Le jour où la constitution de 1958 s’exclama : Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ?

La Cinquième République est un régime représentatif. Le régime inauguré ce 14 avril 2023 s’approche d’un régime représentatif à unique représentant, le Président.

Charles de Gaulle (Image par Michael Hourigan de Pixabay)

Le 14 avril 2023, la Cinquième République Française s’est éteinte dans un palais parisien lors d’un débat à huis clos sécurisé par une cohorte de gardes en armure.
Le Président a reçu des pouvoirs étendus ce jour là. Les livres d’histoire le formuleront peut-être différemment. Ils y verront peut-être des décisions banales du Conseil Constitutionnel qui ne se distinguent que par le formidable émoi qu’elles ont provoqué. Ils mettront peut-être cet évènement sur le même plan que l’institution de l’élection du président au suffrage universel de 1962 ou que la réforme du quinquennat de 2000. Ces réformes constitutionnelles avaient aussi profondément modifié la nature du régime en renforçant le Président. Mais ces deux réformes avaient fait l’objet de référendums, alors qu’une des décisions du 14 avril 2023 rejetait le retour au peuple comme solution de sortie de crise. Nous verrons sans doute des débats d’experts s’interroger pour savoir si une République s’éteint lorsqu’elle est obsolète ou lorsqu’elle est remplacée. Mais ce dont aucun livre d’histoire ne doutera, c’est que la nature du régime politique français a changé ce jour là.

Un nouveau régime

La Cinquième République était décrite comme un régime parlementaire, doté d’un pourvoir présidentiel fort. Le Conseil Constitutionnel a choisi, dans son palais de la rue de Montpensier, de briser cet équilibre original, dont il était garant, en faveur du Président. La décision se drape des apparences d’un avis technique dépourvu d’idéologie. Pourtant de nombreux constitutionnalistes avaient proposé des solutions, tout aussi techniques, aux conséquences diamétralement opposées. Le droit n’est pas une science, il est affaire d’interprétation. Le Conseil Constitutionnel a fait le choix de permettre au Président de gouverner seul. Son élection au suffrage universel et la concordance des mandats lui ont permis depuis longtemps de faire du Premier Ministre un simple collaborateur, qu’il nomme et remplace à loisir. L’Assemblée, lorsqu’elle était alignée avec le Président n’était guère plus qu’une chambre d’enregistrement de ses décisions. Mais à la faveur des élections législatives de 2022, une Assemblée Nationale sans majorité absolue s’est invitée dans la Cinquième République : des commentateurs s’en réjouissaient espérant la voir reprendre sa place au cœur de la République.
Selon la jurisprudence nouvelle du Conseil Constitutionnel, tout texte ayant un impact sur les finances publiques peut être adopté sans vote au Parlement et sans que tous les articles ne soient débattus. Bien peu de lois n’ont aucun impact sur les finances publiques. Formellement, l’Assemblée peut seule s’y opposer en adoptant une motion de censure.  Mais en faisant cela, elle s’expose au courroux du Président qui n’a pas caché son intention de la dissoudre, si cela devait arriver. Dès lors, les députés sont invités à mettre en balance le risque de ne pas être réélus avec ce qu’ils pensent être le mieux pour le pays. Le Conseil Constitutionnel a donc réduit considérablement la fenêtre des cas où le Parlement peut effectivement jouer un rôle de contre-pouvoir. Et ce même Conseil a, en parallèle, fait le choix de rendre objectivement inaccessible l’option référendaire, alors que le retour au peuple en cas de crise est ce qu’il y a de démocratique dans nos systèmes politiques. La volonté du Président ne peut être mise en échec que si une majorité de députés sont prêts à risquer leur siège. Tel est le paradigme du nouveau régime qui a été instauré le 14 avril 2023. 

