulés à l’intérieur, il faut un filtre. Mais si les habitants ont l’impression d’être à la piscine c’est que le problème vient des trichloramines, il n’en a pas parlé une seule fois. J’en reste coi.

La réunion s’achève. Les élus promettent de faire plus de mesures du chlore actif. Peut-être qu’ils n’ont pas de piscine. Ils sauraient. Par contre ils ont leur parapluie bien ouvert.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 18/12/2021

 

 

 

 

 

https://www.rhone-mediterranee.eaufrance.fr/sites/sierm/files/content/migrate_documents/ZSE_ZSNEA_SecteurPouzols.pdf&usg=AOvVaw0fTyYaYCSRxnMkznAs1gST

https://www.lindependant.fr/2021/04/12/le-grand-narbonne-securise-lalimentation-en-eau-de-pouzols-minervois-9484112.ph

 

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