Pour mes amis anglais, mais aussi pour mes amis allemands et autrichiens, le coq symbole de la France, est devenu ces derniers temps une source inépuisable d’ironie et de blagues.
Reproduction d’une affichette anglaise (photo HR) traduction en annexe
“This is France” et “La grandeur“
S’ils reconnaissent aisément que leurs gouvernements successifs ne font pas mieux que les nôtres face aux crises que nous subissons, ce qui les amuse, mais parfois aussi les irrite, c’est le comportement de nos chefs d’État récents. Pour eux Sarkozy, mais surtout Macron, incarnent à merveille ce -coq gaulois- à qui ils prêtent toutes sortes de travers. Le président, comme le coq, serait d’un ego démesuré, erratique dans sa politique, insupportable dans ses prétentions et ne se rendrait pas compte de l’importance réelle de sa basse-cour qui n’est qu’une puissance moyenne dans le concert des nations. Ils rient lorsque Macron prend des postures internationales et guette son reflet dans le miroir du monde. Alors mes amis allemands s’esclaffent en français ” la grandeur !“, “la grandeur !“ et raillent cette immodestie, cette prétention de suprématie tous azimuts que beaucoup de nos politiques trainent derrière eux.
Mais le réel n’a que faire de ces postures qui parfois tournent à la farce de mauvais goût. Lorsque l’opinion internationale apprend que le «Tonnerre» porte hélicoptère de 200 m de long, médicalisé avec 60 lits et 2 blocs opératoires, croise au large de Gaza, mais ne peut pas accueillir de blessés par manque de personnel, alors mes amis anglais haussent les épaules fatalistes et narquois “This is France” !…
Nullement découragée par ce dysfonctionnement, la Macronie saute par dessus les réalités et assure par la bouche du ministre des armées Lebranchu, que la mission du bateau n’était pas d’accueillir des blessés mais « de créer des synergies » !!! Quelle créativité ! La France, mère des arts, des armes et des lois, vient d’inventer un nouveau concept : le bateau militaire synergétique qui sert à faire en sorte que les autres fassent ! Heureusement le «Dixmude» sister ship du «Tonnerre» ne va pas tarder à prendre la relève…Il y aurait du personnel et des équipements à bord !
Et puis il y a les otages du Hamas, ce ne sont pas les sauts de cabri, d’une capitale arabe à l’autre en passant par Jérusalem, assortis de déclarations plus ou moins fracassantes destinées à l’opinion française, qui vont déterminer leur libération. La France, puissance intermédiaire, n’a pas les moyens matériels de faire pression dans les négociations. Si elle peut apporter quelque chose dans cette circonstance et plus généralement dans le débat international, c’est de l’intelligence et pas des incantations.
Qu’est ce qu’un pouvoir sans contradicteurs ?
Mais lorsque notre chef d’État, rentré dans son pays, tient ces postures et se met en scène comme un esprit supérieur, il en résulte des conséquences tout aussi peu convaincantes, alors qu’il y exerce un réel pouvoir. S’il ne peut réduire ou museler à l’international les critiques et les oppositions à sa politique, les pouvoirs étendus que lui confère le régime présidentiel « à la française » lui permettent plus d’aisance pour contourner, ignorer ou éliminer la contradiction et les contre pouvoirs. Les instances d’arbitrage qui pourraient s’opposer à sa volonté sont fragiles : en démocratie on pourrait imaginer qu’elles sont indépendantes du pouvoir exécutif, que leur organisation et le choix de leurs responsables relèvent de l’autorité du Parlement. Dans les faits, on assiste au glissement continu de la compétence du Parlement en matière de nominations vers celle du président de la République, lequel nomme qui bon lui semble. C’est ainsi que le renouvellement de la présidence du COR qui avait pu créer des difficultés au gouvernement lors de la négociation de la réforme des retraites, a été confiée à un économiste proche du Macronisme, que la présidence vacante de la CNDP, commission elle aussi trop récalcitrante, fut attribuée à l’ancien directeur de cabinet du ministre de la transition écologique et que le président actuel de l’ASN doit sa nomination à ses positions favorable à la réforme de l’ASN et de l’IRSN, voulue par E. Macron, mais contrecarrée par le Parlement… Tout cela au mépris de la notion de conflit d’intérêt.
Les conditions sont ainsi rendues favorables pour qu’E Macron puisse continuer sa politique fidèle à la doxa néolibérale, alors même que les performances de l’économie réelle la remettent de plus en plus en question.
