Entre Carcassonne et Mazamet sur le versant sud de la Montagne Noire la vue sur la chaîne des Pyrénées se perd sur l’horizon. Pour une région Méditerranéenne l’eau y est abondante. Fontiers-Cabardès, 449 habitants, est même connue comme la « perle verte » de la Montagne Noire. Un projet de complexe touristique pharaonique y fait débat. Un parcours de golf 18 trous et son club-house, un hôtel-restaurant 4 étoiles pour 80 chambres et 170 couverts, jusqu’à 68 villas, 165 appartements et un héliport ont été projetés. Ses promoteurs le décrivent simplement comme un golf. Ses détracteurs préfèrent le qualifier de projet immobilier golfique pour insister sur le volet immobilier du projet.
Golfeuse désherbant une prairie (Image par Stefan Waldvogel de Pixabay)
Un enfantement tortueux
L’idée d’un golf dans le canton de la Montagne Noire est ancienne et son histoire est tortueuse. Un premier projet à Villardonnel a conduit l’ancien maire devant les tribunaux en 2011 (où il a été condamné à de la prison ferme), avant d’être abandonné dans la douleur. Sans attendre, un autre projet voyait le jour à Fontiers-Cabardès en 2010. Porté par Catherine Lacoste, l’une des héritières du fondateur du groupe éponyme, le projet prévoit de construire un immense complexe touristique sur 250 hectares autour de la ferme de La Canade pour un budget total de 170 millions d’euros. Le 8 février 2011 le maire de l’époque, Yves Bonnafous, signait avec la société Telcapi une convention engageant pour 30 ans la commune à faciliter, chaque fois que nécessaire, les démarches afin de permettre la réalisation de l’opération sous peine d’une astreinte de 300 euros par jour. En 2012, le comité de massif octroyait l’autorisation de création d’une unité touristique nouvelle (UTN) sur le site. Elle permet de déroger à la plupart des contraintes de la loi Montagne. En 2013, l’opposition au projet prenait de l’ampleur, une manifestation était organisée et une pétition était remise en préfecture. Mais le collectif d’opposants « les crocos du Cabardès » n’étant pas structuré en association, il ne peut pas agir en justice. En 2014, Gilbert Plagnes, le nouveau maire, plutôt hostile au golf, héritait de l’accord signé entre son prédécesseur et les porteurs du projet. En 2017, le plan local d’urbanisme (PLU) de Fontiers-Cabardès est annulé par la justice, le projet de golf est arrêté. En 2021, Gilbert Plagnes, relance le projet de golf. L’association Montagne Noire Avenir est alors créée, à l’instigation notamment de Justine Bianconi et Emmanuel Pistre tous deux habitants du village. L’association se présente ainsi : « Nous sommes un collectif d’habitants du village engagé dans la préservation et l’amélioration de notre cadre de vie. Nous agissons pour préserver les ressources environnementales, le patrimoine rural et culturel de la commune et de ses environs. Nous nous engageons dans une démarche de développement de la citoyenneté et la démocratie locale. » En 2022, l’enquête publique sur le nouveau PLU n’a pas manqué de refléter la crispation ambiante.
