(Chronique d’une catastrophe annoncée)
Pour fonctionner les centrales nucléaires ont besoin d’eau, de beaucoup d’eau. Cette eau sert à refroidir en permanence les réacteurs. C’est pourquoi ces centrales sont construites sur des sites où l’approvisionnement en eau est réputé abondant : en bord de mer ou le long de fleuves ou de rivières, là où elles peuvent puiser d’importantes quantités d’eau. Mais ce besoin en eau les expose à 2 types d’aléas opposés : la sècheresse ou les inondations. Ces aléas menacent à la fois la sureté des installations et la production électrique des centrales. Les changements climatiques que nous subissons actuellement multiplient ces aléas et la question est de savoir si les centrales actuellement en fonctionnement et les éventuelles centrales à venir sont en mesure de les surmonter.
Nucléaire_tours aéroréfrigérantes Image par Markus Distelrath de Pixabay
Une eau de refroidissement rapidement restituée dans le milieu naturel
La plus grande partie des eaux prélevées sont rejetées très rapidement à l’endroit même de leur prélèvement, soit directement à la sortie d’un circuit ouvert de refroidissement, elles sont alors très chaudes, soit après avoir été refroidies en circuit fermé dans des tours aéroréfrigérantes.
Selon EDF les prélèvements seraient de 50m3 / seconde pour un réacteur en circuit ouvert (Bord de mer ou Rhône) et de 2m3/seconde pour un circuit fermé (Autres cours d’eau).
Jusqu’à présent les prélèvements n’ont pas été limités par le manque de ressource en eau mais par respect de normes environnementales qui restreignent l’augmentation de température des milieux naturels, causée par le rejet des eaux chaudes de refroidissement.
Ces normes environnementales varient selon les sites : elles sont fixées après des études d’impact sur le milieu aquatique. Ainsi le seuil de dépassement de température peut être fixé à + 1° pour certains sites en circuit fermé (centrales de Dampierre, Chinon, Belleville) et à + 6° pour certains sites en circuit ouvert (Tricastin). Lorsque ces seuils sont atteints l’activité des centrales nucléaires doit être réduite ou arrêtée. C’est ainsi qu’en 2003, suite à une canicule encore exceptionnelle (1), 14 réacteurs ont été arrêtés, alors qu’il manquait 2800 mégawatt de puissance supplémentaires pour faire tourner climatiseurs et ventilateurs.
Désormais la règlementation a été assouplie et des dérogations peuvent être accordées à EDF pour dépasser en cas de besoin les seuils règlementaires d’augmentation de température.
Selon de nouvelles règles en vigueur depuis 2004, il est possible de dépasser les seuils règlementaires en cas de forte demande d’électricité. Dans ce cas, sur demande de RTE, la limite de température des eaux en aval des centrales peut être relevée de + 1°C sans demande préalable à l’ASN. Cette situation s’est présentée pour la 1ère fois à la centrale de Golfech en 2018. Si ce dépassement de 1°C s’avère insuffisant pour maintenir la production d’électricité, la balle passe dans le camp du politique et un second niveau de dérogation peut être autorisé par arrêté ministériel.
Actuellement, en juillet 2022, 6 centrales sont concernées par un risque de dépassement du seuil règlementaire de base : Golfech (Tarn et Garonne), Le Blayais (Gironde), Saint-Alban (Isère), Bugey (Ain), Tricastin (Drôme) et Chooz (Ardennes). En juin 2022 Saint Alban avait déjà limité sa production en raison de l’élévation de la température de l’eau du Rhône.
C’est ainsi que la centrale du Bugey dispose jusqu’au 24 juillet 2022 d’une autorisation de dépassement de + 3° C de la température des eaux du Rhône. Il s’agit de la 4ème centrale qui déroge cette année au seuil règlementaire, après Golfech, Le Blayais et Saint Alban.
La situation actuelle est particulièrement préoccupante puisque plus de la moitié (29) des 56 réacteurs nucléaires dont dispose la France sont indisponibles (grand carénage, problèmes techniques, etc.). La tentation est grande d’augmenter les seuils des dérogations pour faire face à la demande d’électricité en période de canicule…
D’autant plus qu’EDF (2) explique que « Le parc est prêt pour cet été » et que « Techniquement, les centrales peuvent fonctionner avec des températures d’eau plus élevées »
Le réchauffement des milieux aquatiques suite aux rejets d’eau des centrales, quel impact ?
L’eau chaude contient moins d’oxygène et impacte la faune et la flore des cours d’eau et de la mer en fonction de l’importance de l’élévation des températures. Ces élévations favorisent le développement d’algues, elles même très consommatrices d’oxygène et participent à la prolifération de bactéries (par ex. légionelles) qui représentent un danger pour la santé et l’environnement.
Le problème ne se limite pas aux rejets des eaux de refroidissement des centrales
La montée des eaux de la mer mais aussi les inondations générées par le changement climatique sont à présent avérées. Il y a un risque de submersion qui menace certaines centrales nucléaires.
Cette vulnérabilité des sites nucléaires au risque de submersion fait actuellement débat : une récente étude remet en cause les certitudes quand à une faible exposition des sites nucléaires à ce type de risque.
Cette étude publiée dans la revue scientifique Water Resources Research par une équipe de recherche franco-québécoise, associant l’Institut québécois de la recherche scientifique (INRS), l’Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’université Gustave-Eiffel., remet en cause les estimations actuelles du risque d’inondation car celles-ci se basent sur des données trop partielles recueillies sur une période historique trop courte (30 ans). Les risques de submersions seraient actuellement minimisés, selon Taha Ouarda professeur à l’INRS et coauteur canadien de l’étude : « Nos résultats démontrent que certaines méthodes et estimations des niveaux marins extrêmes, utilisés pour construire des infrastructures aussi importantes, étaient erronées ».
La catastrophe de Fukushima a montré que la submersion d’un réacteur ou d’une centrale pouvait provoquer un accident nucléaire majeur. Il est indispensable, à la lumière de cette étude, de réévaluer l’exposition des centrales françaises au risque de submersion.
Un premier avertissement a été donné à la France en 1999 : pendant la tempête “Martin” la centrale du Blayais (Gironde) a été en partie inondée et l’incident avait été classé niveau 2 de l’échelle INES par l’ASN.
La question de l’eau a toute sa place dans les réflexions sur l’avenir du nucléaire en France (et dans le monde). Le scénario du maintien ou du développement du nucléaire qui a les faveurs de nos gouvernants actuels, nous place devant un choix majeur dans un contexte de crise climatique : faut-il maintenir voire développer la production d’électricité nucléaire au risque d’incidents ou d’accidents nucléaires et de porter atteinte à la Biodiversité des milieux aquatiques ou alors favoriser d’autres modes de production d’électricité ?
Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 20/07/2022
Notes :