Assemblée Constituante Souveraine : Il faut en finir avec la Ve République !

Il est urgent de réfléchir à la mise en place d'une Assemblée constituante

Madame, Monsieur chers lecteurs,

Compte tenu du contexte politique actuel où la France ce remobilise contre la politique menée par E. Macron et son gouvernement, il nous a paru important de publier le texte de la conférence introductive donnée par Monsieur Dominique Senac lors du Banquet citoyen organisé le 22 septembre 2023 par la Fédération Audoise de la Libre-pensée.

Peu de partis et de mouvements politiques ne semblent avoir actuellement le souci de réfléchir à un changement de  nos institutions alors que celles-ci montrent chaque jour leur faiblesse à maintenir un fonctionnement démocratique de notre société dans le cadre d’un gouvernance consacrée au bien public et non aux intérêts privés. C’est amorcer une réflexion sur la nécessité d’une assemblée constituante nous parait nécessaire et urgente.

La rédaction du Clairon le 23/09/2023

Conférence de Dominique Senac

 

I° La décomposition des institutions de la Ve République s’accélère :
Vu et entendu en direct par des millions de téléspectateurs de France et du monde entier, et relevé par toute la presse du lendemain, Emmanuel Macron a été « copieusement hué et sifflé par le public du Stade de France », lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de Rugby (80 000 spectateurs), le 8 septembre 2023…. La Macronie espérait sans doute qu’avec du pain et des jeux, le peuple serait anesthésié… Raté !

Des millions de personnes refusent de tourner la page de la contre-réforme des retraites ! C’est cela le catalyseur de la décomposition de la Ve République.

Je partage l’appréciation de Mathilde Panot : « Macron organise la tiers-mondialisation du pays ». Tous les gouvernements de la Ve République ont engagé des contre-réformes profondément injustes et des coups terribles ont été portés à la classe ouvrière, à la jeunesse, à l’ensemble de la population : désindustrialisation, casse du code du travail, démantèlement des services publics, réduction des droits, liquidation d’acquis sociaux, restrictions aux libertés fondamentales … Mais ce qui distingue Macron et son gouvernement c’est le rythme, l’ampleur, la brutalité des mesures mises en œuvre et la morgue insupportable de ces gens-là. Le capital financier exige la liquidation immédiate des conquêtes sociales de 1936 et de la Libération, et la militarisation de la société. Macron s’exécute. Les décrets de la réforme des retraites sont parus. En cette rentrée, 1500 postes d’enseignants sont supprimés et 3000 non pourvus au concours, la privatisation de l’école républicaine et la liquidation de la Voie professionnelle sont en cours, etc. Les effets de la spéculation qui crée l’inflation, nous prennent à la gorge (explosion des prix de l’alimentaire, augmentations des loyers, du gaz, de l’électricité, essence à 2 € et plus…) et écrasent les plus modestes. Des gens ne mangent pas à leur faim, des gens sont à la rue, en France, on ne peut plus se soigner*, l’école est en ruine, mais le budget de l’armée a été augmenté à 413 milliards en 2023. Le SNU « pas encore obligatoire » a été introduit en classe de seconde et c’est « open-bar » pour les milliardaires du CAC40. La Ve République c’est la violence sociale généralisée. Ce faisant, Macron concentre sur lui et sur le régime, toutes les contradictions et tous les ressentiments.

Cette bronca : c’est l’exaspération de la classe ouvrière, de la jeunesse, de l’ensemble de la population, confrontés à l’arrogance, au mépris, aux provocations et au cynisme de Macron et de son gouvernement, totalement isolés, minoritaires… et qui portent néanmoins des coups parce qu’ils peuvent s’appuyer sur l’ensemble des dispositions anti-démocratiques de la Constitution de la Ve République dont le 49-3.