Un nouvel absolutisme

Une telle faiblesse des organes de contrôle est une incongruité dans le petit monde des démocraties occidentales. Depuis des années, les régimes d’exception se succèdent. Les États d’Urgence sont devenus une norme confortable pour l’exécutif depuis une décennie. Force est de constater qu’il est vain d’espérer un retour à une normalité, même théorique.
Ceci s’ajoute à des méthodes de répression violentes des contestations, basées sur une logique d’escalade et l’usage d’armes sublétales. Ces armes sont conçues pour ne provoquer que rarement des blessures graves ou mortelles. Le fichage et l’intimidation des opposants, notamment écologistes, et l’usage immodéré de menaces de poursuites, souvent non fondées en droit par les agents de l’État, sont d’autres évolutions qui étonnent par leur caractère autoritaire nos voisins européens.
A l’aube de la Cinquième République, en 1958, le général de Gaulle s’exclamait outragé : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? ». Alors que sa constitution fête ses 65 ans, souhaitons que cette citation célèbre ne soit jamais perçue comme prophétique.
Dans le Larousse, on peut lire : Dictateur :  Personne qui, à la tête d’un État, détient tous les pouvoirs, les exerçant sans contrôle et de façon autoritaire.
Aujourd’hui, l’usage du terme de dictateur a évolué. Il faut un coup d’État. Un dictateur accède au pouvoir ou s’y maintient par la violence. Mais la violence contre sa propre population ne suffit même plus, il faut une violence contre l’État lui-même. Heureusement, grâce à ce glissement, aucun Président de la Cinquième République ne sera jamais un dictateur, même si il est élu ou réélu lors d’une élection sans alternative. 

Ceux qui ont fait barrage

Nous sommes nombreux à avoir voté pour Emmanuel Macron malgré son néolibéralisme illibéral pour faire barrage à l’extrême droite. L’Histoire nous a appris que celle-ci finit toujours par se révéler dans un exercice totalitaire du pouvoir qui nous effrayait. Les institutions de la Cinquième République sont concentrées et donc fragiles. Nous voulions protéger la France contre une dictature qui finirait par se construire immanquablement, comme à chaque fois, sur la victoire de l’extrême droite. Peu importait que le ministre de l’intérieur se vante d’être plus dur que l’extrême. Ce n’étaient que fanfaronnades et calculs électoraux. Nous votions pour repousser une fois encore la chute de notre pays dans le gouffre où la démocratie s’éteint.
Ce 14 avril 2023, nous n’attendions rien. Mais nous avons tout de même été déçus. La Cinquième République s’est éteinte devant nous, malgré l’importance de notre mobilisation et du nombre de nos appels à un usage plus démocratique des procédures.
Il faudra sans doute du temps pour prendre pleinement conscience de la situation. Il y aura du déni, de la colère, ainsi vont les deuils.
Nous ne ferons pas le deuil de la démocratie.

Quelle démocratie ?

La décision du Conseil Constitutionnel et la promulgation immédiate de la loi sur les retraites par le Président est présentée par le gouvernement comme la conclusion du chemin démocratique. Les opposants quant à eux crient au déni de démocratie. La nation a donc une base commune pour se réinventer.
Dans le Larousse, on peut lire : Démocratie : Système politique, forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple.
Cette définition moderne est très permissive. De nombreux régimes totalitaires n’ont d’ailleurs pas hésité à l’inclure dans leur nom, de la République Démocratique Allemande (RDA) à la République Populaire et Démocratique de Corée (Corée du Nord). Faisons crédit aux deux camps d’avoir un plus haut niveau d’exigence. En matière législative une base de travail pourrait être l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. »
La Cinquième République est un régime représentatif. Le régime inauguré ce 14 avril 2023 s’approche d’un régime représentatif à unique représentant, le Président. Les citoyens ne concourent jamais personnellement à l’élaboration de la loi. Ils peuvent tout de même ponctuellement être appelés à s’exprimer à travers de référendums ou des consultations qui, en pratique, ne peuvent être convoqués que par le Président. En pratique toujours, vu leur rareté, ces référendums se sont toujours résumés à des plébiscites. Et ces plébiscites ont une fâcheuse tendance à mettre le Président en difficulté.
Il faut quelques contorsions pour considérer que nous respectons toujours cet article fondateur. En particulier, Il faut admettre que l’usage de la conjonction « ou » permet l’exclusion complète de l’une des options. Cette même formulation pourrait tout autant être comprise comme une solution de subsidiarité : Lorsque concourir personnellement n’est pas réalisable, un citoyen peut se faire représenter.
Le choix d’un nouvel équilibre nous appartient.