La question de l’eau
Depuis, l’association Montagne Noire Avenir, très active, a multiplié les rencontres et les évènements. Quand le gouvernement appelle à “éviter de faire le buzz sur l’arrosage des greens, les jets privés et le reste”, appelant notamment à se consacrer à “la lutte contre le gaspillage de l’eau” et aux “20 % de fuites”. », Montagne Noire Avenir s’insurge. Réduire la question de l’eau aux problématiques d’eau potable revient à laisser un arbre cacher la forêt. La ferme de la Canade se trouve en tête d’un bassin versant vivant grâce à l’eau qui descend de la Montagne Noire. L’appauvrissement et l’artificialisation des sols à cet endroit aura des conséquences jusqu’à Carcassonne. Et un sol où les vers de terre ne sont pas les bienvenus, couvert sur des hectares par une seule espèce comme le gazon, est particulièrement pauvre. Or le sol joue un rôle central dans la lutte contre les ruissellements qui provoquent de terribles inondations dans l’Aude. Dans la vallée voisine, le 15 octobre 2018, la rivière en crue a inondé les villages, arraché les ponts et provoqué une quinzaine de morts. Les ruissellements privent également les cours d’eau de ressources lorsque le besoin est le plus fort au cœur de l’été. Pour la Confédération Paysanne, qui soutient sans réserve l’opposition au golf, il est nécessaire de “préserver l’eau, qui doit revenir en priorité à l’alimentation humaine et à la production nourricière”. L’Aude se trouve aux premières loges du changement climatique. La montagne noire en particulier est à l’interface entre le climat océanique dégradé et le climat méditerranéen beaucoup plus sec. Et cette interface se déplace à mesure que le climat se réchauffe. La sécheresse historique de 2022 marquée par une succession d’arrêtés préfectoraux et de restrictions ne pourrait qu’être la première d’une longue série. “Ce qui se joue à Fontiers-Cabardès, c’est un conflit d’usage de l’eau”, résume Justine Bianconi, qui ne conçoit pas que l’État laisse se développer un golf et impose en parallèle des restrictions. Montagne Noire Avenir défend le partage de l’eau, pas l’accaparement pour des intérêts privés. Le département estime que les besoins augmenteront d’ici 2030 de 6 millions de m3 d’eau pour répondre aux besoins des Audois, pour leur consommation, leurs usages domestiques et pour l’irrigation des cultures. En réponse, le promoteur prévoit de ne pas utiliser la retenue d’eau existante à la Canade, mais de l’aménager en une zone humide de plus de 8000m2. L’arrosage sera fourni par un bassin de 35 000 m3 alimenté uniquement par le drainage des parties hautes du domaine. La solution ne convainc pas. La chambre d’agriculture a émis une avis défavorable, notamment par rapport au problème de l’eau. L’heure est à la sobriété.
Pollution, perte de terres agricoles, déforestation
Dans le village, la ferme de la Canade était connue comme « la ferme des patates » signe d’un sol profond et fertile. La chambre d’agriculture affirme même que les terres sur lesquelles doit s’implanter le complexe immobilier sont les plus fertiles aux alentours de la Montagne Noire. Le domaine était cependant resté à la vente pendant plusieurs années sans trouver d’acheteur. Certains y voient un problème de conjoncture agricole ou de prix demandé trop élevé. Les promoteurs du projet, eux, y voient simplement une justification suffisante pour engager une conversion irréversible de la vocation de l’espace. La demande ne manque pourtant pas. En effet, certains agriculteurs, voyant que le projet était bloqué, ont exploité les terres. Le droit agricole le facilite à travers le régime du commodat. Il s’agit d’une formule souple qui permet à un propriétaire de mettre un bien foncier à disposition d’un exploitant. Celui-ci peut en faire librement usage, sous réserve de le rendre en l’état. L’absence de contrepartie financière est une condition sine qua non dans ce contrat. Le propriétaire est alors assuré de pouvoir reprendre le bien lorsqu’il le souhaite et ses terres sont entretenues. Gérard Caral-Vila, président du comité de soutien pour le projet de golf, le présente comme un geste charitable puisque le promoteur n’a rien reçu et a payé les impôts fonciers. Les agriculteurs s’étonnent que ce commodat ait interdit, en dépit des usages locaux, certains types d’exploitations. Ils se l’expliquent en supposant que les promoteurs craignaient que des récoltes abondantes ne révèlent le caractère exceptionnel de cette ferme. Si les golfs sont traditionnellement de grands consommateurs de produits phytosanitaire, la loi leur impose de revoir leur pratiques, en étant en zéro phyto et zéro engrais à partir de 2030. En ce qui concerne la déforestation, des arbres ont été abattus avec l’accord de l’ONF, mais il s’agirait de résineux malades. Les remplacer par d’autres espèces est considéré par les promoteurs comme une opération de reforestation pérenne et non pas comme de la déforestation. Enfin, le promoteur balaie la question de l’impact du chantier en promettant que toutes les constructions nouvelles seront neutres en carbone et intégrées au paysage local en utilisant des parements en pierre locale. Si ces arguments pouvaient faire douter il y a quelques années à peine, la réalisation de complexes œnotouristiques dans le département les a rendus inaudibles. Montagne Noire Avenir ne désarme pas. Une opération de comptage leur a permis d’identifier sur le site de la Canade 74 espèces protégées en quelques heures d’observation seulement.