C’est aussi le rejet du tournant de plus en plus autoritaire et antisocial du gouvernement, de son flirt avec l’extrême-droite, et du déchainement des violences policières d’État : syndicalistes convoqués par la police, cortèges syndicaux nassés, gazés, chargés…. Jeunes insultés, tabassés, humiliés… Gilets jaunes éborgnés, mains arrachées par des tirs de LBD, provocations policières contre les manifestants anti-méga-bassines et violence des affrontements de Sainte-Soline, le 27 mars dernier. L’exécution du jeune Nahel, le 27 juin dernier, et le soulèvement qui en a résulté, n’y ont pas mis un terme : d’autres jeunes sont morts depuis, d’autres ont été éborgnés… Il faut que cela cesse ! Plus d’une centaine d’organisations – dont la Libre-Pensée – ont lancé un appel à la Marche pour la fin du racisme systémique, des violences policières et pour la justice sociale et les libertés publiques. Des rassemblements, des manifestations, sont organisés dans toute la France, samedi 23 septembre. Soyons très nombreux, demain à 11h, au portail des Jacobins à Carcassonne !

La raison d’être de la Ve République c’est d’offrir une arme redoutable au capital pour disloquer et anéantir le mouvement ouvrier par l’intégration corporatiste des organisations syndicales. L’éditorial du journal Combat du 9 septembre 1958, précisant les « intentions sociales du général de Gaulle », indiquait qu’il avait « l’ambition de réaliser un contrat capital-travail. ». Mais cela ne s’est pas passé ainsi. Le pouvoir « convalescent » au lendemain de la grève générale de mai-juin 1968, avait obtenu une majorité écrasante lors du scrutin du 30 juin 1968 (la « Chambre bleue CRS »). Mais tout restait à faire. De Gaulle a alors décidé de reprendre l’idée énoncée dès son discours de Bayeux de 1946 : l’association des organisations professionnelles aux responsabilités politiques par la présence de leurs représentants au Sénat. C’était avec la régionalisation, l’objet du référendum constitutionnel du 27 avril 1969. Le mouvement ouvrier a combattu cet avatar de la Charte du Travail. Le « non » l’a emporté. De Gaulle a démissionné le soir-même. La Ve République a continué et les tentatives d’intégration corporatistes aussi. Macron n’a pas eu plus de succès que ses prédécesseurs. Toutes ses initiatives, manœuvres et opérations de com pour réaliser « l’Union sacrée » ont échoué jusqu’à présent. Dernièrement, les confédérations ont refusé de se rendre au « Conseil national de la refondation » qu’il avait convoqué le 6 septembre.

Autre facteur de crise majeure : la « Françafrique » subit depuis quelques semaines un revers historique avec la succession de coups d’État en Afrique. Bref : un choc se prépare.

Le régime du « coup d’État permanent »
Elisabeth Borne a déjà utilisé onze fois l’article 49-3 de la Constitution qui permet de faire adopter une loi sans vote des députés. Elle a annoncé qu’elle s’apprête à l’utiliser à nouveau sur le vote du budget.
La Ve République est issue du coup d’Etat du 13 mai 1958 à Alger qui a ramené le général de Gaulle aux affaires. (1)

Le 1er juin 1958, de Gaulle est investi chef du gouvernement président du Conseil. La loi du 3 juin 1958 autorise le gouvernement à rédiger une nouvelle Constitution.

La Constitution de la Ve République n’a pas été rédigée par une Assemblée Constituante. L’avant-projet a été élaboré par un « Comité restreint » composé en majorité de membres du Conseil d’État mais aussi de trois professeurs de facultés de droit et d’un administrateur civil. Les travaux préparatoires de ce Comité, présidé par Michel Debré, alors Garde des Sceaux, sont restés confidentiels. (2)

L’orientation générale de la Constitution reprend les principes exposés par le général de Gaulle dans son discours de Bayeux (Calvados) du 16 juin 1946 : pouvoir législatif bicaméral (Parlement composé de 2 chambres : Assemblée nationale et Sénat) et surtout pouvoir exécutif fort procédant directement du chef de l’État. Dans ses mémoires de Gaulle écrit à ce propos : « Vais-je m’en tenir à rétablir dans l’immédiat une certaine autorité du pouvoir, à remettre momentanément l’armée à sa place, à trouver une cote mal taillée pour atténuer quelque temps les affres de l’affaire algérienne, puis me retirer en rouvrant à un système politique détestable une carrière à nouveau dégagée ? Ou bien vais-je saisir l’occasion historique que m’offre la déconfiture des partis pour doter l’État d’institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent soixante-neuf ans ? » (3) Autrement dit : depuis la Révolution française…

