Manipulation ? (Image par shahbazshah91 de Pixabay)
Jamais depuis le début du XXI ème siècle, les expédients employés par nos gouvernants pour faire passer des idées et projets impopulaires n’ont été aussi nombreux et variés.
Pourtant les moyens de formatage de l’opinion n’ont cessé de se renforcer et de se déployer grâce à la concentration des grands médias entre les mains de quelques milliardaires. Mais cela ne semble pas suffire puisqu’à nouveau la France se trouve dans une situation où la population exprime son mécontentement par des grèves et manifestations massives.
Est-ce le signe d’une inadéquation des institutions de la V ème république à produire une gouvernance efficace du pays, ou est-ce plus profondément celui d’une crise de l’idéologie néolibérale qui anime plus ou moins nos gouvernants successifs ?
En tout cas la gouvernance de notre pays est bien en crise. Et cette crise s’exprime de manière particulièrement spectaculaire depuis le début du second mandat présidentiel d’E. Macron. Plus que jamais on y voit se déployer toutes sortes d’artifices.
Deux exemples qui rendent bien compte de la situation : celui de la réforme des retraites et celui de la relance du nucléaire .
Dans les deux cas E. Macron change radicalement de projet politique : il passe d’un projet de retraite à points au maintien de la retraite par répartition ; d’abord favorable à la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique, il se prononce pour la relance du nucléaire en février 2022.
On pourrait objecter par boutade que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, mais il s’agit ici d’un personnage à la tête d’un système politique qui donne des pouvoirs étendus au président de la République.
Lors de son premier mandat, E. Macron, qui avait été « vendu » à l’opinion comme un personnage novateur, expérimenté et compétent, avait profité de cette aura pour contourner les représentants de la société civile et inaugurer une gestion autocratique des affaires du pays. Il était soutenu par une majorité absolue de députés qui lui devaient beaucoup, sinon tout. Mais son second mandat a été obtenu avec une légitimité bien moindre : son élection, quasiment par défaut, le doit plus aux singularités du système électoral qu’à l’adhésion d’une majorité de Français. Affaibli, il doit pour continuer à servir les intérêts de l’oligarchie qui l’a fait élire, rechercher des alliances de circonstance auprès d’un parlement où il ne dispose plus de la majorité absolue, mais il doit aussi fabriquer le consentement de l’opinion aux mesures qu’il est décidé à prendre.
Comme ces mesures favorisent généralement les plus riches qui défendent leurs intérêts par l’intervention de puissants lobbies, le consentement de l’opinion ne peut être obtenu que par la diffusion de contre-vérités, autrement dit de mensonges proférés par des « experts » de toute nature, de nombre de journalistes affidés ou intoxiqués, mis en scène et diffusés par les médias. Leur rôle est de persuader que la seule préoccupation de nos gouvernants est le bien du plus grand nombre.
Dans le cas du système de retraites, le mensonge consistait à faire croire qu’il était en péril et qu’il fallait immédiatement réagir. Pour appuyer ces assertions, le président de la République, le gouvernement, les politiciens de droite, s’appuyaient sur leur interprétation d’un récent rapport du COR (Conseil d’Orientation des Retraites), un organisme public indépendant donc réputé objectif. Cette interprétation déformait les conclusions du COR et véhiculait des contre vérités au point que le président du COR, Pierre-Louis Bras, a du faire une mise au point devant la Commission des finances de l’Assemblée Nationale : « Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l’hypothèse la plus défavorable, elles augmentent sans augmenter de manière très très importante […]. Donc les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées. »
Dans le cas de la relance du nucléaire, le mensonge consistait à faire croire que le projet de loi relatif à la simplification des procédures administratives dans le cas de construction de nouvelles installations nucléaires n’avait aucune incidence sur les réflexions en cours sur la Stratégie énergétique française. Selon le gouvernement : « Le présent projet de loi n’emporte pas de décision s’agissant de l’engagement de projets de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires, ni s’agissant des orientations relatives au mix électrique français. Il ne préjuge pas des décisions qui seront prises à l’issue des travaux en cours sur la Stratégie française relative à l’énergie et au climat, qui tiendront compte des concertations et débats publics prévus sur ces sujets ». Ici encore ces assertions gouvernementales proféraient une contre-vérité tellement évidente que Chantal Jouanno la présidente de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public, un autre organisme public indépendant qui anime actuellement un débat sur la construction de six nouveaux réacteurs), s’est senti obligée de réagir par un communiqué intitulé « Le nucléaire, la loi, la constitution » où elle rappelle que les débats publics sur ces sujets sont prescrits par la Constitution, mais que le projet de loi en cours de discussion et les amendements qui y ont été glissés par les sénateurs et le gouvernement crée une situation où : « Il revient à considérer comme sans intérêt les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours » (1)
Une fois de plus en Macronie le débat public constitue une sorte de leurre visant à faire passer des décisions déjà prises par le président et en cours d’exécution par son gouvernement.
De l’imposture comme moyen de disqualification des adversaires politiques
L’imposture est définie comme l’action de tromper par de fausses apparences ou des allégations mensongères, de se faire passer pour ce qu’on n’est pas. Elle est largement employée dans le combat politique actuel : à défaut d’arguments permettant de débattre avec l’adversaire, on le discrédite par la mise en spectacle de tel évènement de sa vie privée. Telle ou telle personnalité politique se transforme en inquisiteur pour dénoncer les turpitudes de telle ou telle autre. Les problèmes concernant la sexualité sont particulièrement propices à l’impact des dénonciations sur l’opinion. Mais cela devient grotesque lorsque tel élu, actuellement ministre, qui a reconnu avoir obtenu des relations sexuelles en échange de son aide engage un procès en diffamation contre un autre élu qui a reconnu avoir giflé sa femme !
Ailleurs tel élu bien en cour est discrètement absous des violences contre son épouse et autorisé à maintenir sa candidature aux législatives, tandis que tel autre convaincu de harcèlement se voit contraint de démissionner à la suite d’un procès extrajudiciaire ? Où est l’éthique ? Qu’est devenu le politique ?
Le pouvoir politique est-il devenu si peu légitime qu’il a besoin d’employer de tels moyens pour se maintenir et gouverner ? Mentir aux citoyens est politiquement contreproductif : cela ne fait que nourrir leur défiance et momentanément provoquer leur apathie…jusqu’à la crise.
Les peuples encaissent beaucoup avant de réagir. Actuellement c’est l’Iran qui en fait la démonstration : bien entendu on ne peut comparer cette autocratie théologique avec notre autocratie républicaine bien plus subtile. Mais cela n’empêche pas d’espérer qu’en France le peuple provoque le changement de nos institutions, indispensable à un renouveau politique démocratique.
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 22/01/2023