L’argument économique
Un parcours de golf 18 trous et son club-house, un hôtel-restaurant 4 étoiles pour 80 chambres et 170 couverts, jusqu’à 123 villas, 165 appartements et un héliport ont donc été projetés. Gérard Caral-Vila, président du comité de soutien pour le projet de golf, y voie un projet structurant pour le canton. Le golf sera porteur d’emplois. Il est prévu de créer 80 emplois en basse saison et 120 en période d’affluence alors que le village compte moins de 500 habitants. De plus, il escompte que l’hôtel prévu ne puisse pas répondre à toutes les demandes d’hébergement, ce qui profitera aux gîtes et chambres d’hôtes environnants en leur apportant une nouvelle clientèle.
L’Aude est l’un des départements les plus pauvres de France avec un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale. Refuser un investisseur prêt à injecter des millions d’euros dans un terrain peu convoité et à créer au moins 80 emplois serait, pour lui, une hérésie. L’argumentaire est remarquablement identique à celui qui prévaut pour le développement touristique dans les pays en voie de développement. De surcroit, d’après une enquête de l’INSEE (2019), le golfeur type est un homme, de 48 ans, appartenant à une catégorie socioprofessionnelle supérieure et investissant en moyenne 600 euros par an en matériel. En comparaison, le revenu médian par habitant à Fontiers-Cabardès est de 17 950 euros. Cet écart renforce la pertinence d’une analogie avec le tourisme occidental vers des territoires moins riches. L’édition 2022 du rapport sur la situation et les perspectives de l’économie mondiale établi par l’ONU pointe que le tourisme peut constituer un facteur de croissance économique, mais que le passage de la croissance au développement n’est nullement automatique, en contradiction avec la doctrine économique néoclassique. Le schéma théorique bien rodé présenté par les promoteurs du tourisme ne correspond pas à la réalité constatée dans le rapport de l’ONU. En particulier, un enrichissement macroéconomique n’implique pas le développement des catégories de population qui en ont le plus besoin. Transposé au cas de Fontiers-Cabardès, si les emplois créés ne sont pas occupés par des Audois précédemment au chômage, l’impact en termes de développement local sera faible. Or les profils professionnels touristiques sont peu nombreux parmi les chômeurs audois.
L’autre grand argument est que la réalisation du projet générera également un surplus conséquent de recettes fiscales pour la commune, grâce à la taxe foncière. La commune sera donc en mesure de mieux satisfaire les besoins de ses habitants selon Gérard Caral-Vila. D’autant plus que si le golf ne se fait pas, la commune sera redevable d’une indemnité de 300 euros par jour pendant trente ans. Les élus sont piégés. Le rapport de l’ONU préconise de limiter au minimum l’intervention de certains acteurs étrangers à ces zones lorsqu’ils imposent ou essayent d’imposer leurs manières de gestion et leurs règles du jeu. Moins de 20 % de tout l’argent dépensé par les touristes reste alors en moyenne sur le territoire. Le reste, les « fuites » repartent avec les promoteurs dans leur zone d’origine. A Fontiers-Cabardès, le projet est porté par Telcapi (Paris), avec les cabinets d’architecte Olazabal design (Madrid) et Les Ateliers du golf (Bayonne). Les touristes auront un profil international aisé. Les « fuites » pourraient en conséquence dépasser les 80 %. Et l’Aude restera un département pauvre.