Le projet constitutionnel du général de Gaulle est donc d’essence monarchique. Effectivement la Ve République a tout d’une monarchie élective. Le projet définitif, comprenant 92 articles, présenté le 4 septembre, a été soumis à référendum et adopté le 28 septembre 1958. La Constitution a été promulguée le 4 octobre 1958. Désormais, la Grande bourgeoisie disposait d’une arme redoutable. (4)

La prépondérance de l’exécutif et l’autorité du Chef de l’État ont été renforcées par l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, approuvé par 62,5% des électeurs, lors du référendum du 28 octobre 1962. Le règlement de la question algérienne en juillet 1962 avait créé une situation favorable pour cette révision constitutionnelle voulue par de Gaulle.

La « République des copains et des coquins »
Avec la Ve République c’est « Open bar » pour le capital : chaque année, l’État dépense 157 milliards d’euros en subventions, crédits d’impôts et exonérations de cotisations au profit des entreprises privées de toutes tailles et de tous secteurs. C’est deux fois le budget de l’Education nationale, et cela représentait 30% du budget de l’État en 2021. Mais ça ne crée pas d’emploi et ça ne restaure pas la compétitivité des entreprises. (5) L’essentiel de ces fonds se noie dans la spéculation. Comme on sait, la Ve République n’éprouve pas une sympathie excessive pour la loi de 1905 et la laïcité : Macron va assister à la messe du pape au stade vélodrome à Marseille, demain…12 milliards d’euros de fonds publics sont détournés pour l’Eglise catholique chaque année (enseignement privé à 96% catholique, et autres oeuvres).(6) Mais ce n’est pas tout : l’un des symptômes les plus nets de la décomposition de la Ve République, c’est la multiplication des « affaires », des faits divers qui deviennent affaires d’État.

L’affaire de la Garantie foncière éclate à l’automne 1971. La presse révèle que cette Société civile de placement immobilier (SCPI), accusée d’escroquerie (pyramide de Ponzi) et de malversations diverses, est liée à des élus gaullistes. Michel Poniatowski, proche de Giscard d’Estaing, dénonce la « République des copains et des coquins ». * Ce n’est d’ailleurs que l’un des très nombreux scandales liés au BTP et que l’une des innombrables « affaires » de l’histoire secrète de la Ve République dont les coulisses sont particulièrement riches en fraudes, corruption, coups tordus et autres exactions. Aucun secteur de l’économie n’en est exempt. En fait, toute l’histoire de la Ve République est constellée de scandales – souvent étouffés, mais parfois retentissants. L’expression de Michel Poniatowski a d’ailleurs gardé toute sa fraicheur : on se souvient de l’affaire Alexandre Benalla et de ses rebondissements. (7)

➢Président de la Ve République de 2007 à 2012, Nicolas Sarkozy, a été condamné pour corruption le 19 mai 2023. Il est également renvoyé en correctionnelle en 2025 pour association de malfaiteurs, corruption, recel de détournement de fonds publics libyens. Comparaitront avec lui MM. Guéant et Hortefeux.

➢Le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin poursuivi pour viol, bénéficie d’un non-lieu confirmé en appel mais la plaignante se pourvoit en cassation.

➢Le Garde des Sceaux, Dupont-Moretti a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts et fait l’objet d’une enquête pour suspicion de harcèlement moral ou sexuel envers certains de ses collaborateurs

➢L’ex-ministre des PME, Alain Griset a été condamné à 6 mois de prison avec sursis pour déclaration incomplète ou mensongère sur son patrimoine

➢Haut-Commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, a été condamné à quatre mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende pour avoir omis de déclarer plusieurs mandats à la HATVP.

