tas de pneus usés (Image par recyclind de Pixabay)
Jusqu’à présent l’accent en matière de pollution était surtout mis sur les gaz d’échappement des moteurs thermiques. Ceux-ci étaient réputés dégager des gaz dangereux comme le monoxyde de Carbone et les oxydes d’azote, mais aussi des particules fines, particulièrement abondantes dans les moteurs diésel. Une étude française récente, réalisée par le laboratoire indépendant « Emission Analytics » à la demande de l’association « Agir pour l’Environnement », attire l’attention sur l’importance des émissions de particules fines et ultrafines émises par l’abrasion des pneumatiques sur les chaussées.
Un protocole expérimental rigoureux
Pour effectuer cette étude (1) Le laboratoire a sélectionné 2 véhicules électriques de taille, de poids, et de largeur de pneus différents, l’un était à propulsion arrière, l’autre à traction avant. Chaque véhicule était équipé de pneus de marque différente. Ils ont parcouru une distance moyenne de 1100 km sur des routes au profil varié : sur autoroute, sur des boucles répétées plusieurs fois en milieu urbain et en milieu rural. Chacun des 4 pneus a été surmonté d’un dispositif destiné à capturer les particules émises lors du roulage.
Les 2 véhicules étaient conduits par 2 pilotes professionnels, entrainés pour ce genre de test à un mode de conduite régulier et reproductible. Les émissions des particules produites au cours du roulage ont été mesurées de différentes manières !
Pendant le roulage chaque pneu était équipé à la fois d’un filtre de collecte permettant de récolter les micro et nanoparticules émises pour analyse ultérieure en laboratoire. Les roues motrices ont été équipées d’un système d’analyse (spectromètre de masse), fonctionnant quelle que soit l’orientation des roues et permettant une mesure en temps réel de la taille et de la concentration de particules entre 10 μm et 7 nm. La teneur des pneus en Composés Organiques Volatiles (COV) et la composition des particules collectées, a été analysée par chromatographie gazeuse. Les observations recueillies ont été comparées afin d’évaluer la quantité de particules émises par l’abrasion des pneus, séparée des particules produites par les freins, mais aussi des particules provenant de l’abrasion de la route au contact des pneus.
Un résultat inquiétant
Le premier constat qui ressort de l’étude est que plus de 99,97% des particules produites par le roulage des pneus échappe aux dispositifs habituels de détection de la pollution.
Concrètement ce sont, selon le rapport d’ « Émission Analytics », jusqu’à mille milliards (10¹²) de micro et nanoparticules dont la taille est comprise entre 7 nm et 10 μm sont libérées dans l’environnement pour chaque kilomètre parcouru.
Autre constat : pendant la durée moyenne de vie d’un véhicule, l’usure des pneus va produire, selon les modèles et la composition, entre 17 et 40 kg de particules de matières plastiques, mais aussi d’autres produits additifs : soit entre 65 et 125 mg de gomme perdue par Km roulé.
Cette pollution qui échappe d’autant plus aux contrôles habituels que la composition des pneus, est couverte par le secret industriel et que les additifs chimiques qui y sont incorporés représentent, selon une étude faite en 2022 par l’Ifremer, jusqu’à 50% de leur masse.
Il s’agit, selon l’étude, d’une pollution majeure non seulement pour l’environnement mais encore pour l’air que nous respirons particulièrement aux abords des axes routiers.
L’analyse du laboratoire fait apparaître qu’entre 92,3 et 97,4 % de l’ensemble des particules identifiées mesurent moins de 100 nanomètres (PM0,1). Elle révèle que la quasi-totalité des 25 COV les plus présents dans l’empreinte chimique de chaque pneu, sont soit des hydrocarbures aromatiques polycyclique (HAP) ou des alcanes, alcènes et alcynes ou formes cycliques (AAA-C). Or précise l’étude : « Les composés organiques sont identifiés par leur liaison Carbone-Hydrogène et peuvent être classés en fonctions de leur groupe fonctionnel qui détermine les risques associés pour la santé chez l’être humain et pour l’environnement. Ces risques dépendent du niveau d’exposition et sont accrus pour des expositions répétées dites chroniques : les acides sont responsables de dommages à l’environnement et surtout aux milieux aquatiques ; les alcanes, alcènes, alcynes et leurs formes cycliques (AAA-C) sont des irritants des muqueuses et causent des dommages aux organes, enfin les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont eux très toxiques et sont classés comme cancérigènes pour l’être humain. Tous les HAP sont considérés comme cancérogènes à des degrés variés pour l’être humain par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) : cancérogènes avérés (groupe 1), probables (2A) ou possibles (2B). »
En conclusion de l’étude et selon le laboratoire « Émission Analytics »
« Les pneumatiques de voiture génèrent donc un cocktail très toxique : des particules ultrafines produites par l’abrasion des pneus qui se répandent dans l’environnement et pénètrent dans notre organisme, et qui contiennent un mélange de produits toxiques utilisés pour leur fabrication. »
Les recommandations d « Agir pour l’Environnement »
- Évaluer l’impact environnemental et sanitaire des pneus « Faute d’informations, l’évaluation environnementale et sanitaire des pneumatiques est insuffisante et ne permet pas d’engager une politique de réduction des risques. Au regard de la pollution massive des milieux par les micro- et nanoparticules, il y a urgence à mobiliser l’Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale (ANSES) afin d’assurer un meilleur suivi sanitaire ».
- Cartographier les zones à forte exposition : évaluer les territoires les plus exposés à la pollution des micro et nano particules des pneumatiques, afin de se donner les moyens d’un suivi sanitaire des populations exposées
- Soumettre la commercialisation de pneumatiques à une autorisation de mise sur le marché : cette autorisation dépendrait d’une évaluation sanitaire et environnementale poussée
- Étiqueter les pneumatiques en fonction de leur degré d’abrasivité et de la largeur des pneus : afin de guider et faciliter le choix des consommateurs
- Adopter un bonus / malus adossé à l’étiquetage : Cela permettrait d’intégrer au prix de vente les coûts environnementaux et sanitaires. « Faute d’indications tarifaires, le marché est aveugle aux conséquences écologiques et ne guide pas le choix des consommateurs » (Agir pour l’Environnement)
Ces mesures auraient pour implication de lever le secret industriel de la composition chimique des pneus. Cela suppose une démarche courageuse et persévérante de la part de nos politiques.
Louise B. Velpeau pour le Clairon de l’Atax le 19/10/2024
Notes
- https://partage.agirpourlenvironnement.org/s/decouvrez-notre-enquete-exclusive-les-pneus-nous-pompent-lair/[↩]