Ce mode d’exercice du pouvoir personnel atteint ses limites aujourd’hui. Le problème des recettes de l’État est exemplaire : en matière de politique fiscale, les économistes les plus orthodoxes, jusqu’alors soutiens et inspirateurs de Macron, reviennent sur la solution consistant à baisser ou ne pas augmenter l’impôt, qu’ils avaient affirmée efficace pour doper la politique de l’offre. Or l’action publique, qu’elle passe par les services publics ou par Mac Kinsey et autres sbires, nécessite des recettes fiscales. Mais le démontage des services publics et de l’appareil productif par les gouvernements de droite ou de gauche qui se sont succédé, a atteint un tel niveau de misère et d’incapacité à répondre aux besoins de la population, qu’il faudrait à présent investir des sommes considérables d’argent public pour redresser la situation. Cela concerne tout les domaines de l’action publique : qu’il s’agisse de la santé, de l’action sociale, du financement des retraites, de la transition écologique, de l’enseignement, des hôpitaux, de la recherche, de l’armée, de la réindustrialisation, etc…
Ce n’est pas la politique suivie par E. Macron et son gouvernement. Ceux ci s’acharnent à penser qu’à la place d’augmenter les recettes fiscales (1), il est toujours et encore possible de trouver les ressources nécessaires en réformant des services publics, trop coûteux et peu efficaces. Tout comme dans le monde de l’entreprise, “fluidifier et optimiser” sont les euphémismes habituels, employés pour masquer la lente attrition des moyens et du personnel de la fonction publique.
Mais ça ne marche pas ! Un récent rapport du collectif « Nos services publics » établi sur le long terme, constate un écart croissant entre les besoins des citoyens et l’action publique qui leur est consacrée. Ainsi, en matière de santé, d’éducation, de sécurité de transports et de justice le compte n’y est pas. L’augmentation de la durée de vie qui impacte le système de santé, les moyens à dégager pour faire face à la crise climatique (2), l’évolution des conditions sociodémographiques (3) n’ont pas été suivis par un renforcement des services publics, bien au contraire.
En quinze ans, entre 2006 et 2021, la part des fonctionnaires dans l’emploi total a baissé de 16,9% à 14,6%. L’effet ciseau entre l’affaiblissement des moyens publics et l’augmentation des besoins, a créé un espace dans lequel se développe une offre privée, pour autant que l’activité soit rentable. Mais de facto cette offre contribue à éloigner les populations défavorisées du traitement de leurs besoins les plus élémentaires, par exemple en matière de santé ou de logement…
De nombreux acteurs institutionnels, appuyés par le Conseil d’État, mais aussi par de grands acteurs économiques (4) demandent une refonte de l’action publique, c’est-à-dire un effort financier important peu compatible avec les ressources actuelles de l’État. Il faudrait donc augmenter les recettes fiscales mais aussi l’endettement, ce que le gouvernement, aiguillonné par Bercy, refuse de faire au nom de l’orthodoxie néolibérale, du respect du pacte de stabilité de l’UE et du coût de la dette.
Cette quasi inertie de nos gouvernements actuels risque de coûter très cher à terme et d’aboutir à une crise économique et sociale majeure qui sera d’un coût pharamineux pour la France. Actuellement, selon l’INSEE, 9,3 millions de personnes, qui représentent 14,8% de l’ensemble de la population, sont classées comme pauvres ; ce taux de pauvreté monétaire est à son niveau le plus élevé depuis 20 ans en France.
Rien ne semble actuellement indiquer la possibilité d’un changement de politique par le pouvoir en place. Les réformes et projets annoncés en matière redressement de l’action publique, de lutte contre la crise climatique ou de réindustrialisation prennent du retard ou restent au stade incantatoire.
Tout se passe comme s’il s’agissait de saigner la France des richesses qui lui restent, sans se soucier, au delà des effets de manche, de remettre en route l’appareil économique qui les produit.
Jusqu’où ira l’odyssée macroniste ? Le grand capital va-t-il se lasser de soutenir des opérateurs politiques aussi peu performants, alors qu’une alternative politique se dessine avec l’émergence d’un Rassemblement National de plus en plus “respectable“ ?
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 19/11/2023
Traduction des légendes de l’affichette anglaise :
- 1 choisir un vœu qui vous taraude sans répit
- 2 lui tordre son foutu cou
- 3 le farcir jusqu’à ce que ses yeux larmoient
- 4 le servir avec des choux de Bruxelles et de la choucroute mais sans rutabagas
Bon appétit !
Les temps seraient-il aux naufrageurs de leur propre pays ?
Notes
- en supprimant certaines défiscalisations inefficaces, en établissant une fiscalité mieux répartie, donc plus juste, etc.[↩]
- cf. ; le changement des modes de déplacement[↩]
- cf. : immigration, discriminations, chômage, etc.[↩]
- Directeur général de la CDC ou Gouverneur de la Banque de France[↩]