➢Le ministre du travail, Olivier Dussopt est visé par une enquête du Parquet national financier pour corruption et prise illégale d’intérêts

➢Marlène Schiappa, ex-secrétaire d’Etat à l’économie sociale et à la vie associative, a dû répondre de sa gestion du Fonds Marianne devant la Commission du Sénat et le PNFD a ouvert une instruction judiciaire

➢François Bayrou sera jugé en octobre ainsi que dix autres personnes dans l’affaire des assistants parlementaires d’eurodéputés MoDem ;

➢Et comme on sait, François de Rugy, alors ministre de la transition écologique avait beaucoup fait en 2019 pour la promotion du homard ! J’en oublie certainement … Tout cela évoque irrésistiblement la « Société du dix décembre » de Louis Bonaparte. *

Il faut en finir avec la Ve République !

II° Pour l’Assemblée Constituante souveraine
Le puissant mouvement social qui s’annonce et qui balaiera la Ve République doit trouver une issue politique. Aucun rafistolage de la Ve République ne pourrait correspondre à la situation qui va s’ouvrir. Or, il faut répondre d’urgence aux immenses attentes si longtemps ignorées, méprisées, étouffées, de la classe ouvrière, de la jeunesse, de l’ensemble de la population. Il faut pour cela, de nouvelles institutions, démocratiques. Il faut une Assemblée Constituante souveraine !

L’Assemblée Constituante est une institution collégiale, chargé de rédiger une Constitution, c’est-à-dire le texte fondamental d’organisation des pouvoirs publics d’un Etat. L’Assemblée constituante est souvent, mais pas toujours, spécialement élue dans ce but. Lénine a écrit dans ses thèses sur l’Assemblée Constituante qu’elle est « en République bourgeoise, la forme supérieure de la démocratie » (8)

Pour que l’Assemblée Constituante porte vraiment la parole du peuple français et ses aspirations, pour qu’elle soit pleinement légitime à balayer définitivement la Ve République et ses institutions anti-démocratiques, elle doit refléter aussi fidèlement que possible les opinions diverses de l’électorat et pour cela, être élue au suffrage universel direct et à la proportionnelle.

Elle doit être souveraine, c’est-à-dire entièrement maîtresse de son calendrier, de l’organisation de ses débats et de son ordre du jour. Ses pouvoirs constituants ne doivent pas être limités.

L’histoire des Assemblées Constituantes est relativement récente.
L’histoire a commencé à Sumer Akkad (Mésopotamie / actuel Irak) en 3300 avant notre ère. Mais c’est en Grèce, 2700 ans plus tard qu’est née la démocratie. Les cités grecques antiques s’étaient donné des institutions aux fonctions clairement établies. Rome également. Mais ni Athènes, ni Rome, ni, par la suite, aucune des République du Moyen-Age n’ont eu de Constitution écrite. Il n’y a pas eu de véritable Constitution écrite avant le XVIIIe siècle.

L’Assemblée Constituante est une invention des Lumières.
La Convention constitutionnelle des États-Unis est la première Assemblée Constituante de l’histoire. Elle s’est réunie à Philadelphie (Pennsylvanie), quatre ans après la fin de la guerre d’indépendance, du 25 mai au 17 septembre1787. Au total, cinquante-cinq délégués, élus par les assemblées des Etats, participeront à ses travaux. Georges Washington [1732-1799] a été élu président de la Convention et James Madison [1751-1836] secrétaire. La Constitution américaine, composée de sept articles, est entrée en vigueur dans onze États le 4 mars 1789. Elle a été complétée par vingt-sept amendements.

En France, l’Assemblée nationale Constituante, proclamée le 9 juillet 1789 va agir comme un levier juridique et démocratique de la Révolution française
Parce que les caisses de l’État étaient vides, et espérant apaiser la révolte aristocratique, Louis XVI avait dû se résoudre, en août 1788, à convoquer les États-Généraux du Royaume, qui réuniraient, à Versailles, en mai 1789, les représentants élus des trois ordres : clergé, noblesse et Tiers-état. Le roi n’envisageait aucune réforme mais souhaitait seulement obtenir un accord pour lever de nouveaux impôts. Mais les députés du Tiers-état, exprimant les aspirations de la bourgeoisie et portant les espoirs de tout un peuple vont bouleverser les projets du roi.

