Au château d’Aguilar : un voyage dans le temps qui a réussi

Ce spectacle d’une grande qualité, tranche avec les reconstitutions historiques souvent aseptisées. Ici l’humour, voire la truculence, n’enlèvent rien à la qualité didactique du propos.

Samedi dernier, la troupe des Compagnons de Ségure a donné une représentation théâtrale dans la haute cour du Château d’Aguilar qui domine la plaine de Tuchan, au cœur des Corbières maritimes et fait face à l’imposante muraille montagneuse du Mont Tauch. Le spectacle était consacré à la saga d’Olivier de Termes, un grand héros de la chevalerie occitane du XIIIème siècle.

Les spectateurs accèdent à la cour supérieure du château après quelques minutes de marche sur un sentier escarpé. Ils y découvrent un décor, réduit au minimum, qui ne perturbe pas l’ambiance du lieu ; tout juste une table seigneuriale, des chaises, quelques poteries et un paravent de lattes dégrossies. La scène est installée dans un décaissement réalisé au cours de fouilles archéologiques. Les  spectateurs qui arrivent s’installent comme ils peuvent sur une pente qui domine la scène. Le hasard a fait pousser un olivier en plein milieu du terrain, il donne de l’ombre aux plus chanceux des spectateurs, tandis que les autres se dispersent dans ce grand espace fermé par des murailles qui réverbèrent les sons et la chaleur.

Et voici que sortent des murs et du XIIIème siècle, Raimond de Termes et Ermessende de Corsavy, les parents d’Olivier de Termes. Ils découvrent tous ces intrus assis dans la cour de leur château, s’en étonnent mais les accueillent courtoisement. Ils ne les attendaient pas : ils avaient rendez-vous avec un journaliste qui arrive enfin, épuisé, écarlate et vultueux d’avoir gravi le sentier du château sous le cagnard. Ils s’installent à la table seigneuriale où le journaliste peut déployer son ordinateur portable.

Toute cette première séquence du spectacle va fonctionner sur un mélange d’uchronie et d’anachronisme. Le journaliste fait un reportage sur l’histoire de la famille de Termes et les réactions de ses hôtes, au-delà du récit des faits, créent une ambiance qui évoque un moyen âge à la fois proche et lointain… Finalement après avoir posé toutes sortes de questions plus ou moins judicieuses, le journaliste s’en va, appelé par d’autres “scoops”….

Puis la courbure du temps se fige : nous sommes au XIIIème siècle et n’en bougeons plus, fascinés par ce que nous avons entendu, vu ressenti. Quelque chose émane de la rencontre entre cette muraille de pierres dressées en “opus incertum” où perdure la trace des bâtisseurs et le récit des acteurs qui habitent l’espace devant nous. A la parole portée par les acteurs s’ajoute celle qui sort des murs. Les temps se mêlent en ce lieu et moment où, pour paraphraser le philosophe G. Bachelard « L’espace, dans ses mille alvéoles, tient du temps comprimé » (1).

Olivier de Termes apparait : il est chez lui, détendu, sans les atours et l’apparat qu’il sied  « à un des meilleurs chevaliers du monde » (2)

Mais voici que, peu à peu, dans l’espace privé de son château, Olivier de Termes va révéler sa vraie nature d’individu, tout à fait normal, habité par les passions et défauts de tout un chacun.

Cette déconstruction du héros va se déployer dans une deuxième séquence, en face à face avec l’une de ses cousines qui vient le visiter et le contredire. Et lorsque la tension devient trop forte, il feint un mal de dos pour ne pas avoir à l’affronter.

 

Mais le débat devient plus âpre et plus “philosophique” dans la troisième et dernière séquence du spectacle, où confronté à son prisonnier Chabert de Barbaira, un Cathare qui n’a jamais renié sa foi, Olivier de Termes se révèle comme une sorte de négatif des vertus chevaleresques : cynique, calculateur, infidèle en amitié, renégat, malhonnête, cruel, etc.

Cette déconstruction progressive du mythe « Olivier de Termes, héros de la Chevalerie », met en lumière des invariants du comportement humain qui perdurent en tous lieux et tous temps. Le spectateur peut alors imaginer Olivier de Termes en personnage contemporain, se frayant un passage dans le monde de la politique ou du “business “. Nihil novi sub sole ! (3)

Arrive ce court  moment où le public hésite, encore sous le charme du spectacle, pas tout à fait prêt à en voir la fin. C’est là une marque de succès…
Les comédiens se regroupent pour saluer, les applaudissements fusent, nous sommes revenus au XXIème siècle,  ici et maintenant….

Ce spectacle d’une grande qualité, tranche avec bien des reconstitutions historiques souvent aseptisées. Ici il s’agit de théâtre où l’humour, voire la truculence, n’enlèvent rien à la qualité didactique du propos. Au contraire le spectacle fait réfléchir bien au-delà de l’histoire qui nous est racontée.
Le texte de la pièce a été écrit par Patrick Chevalier en s’inspirant du livre « Olivier de Termes, le cathare et le croisé » de l’historien médiéviste Gauthier Langlois.

Un grand bravo aux acteurs  Claire Chevalier, Martin Depeyre, Patrick Chevalier, qui on porté ce spectacle avec brio et talent.

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 08/05/2023

                                                                                                                                          Toutes le photos sont de HR.

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Notes
  1. Gaston Bachelard ; « La Poétique de l’Espace »[]
  2. selon ses contemporains[]
  3. rien de nouveau sous le soleil[]
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1 commentaire

Critique très complète qui traduit bien l’admiration et le contentement du dit critique. Il faut espérer que cette pièce puisse être jouée dans d’autres lieux et rencontrer une vraie popularité, au vu de son thème

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