En ce début d’année 2024, les agriculteurs français se mobilisent pour leurs rémunérations et leur qualité de vie. En particulier, ils dénoncent le fardeau grandissant des normes réglementaires qui pèsent sur leur secteur d’activité. Cette revendication se développe autour de trois dimensions distinctes. Elle soulève des préoccupations légitimes quant à l’impact démesuré de la bureaucratie, la perte de compétitivité et les contrôles excessifs de l’État français. Les plateaux télévisés accusent l’Union Européenne et les écologistes. Une analyse un peu plus sérieuse semble pourtant désigner plutôt une suradministration bien française.
Bureaucratie (Image par Mariann Szőke de Pixabay)
Dimension 1 : L’allègement de la Paperasse
Dans l’esprit de ceux qui édictent les normes, les montagnes de paperasse auxquels sont confrontés les agriculteurs est justifiée par des objectifs nobles tels que la protection sanitaire, sociale, environnementale et écologique. Les responsables administratifs argumentent que la paperasse est nécessaire pour préserver les habitats, les espèces protégées, prendre en compte les périodes de reproduction, maintenir la ressource en eau, entretenir les rivières et limiter l’usage des produits phytosanitaires. Cependant, d’autres pays parviennent à atteindre des résultats satisfaisants dans ces domaines sans imposer une bureaucratie aussi lourde. De multiples redondances sont justifiées par des choix organisationnels au sein de l’État, au sens large, dont le coût pour les administrés n’est jamais mesuré. Les directives européennes constituent le corpus le plus exigeant au monde en matière de qualité alimentaire et environnementale. La France a pour coutume de les sur-transposer. Cette pratique consiste à produire une norme nationale plus exigeante ou parfois simplement plus complexe. C’est en particulier le cas de la Politique Agricole Commune (PAC), conçue pour harmoniser les pratiques agricoles en Europe. Certains agriculteurs affirment consacrer plus de la moitié de leur temps de travail au bureau à consulter des normes, s’occuper de leurs obligations administratives et demander des subventions. Gageons qu’ils pourraient trouver un bien meilleur usage à ce temps si les contraintes administratives étaient simplifiées. Justement, en France, la promesse d’un « choc de simplification » est un slogan politique porteur. Et à ce jour, quoique disent les thuriféraires du pouvoir, cela n’a jamais été plus qu’une promesse.
Dimension 2 : La perte de compétitivité
La surtransposition française des normes crée un désavantage comparatif pour les agriculteurs par rapport à leurs homologues européens dont les pays transposent les directives de manière plus stricte. Le résultat est un impact négatif sur la compétitivité des produits agricoles français sur les marchés. Certains discours incluent dans cet ensemble les taxes et cotisations, cette assimilation est au moins partiellement critiquable. Les cotisations constituent une fraction socialisée du salaire, les remettre en question revient à regretter que la France soit un pays à haut revenu. Or le revenu est justement l’une des revendications du mouvement. La question des coûts de production prend une ampleur considérable lorsque sont abordés les accords de libre-échange avec des pays tiers exportateurs de denrées agricoles. De manière générale ces accords visent à faciliter les exportations dans un secteur, par exemple l’automobile ou les machines-outils, en facilitant en retour les importations dans un autre secteur qui peut être l’agriculture. Des nations telles que le Canada, la Nouvelle-Zélande et les pays d’Amérique du Sud produisent des denrées alimentaires à moindre coût en raison de normes environnementales, sanitaires et sociales moins exigeantes que les normes européennes. Les agriculteurs français, conscients de cette disparité, revendiquent des barrières aux importations pour protéger leur compétitivité et la qualité des produits vendus en Europe. Le slogan « n’importons pas ce que l’on interdit en Europe », ou ses variantes apparaissent dans tous les mouvements agricoles qui ont éclos en Europe cet hiver. Dans le cadre du marché commun, l’enjeu est donc une harmonisation européenne accrue sur les plans réglementaires et environnementaux et bien sûr aussi sociaux, pour établir un terrain de jeu équitable. Cette nécessité découle du besoin de lutter à armes égales sur la scène européenne, tout en garantissant la qualité des produits.
Dimension 3 : Des contrôles oppressants et infantilisants
La troisième dimension de la revendication des agriculteurs met en lumière les méthodes de contrôle exercées par l’État français. Celui-ci ne sait pas faire confiance et comme un mauvais responsable hiérarchique, il se perd dans la microgestion. Au pays de Rousseau, l’État adhère à la philosophie de Hobbes. Les agriculteurs citent des exemples concrets. Ils décrivent des contrôles par satellite qui sanctionnent des écarts au mètre près. Ils parlent d’obligations figées qui se heurtent à la réalité des aléas météorologiques. Ils racontent les visites d’agents armés de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) pour des affaires de calendrier. Ces pratiques sont perçues comme des intrusions excessives qui accentuent le sentiment de déconsidération. Les agriculteurs, déjà confrontés à des défis financiers considérables, ressentent les normes comme un poids supplémentaire sur leur charge mentale. Les agriculteurs demandent à être reconnus comme des acteurs essentiels et responsables, soulignant que la paperasse et les contrôles intensifs constituent des facteurs aggravants de leur stress quotidien. L’ajout de ces obligations aux préoccupations financières déjà pesantes crée un cocktail délicat dont l’issue est trop souvent tragique.
En conclusion, la revendication des agriculteurs français pour un allègement des normes transcende les frontières du secteur agricole pour devenir un enjeu sociétal majeur. L’analyse des trois dimensions révèle des tensions profondes entre les aspirations légitimes des agriculteurs et la nécessité de normes réglementaires. Alors que l’Union Européenne est souvent pointée du doigt, la réalité semble indiquer que le problème réside dans les administrations nationales cherchant à justifier leur existence par la multiplication de normes. L’exemple du Brexit, marqué par des dysfonctionnements résultant de la rupture avec une structure commune, souligne la pertinence d’une Union Européenne renforcée. Pour les agriculteurs, la voie vers une Union toujours plus étroite semble être la clé pour concilier efficacement les besoins réglementaires et les aspirations individuelles, garantissant ainsi la pérennité et la prospérité du secteur agricole français.
Iphigénie Atridès pour le Clairon de l’Atax le 03/02/2024
Tampon de bureau aux normes
(Image par Leopictures de Pixabay)