Lorsque s’ouvrent les États-Généraux, le 5 mai 1789, le Tiers-état a déjà obtenu depuis décembre que le nombre de ses représentants soit doublé. Il revendique maintenant un vote par tête. La noblesse y est très majoritairement opposée ; le clergé est plus divisé. A Paris, l’abbé Sièyes [1748-1836], déjà connu pour son Essai sur les privilèges, a publié dès janvier sa brochure « Qu’est-ce que le Tiers-état ? ». Elle s‘est vendue à 30 000 exemplaires.

«1º Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout.  2º Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. 3º Que demande-t-il ? À devenir quelque chose. »

Le 17 juin 1789, constatant qu’ils représentaient « au moins quatre-vingt-seize centièmes de la nation », les députés du Tiers-état, rejoints par quelques députés du clergé, se proclament Assemblée nationale. Le 20 juin, le roi tente de faire suspendre leurs travaux. Les députés du Tiers-état se réunissent dans la salle du Jeu de Paume, sous la présidence de Bailly. 149 représentants du clergé et deux de la noblesse rejoignent le Tiers. Tous les députés, sauf un (Martin d’Auch), prêtent serment :

« L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la Constitution du Royaume, opérer la régénération de l’ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale ; arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides, et que ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d’entre eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable ».

Le 9 juillet 1789, l’Assemblée se proclame Assemblée nationale constituante. Elle est composée de 1200 députés. L’Assemblée nationale constituante siège du 9 juillet 1789 au 30 septembre 1791. Le 14 juillet 1789, le peuple parisien se soulève et s’arme pour empêcher la dispersion de l’Assemblée par des troupes appelées par le roi. La forteresse de la Bastille est prise. A la fin du mois, l’agitation gagne les campagnes : c’est la Grande Peur. Le 4 août 1789, l’Assemblée nationale Constituante vote l’abolition des privilèges. Le 26 août 1789, elle publie la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen…. C’est l’acte de décès de l’Ancien Régime. Pourtant, l’ambition des Constituants se borne à jeter les bases d’une monarchie constitutionnelle.

L’Assemblée nationale Constituante entreprend de mettre en œuvre un vaste programme de réformes : réforme de l’administration et création des 83 départements ; réforme de la justice (égalité devant la loi, suppression des parlements, élection des juges, séparation de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire, confirmation de l’abolition de la torture…) ; réforme des finances (égalité devant l’impôt, nationalisation des biens du clergé et suppression de la Dîme, suppression des douanes intérieures et des péages…) ; réforme de l’économie ( suppression des corporations mais aussi interdiction des coalitions ouvrières – décrets d’Allarde et loi Le Chapelier). Sur les questions religieuses, l’Assemblée constituante adopte les mesures suivantes :

– abolition des lois restrictives à l’égard des protestants
– citoyenneté accordée aux juifs ;
– abolition des voeux monastiques, et suppression des ordres réguliers hors éducation et oeuvres de charité (décret du 13 février 1790) ;
– Constitution civile du clergé (décret du 12 juillet 1790) ;
– Serment de fidélité imposé aux ecclésiastiques (décret du 27 novembre 1790).

Un fossé s’est creusé entre le peuple et l’Assemblée Constituante. Le 21 juin 1791, le roi a tenté de fuir et a été arrêté à Varennes. Il a été ramené à Paris le 23. L’Assemblée Constituante a fait comme si rien ne s’était passé. Le 17 juillet 1791, à l’initiative du club des Cordeliers, dont les principaux leaders sont Danton, Dumoulin, Marat, Chaumette, … des milliers de pétitionnaires exigeant la déchéance du roi et la proclamation de la République, se rassemblent au Champ de mars. Or, cela a été interdit, la loi martiale a été proclamée. Vers 18h30, la garde nationale ouvre le feu sur la foule. Il n’y a jamais eu de bilan officiel. Les estimations varient de 10 à 400 morts parmi les manifestants…

La première Constitution est votée du 3 au 13 septembre 1791. Fondée sur le principe de la souveraineté du peuple et la séparation des pouvoirs, elle institue en France une monarchie constitutionnelle. Le 13 septembre, le roi l’accepte. L’Assemblée nationale constituante se retire du pouvoir le 30 septembre 1791. L’Assemblée nationale législative, élue au suffrage censitaire masculin, au début du mois de septembre, siège du 1er octobre 1791 au 10 août 1792.