Les puissants

Une constitution n’est qu’une boîte à outil. Une mauvaise constitution n’empêchera jamais une nation d’aller vers le haut. Une bonne constitution ne la protégera pas de tous les errements des puissants. Un ordre de grands serviteurs de l’État, recrutés parmi les meilleurs et formés aux arcanes de l’administration, devait guider les décideurs vers le bien commun. Force est de constater que ses membres, ceux que l’on nomme communément énarques, sont au cœur de la grave crise démocratique que nous traversons. Issus d’un même moule social et culturel, formés par les même maîtres, inclus dans les mêmes réseaux de clientèles, ils sont devenus les puissants qu’ils devaient guider. Et leur appréhension du bien commun a dérivé vers une logique de caste, toujours plus en décalage avec les attentes du peuple. Certains ont même cessé de croire en l’État.
Toute réflexion sur un renouveau démocratique doit à un moment ou un autre s’interroger sur leur rôle. La conclusion est toujours la même. Ce rôle doit être restreint. En effet, dans la Cinquième République, malgré toutes ses tentatives de décentralisation et de déconcentration, le pouvoir est très concentré.
Quelques Grands Élus et un aréopage de personnages nommés détiennent l’essentiel des pouvoirs. Autour d’eux gravite toute une constellation d’Élus de moindre rang et de fonctionnaires.
Toute intrusion des citoyens dans les processus de décision leur serait préjudiciable. Ils n’en veulent pas. Ils ne veulent pas plus de démocratie.

Notre démocratie est malade. Les citoyens ne voient pas d’issue à leur colère. Les puissants ne peuvent l’ignorer mais ne feront rien. Peut-être est-il temps de réinventer la République. Sans eux.

 

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 18 /04/2023

 

 

 

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1 commentaire

Super article, je couche quelques propositions.

Partie 1) Le Conseil Constitutionnel a été semble-t-il pensé exactement comme ça. Il fait son travail dans l’esprit originel de la constitution de 1958. Un des rédacteurs de cette constitution, Michel Debré mentionnait la nécessité de créer “Une arme contre les déviations du régime parlementaire”. Debré avait bien sûr la quatrième république à l’esprit. Dans cette logique, l’importance du CC était moindre, car entièrement procédurale. Mentionnons qu’à l’époque, ni les députés ni les citoyens ne pouvaient le saisir. C’est le cas aujourd’hui (de manière très restreinte, en particulier pour les citoyens). Par ailleurs, la pratique consistant à censurer des lois (de droite ou de gauche) sur un contenu politique est venue assez tardivement.

Le Conseil Constitutionnel a ainsi pris une trop grosse importance par rapport à ce qu’il était censé être (même si c’était parfois pour de bonnes raisons). Mais une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on propose?

-Un changement de composition: L’archaïsme de la façon dont le CC est nommé est bien connu. Plusieurs solutions s’offrent à nous: Une désignation par les parlements (et pas par les présidents des parlements) pour garder un contrôle parlementaire? Des juges pour faire une cour suprême moderne? Un tirage au sort partiel parmi les citoyens? Tout ça à la fois?

-Personnellement, je suis défavorable aux logiques de “gouvernement par les juges”, une désignation strictement parlementaire aboutirait à la création d’une grosse commission, probablement peu indépendante et peu capable de faire un travail de contrôle des lois, et une désignation par tirage au sort aurait un caractère aléatoire assez malvenue pour ce genre d’institutions.

-Se pose la question de l’existence même du conseil constitutionnel? En a-t-on besoin? Je ne me mouillerai pas sur cette question.

Partie 4) Le question justement posée par la partie 4 est celle de l’extension des pouvoirs directs du citoyen. C’est là un enjeu énorme pour nos institutions. Mentionnons un élément souvent absent de ces discussions: Le citoyen est aussi un travailleur. Une démocratie citoyenne ne peut s’arrêter aux portes de l’entreprise. Ici aussi, la 5ème république est à rebours de l’histoire: La suppression des CHSCT en est un exemple. Examinons deux propositions:

-Au niveau des entreprises, il est nécessaire que les salariés d’une entreprise acquièrent des droits nouveaux (droit de décision sur les stratégies d’entreprises, véto sur les plans de licenciement…

-Au niveau des institutions, en même que le citoyen (déjà pas une mince affaire), faire entrer le salarié. Pourquoi ne pas réformer une autre institution archaïque, le Sénat? Plutôt qu’un aréopage d’élus locaux, une intégration de représentants d’organisations syndicales, de citoyens tirés au sort pourrait mettre de nouveaux thèmes au centre des débats.

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