Le PLU, champ de bataille
Le comité de soutien du golf revendique 80 adhérents, alors que Montagne Noire Avenir qui s’y oppose affiche 150 membres. Côté politique, le silence est assourdissant, à l’exception du groupe local EELV. La région Occitanie comme le Conseil Départemental de l’Aude semblent éviter soigneusement de se prononcer. La municipalité, elle, est fermée au dialogue. Elle avance la nécessité très discutable de construire une salle polyvalente pour justifier l’élaboration d’un nouveau Plan Local d’Urbanisme (PLU). Concomitamment, l’adoption du PLU est une étape indispensable au projet immobilier golfique.
En guise d’exutoire, de lieu de démocratie, l’enquête publique relative à l’adoption du PLU s’est déroulée en juillet 2022. Le rapport remis le 10 août compte pas moins de 337 pages auxquelles s’ajoutent 10 pages de conclusion et d’avis motivé. Le projet de golf a lui seul a suscité 111 contributions défavorables. Le commissaire enquêteur précise à son propos : “Il s’agit seulement de la délimitation des zones et non pas de la création du complexe golfique qui doit encore être soumis à étude d’impact, permis d’aménager et dossiers loi sur l’eau et défrichement.” L’argument ne convainc pas MNA qui craint un autre verrou sur lequel s’appuient les promoteurs du projet.
A la suite de l’avis favorable sous réserve du commissaire enquêteur, le 19 décembre 2022, le conseil municipal adoptait le plan local d’urbanisme (PLU) de Fontiers-Cabardès.
Montagne Noire Avenir (MNA) envisage une action en justice contre la délibération d’adoption du PLU. Une démarche qui nécessite des finances, pour tenir le choc de longues procédures, comme avec l’annulation du précédent document d’urbanisme conclue devant le Conseil d’Etat.
MNA a mobilisé ses soutiens en novembre pour deux évènements culturels. M.A.N. et Anibal Galant se sont produits lors d’un concert de soutien. Et une “vente d’art unique pour préserver la montagne Noire” a été organisée grâce aux dons d’artistes. Le collectionneur averti, comme l’opposant au golf, pouvaient y trouver œuvres sculptées, peintures à l’huile d’art abstrait, aquarelles illustrant le quotidien de la Montagne Noire, ou encore gravures, peintures paysagères en acrylique et monotypes. L’objectif affiché était de lever des fonds visant à financer des actions juridiques. L’association souhaite médiatiser davantage encore ce sujet, pour faire connaître les enjeux.
« S’opposer au golf, c’est courir après un train qui a déjà quitté la gare » affirme Gérard Caral-Vila, président du comité de soutien du complexe golfique. Cette affirmation doit nous questionner sur nos pratiques démocratiques. La puissance publique ne devrait jamais être pieds et poings liés parce qu’elle n’a pas pas les reins assez solides pour dénoncer un contrat qui interroge. La loi prévoyait le transfert de la compétence d’élaboration du plan local d’urbanisme à l’intercommunalité, plus solide et qui dans ce cas était surtout indépendante du promoteur. Mais par dérogation, par clientélisme de certains élus aussi peut-être, les communes ont conservé cette compétence au mépris de l’intérêt général. Mais au-delà, il existe des projets qui engagent une commune sur le long terme. Lorsqu’une telle opportunité se présente en cours d’exercice, elle n’est jamais débattue comme dans le cadre d’une campagne électorale. Il faut alors encore plus de contorsions sémantiques pour qualifier de démocratique la décision du conseil municipal . Pour reprendre la métaphore, il serait temps que les trains ouvrent leurs portes, avant de quitter la gare, pour emporter les passagers.
Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 20/03/2023
Crocodile en recherche de golf (Image par nichkamon de Pixabay)
Bon article, bien renseigné. Deux petites rectifications cependant : le groupe EELV du département est le seul mouvement politique à s’ être prononcé lors de l’ enquête publique du PLU de Fontiers-Cabardès, et ce contre le projet.
Autre chose : le projet n’a pas été diminué finalement pour être « acceptable ». Il l’ avait été en 2012 puis a finalement retrouvé ses 123 villas, 165 appartements, hôtel de 80 chambres… il faut ce qu’il faut !
Merci beaucoup pour ces rectifications.