Les Assemblées Constituantes ont un caractère contradictoire. D’un côté elles ont un rôle progressiste et travaillent à changer la société, mais elles portent avec ces perspectives, les préjugés, les préventions, les limites de leurs protagonistes. Leur travail prend du temps. Elles se retrouvent donc souvent en décalage avec les événements historiques et les nouvelles attentes de la société qui en découlent.

La Convention est la 2e Assemblée Constituante. Après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, une nouvelle assemblée est élue au suffrage universel masculin en septembre 1792. Elle siège du 21 septembre 1792 au 26 octobre 1795. Son histoire correspond à un épisode exceptionnel de l’histoire de France. La Révolution approfondit son cours.

Le 20 septembre 1792, bien commandée par le général Kellermann [1735-1820], l’armée de volontaires français est victorieuse à Valmy. L’armée de coalition (Prussiens et Autrichiens), commandée par le duc de Brunswick, est contrainte à battre en retraite. Le 21 septembre 1792, la Convention unanime abolit la royauté. Le lendemain, 22 septembre 1792, les actes publics sont datés de l’An I de la République.
L’histoire de la Convention est divisée en trois périodes :

-du 21 septembre 1791 au 2 juin 1793 : Convention Girondine
-du 2 juin 1793 au 27 juillet 1794 : Convention montagnarde
-du 27 juillet 1794 au 26 octobre 1795 : Convention thermidorienne.

Victor Hugo a écrit : «93 est la guerre de l’Europe contre la France et de la France contre Paris. Et qu’est-ce que la Révolution ? C’est la victoire de la France sur l’Europe et de Paris sur la France. De là, l’immensité de cette minute épouvantable, 93, plus grande que tout le reste du siècle. Rien de plus tragique, l’Europe attaquant la France et la France attaquant Paris. Drame qui a la stature de l’épopée. 93 est une année intense. L’orage est là dans toute sa colère et dans toute sa grandeur. »
Des Assemblées Constituantes, il y en a eu d’autres dans l’histoire de la France :

L’Assemblée nationale Constituante de la IIe République (1848)
La première Assemblée Constituante pour la IVe République (1945)
La Seconde Assemblée Constituante pour la IVe République (1946)

Elles répondent toutes à des situations exceptionnelles où il n’est plus possible de « gouverner comme avant ». La classe ouvrière, la jeunesse, l’ensemble de la population, cherchent une issue. Macron et son gouvernement ne veulent rien voir, rien entendre. A l’évidence, l’accélération de la décomposition de la Ve République, produite par le bouillonnement en cours dans toutes les couches de la société, ne peut déboucher que sur un choc. Que l’on se batte pour une 6e République ou pour la République sociale, toute la situation met à l’ordre du jour la convocation d’une Assemblée Constituante. Ce ne peut être le fruit de la réflexion d’un petit nombre de personnes bien intentionnées. Cela doit devenir dès maintenant une préoccupation citoyenne. La Libre-Pensée a pris l’initiative de lancer un appel national à ce propos et de multiplier les réunions pour en débattre fraternellement. C’est ce qui nous réunit ce soir.

Je vous remercie de votre attention et je vous laisse la parole.

En réponse à la question sur le mode de fonctionnement de l’Assemblée constituante

L’organisation des débats à l’Assemblée Constituante en 1789

L’Assemblée nationale Constituante, proclamée le 9 juillet 1789, est composée par 1118 députés, dont 577 représentants du Tiers-état, 291 du clergé et 250 de la noblesse.  L’orientation générale a été donnée par le serment du Jeu de Paume du 20 juin 1789. Mais tout est à inventer. Les débats de l’Assemblée Constituante sont publiés par la Gazette nationale ou Moniteur universel. On peut notamment y lire (extraits) :

« De Versailles le 10 juillet
La formation du bureau de subsistances dans le sein de l’Assemblée nationale, a déjà produit le bon effet de rassurer le Peuple sur ses subsistances, qu’il sait que l’on cherche de partout à accaparer. Mais ce Comité n’ayant aucune base pour son travail, ne pouvant se procurer les renseignemens (sic) indispensables que le gouvernement lui refuse, pourra difficilement remplir avec succès l’objet de sa mission. 

A peine a-t-il été formé qu’il s’est empressé de demander à M. Necker les éclaircissements dont il avait besoin pour le guider dans un travail dont le poids a, pour ainsi dire, écrasé tous les corps politiques, et surtout le gouvernement, lorsqu’ils ont voulu secourir la misère des Peuples ; puisqu’il est vrai qu’aucun d’eux, ni les ministres du roi, n’ont pu remédier aux malheurs de la famine ; je dis famine, puisque dans bien des provinces les paysans ont été réduits à manger du son, de l’herbe bouillie.»
Gazette nationale ou Le Moniteur Universel du 10 au 13 juillet 1789. https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/10-juillet-1789/149/1527475/1

Et dans le même numéro :

« M. Target. D’après l’examen qui a été fait hier sur l’établissement d’un comité, pour préparer d’avance le travail de l’Assemblée, le bureau a été d’avis que ce comité fut composé de soixante personnes ; qu’il se subdiviserait ensuite autant qu’il serait nécessaire, autant que les matières le nécessiteraient ; que l’on instruira le rôle de la formation de ce comité ; qu’il sera prié de donner les ordres les plus prompts pour faire remettre à ce comité les pièces nécessaires pour vérifier, approfondir, étudier les finances ; que pour former ce comité, chaque bureau nommera d’abord huit personnes, et que ce sera d’abord parmi toutes ces personnes réunies, que l’on choisira les 60 membres du comité, par la voie du scrutin.
L’orateur du 7e bureau parle ensuite. Il est également d’avis de nommer 60 membres pour le composer ; que l’objet principal de ce comité sera de constater les dépenses, la recette, les impositions, etc. ; qu’il en sera pris un dans l’ordre du clergé et de la noblesse, et l’autre dans les communes. » ;
« M. Le Chapelier. […] Le comité ne fera que préparer les matières, et ne décidera rien ; ce qu’il aura vu repassera sous vos yeux : vous jugerez son travail ; il ne fera que faciliter le vôtre ; car, bien entendu, les finances sont un objet trop important pour le confier sans réserve à soixante d’entre nous ; chacun de vous est venu ici pour prendre connaissance, et nous devons remplir notre mission. »
Gazette nationale ou Le Moniteur Universel du 10 au 13 juillet 1789.  https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/10-juillet-1789/149/1527475/2

« On s’occupe ensuite de régler les formes d’après lesquelles l’Assemblée travaillera à la constitution. Il y a à cet égard des motions diverses, qui toutes se réduisent à deux avis différens. (Sic) Le premier avis est que tous les objets de la constitution soient d’abord divisés et classés, ensuite renvoyés aux bureaux pour y être discutés séparément. Le résultat de chaque bureau sera ensuite porté à un comité, qui en fera l’analyse et en proposera le résultat unique, qui sera soumis à la discussion et à la décision de l’Assemblée nationale.

Le second avis a été qu’il soit formé un comité de huit membres pris proportionnellement dans les trois ordres. Ce comité formera un plan générale (sic) et détaillé de la constitution. Il en fera le rapport à l’Assemblée, où chaque partie sera successivement soumise à la discussion.

Ces deux avis donnent lieu à de longs débats. »
Gazette nationale ou Le Moniteur Universel du 10 au 13 juillet 1789.   https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/13-jul-1789/149/1423743/2

Après la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges, après l’ouverture de la discussion sur la Constitution, la fiction de l’unité de la Nation vole en éclats.

Le 5 octobre, la garde nationale en armes se rend à Versailles, dans le sillage de la marche de 8 à 10 000 parisiennes partis le matin même pour réclamer du pain au roi. Le lendemain, la foule ramène Louis XVI et sa famille à Paris et les installe aux Tuileries. L’Assemblée nationale Constituante suit. Albert Soboul écrit :

« L’Assemblée s’organisait cependant ; ses méthodes de travail se précisaient. Elle s’était installée assez inconfortablement dans la salle du Manège aux Tuileries. Les délibérations avaient lieu chaque matin et le soir après six heures, sous la direction d’un président élu pour quinze jours. Le contact avec le peuple était assuré par la possibilité pour les pétitionnaires de défiler à la barre de l’Assemblée, et par la présence du public dans les tribunes. Le travail était préparé par des Comités spécialisés, au nombre de 31, dont un rapporteur exposait à l’Assemblée les décisions envisagées.

Les groupes de l’Assemblée se dessinaient en même temps, sans que l’on puisse cependant distinguer des partis au sens actuel du mot. Il n’y eu d’abord que deux grands groupes, les aristocrates, partisans de l’Ancien Régime, et les Patriotes, défenseurs du nouvel ordre. Puis, des tendances plus nuancées apparurent.

Les Noirs ou Aristocrates siégeaient à droite de l’Assemblée ; ils possédaient des orateurs brillants comme Cazalès, violents comme l’abbé Maury, ou habiles comme l’abbé de Montesquiou, qui menaient un combat acharné pour la défense des privilégiés. Leurs opinions étaient défendues par de nombreuses feuilles, alimentées par les fonds de la liste civile : L’Ami du roi de l’abbé Royou ; Les Actes des apôtres où Rivarol ridiculisait le « patrouillotisme ». Leur club est le Salon français.

Les Monarchiens, guidés par Mounier, qui quitta l’Assemblée nationale après les journées d’octobre pour démissionner le 15 novembre, Malouet et le comte de Clermont-Tonnerre, se firent les défenseurs de la prérogative royale et se rapprochèrent de la droite pour enrayer les progrès de la Révolution. Ils se réunissaient au club des Amis de la Constitution monarchique.

Les Constitutionnels représentaient le gros de l’ancien parti patriote. Fidèles aux principes proclamés en 1789 , ils représentaient les intérêts de la bourgeoisie, et entendaient  instaurer son pouvoir sous le couvert d’une monarchie tempérée. C’était le parti de La Fayette. Il groupait des représentants de la bourgeoisie etdu clergé : les archevêques Champion de Cicé et de Boisgelin, l’abbé Sieyes, des hommes de loi comme Camus, Target, Thouret, qui jouèrent un grand rôle dans l’élaboration des nouvelles institutions.

Le triumvirat siégeait à gauche. Composé de Barnave, Du Port, Alexandre de Lameth, de tendances libérales, il pencha vers la royauté dont il devint le conseiller, quand déclina, vers la fin de l’année 1790, l’influence de La Fayette. Après la fuite du roi, alarmé par les progrès de la démocratie et par l’agitation populaire, le Triumvirat reprit la politique fayettiste de conciliation et prétendit arrêter les progrès de la Révolution.

Le groupe démocrate, à l’extrême-gauche, où se détachaient Buzot, Pétion et Robespierre, défendait les intérêts du peuple et réclamait le suffrage universel. »
Albert Soboul, Nouvelle édition revue et augmentée du Précis d’histoire de la Révolution française, Tel-Gallimard-1988,  pages 173-174

Les Clubs :

Les députés bretons ont pris l’habitude de se réunir pour discuter des problèmes politiques, dès le mois de mai 1789, et préparer le travail parlementaire.
Après les journées d’octobre, ce club siège au couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré et s’ouvre aux députés et aux bourgeois aisés.  Il essaime en province et entretient une correspondance régulière avec les clubs des grandes villes. Il fédère ainsi les cadres militants de la bourgeoisie révolutionnaire.

Le club des Feuillants, dirigé par La Fayette, se détache des Jacobins lorsque ceux-ci affirment leurs aspirations républicaines, après la fuite du roi en juin 1791 et le massacre du Champ de Mars.

Le club des Cordeliers est créé en avril 1790. Il est plus proche des classes populaires et l’entrée y est libre.  Danton et Marat sont ses principaux orateurs.

Dominique Senac

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