Vieux crocodiles (Image par Archimar de Pixabay)
C’est donc Bayrou ! Un vieux soudard de la droite politicienne remplace un autre vieux soudard de la droite politicienne. C’est assez amusant de voir comment évolue le règne de Macron : en 2017 on nous avait vendu la jeunesse d’un candidat, vif, dynamique, surdoué, disruptif, ni de gauche ni de droite… et voilà qu’en fin de règne, celui-ci fait appel à deux « vieux de la vieille », vestiges de la droite en limite de péremption, pour le sauver d’un désastre politique qu’il a créé.
Déjà les médias de formatage inondent l’opinion de commentaires visant à faire passer la pilule de ce coup politique dérisoire et tenter de faire croire au bon peuple qu’un chemin tracé par une droite bien tempérée, de Retailleau à Cazeneuve, saura les conduire vers le bien-être et l’abondance. Pour cela, il suffirait de construire un socle républicain au périmètre soigneusement défini par cette même droite, auquel pourraient être agrégés des éléments de la gauche, dite de gouvernement, ouverts aux compromis et prêts à collaborer. (Ou, dit crument, ne pas utiliser de motion de censure contre le gouvernement Bayrou).
Certes l’exercice semble difficile dans ce panier de crabes de politiciens aux ″ADN″ singuliers et aux ″sensibilités″ si nuancées, mais nos gouvernants ainsi reconstitués par l’arrivée d’un nouveau premier ministre, ont bon espoir de reprendre la main sur le peuple en désarroi et de le conduire où il se doit…
Mais le conduire où ? Là, pour répondre, il faut faire un peu d’économie et un peu de politique.
Au mitan des années 1970, alors que l’essor économique des « 30 glorieuses » s’achève, l’État perd progressivement la main sur l’économie. Les agents économiques s’installent graduellement aux commandes du pays, aidés par les réformes du duo Giscard / Barre. Un peu plus tard, au début des années 1980, Reagan et Thatcher actent le caractère intangible de la mondialisation des échanges et de la financiarisation de l’économie par le célèbre slogan : « There is no alternative ». Désormais les théories économiques néolibérales deviennent la référence des gouvernants du ″monde libre″. En France dès 1981, l’arrivée au pouvoir de la gauche socialo-communiste, avec l’élection à la présidence de F. Mitterrand, entretient l’illusion de la possibilité d’une autre politique, dite de ″relance Keynésienne″. Mais dès 1983, le « tournant de la rigueur » décidé par Mitterrand inaugure l’entrée de la gauche dans le giron néolibéral et marque le début des politiques d’austérité qui n’ont jamais cessé.
La France sous l’emprise permanente du néolibéralisme
Ainsi à partir de 1983 la France sera désormais sous l’emprise d’un néolibéralisme, plus ou moins radical selon les partis au pouvoir. Celui-ci consiste à réduire le rôle économique de l’Etat en privatisant les entreprises publiques, en transférant autant que possible les services publics à des services marchands ou à des associations, en soutenant les entreprises privées, et en maintenant, autant que faire se peut, un déséquilibre entre les revenus du capital et ceux du travail, au prétexte de la compétitivité de l’économie française.
La doctrine néolibérale qui préside à tout cela, c’est que le privé dispose, au contraire du public, des ressources d’inventivité et de créativité indispensables à toute croissance économique, celle-ci étant confondue avec l’amélioration du bien-être des gens. Cette croissance est décrite comme issue d’un processus permanent de « destruction créatrice » (Schumpeter) ce que certains de nos politiciens interprètent encore comme : « ce qui est détruit dans le secteur public, donnera naissance à du meilleur dans le privé » …
Hélas, à ce régime-là, infligé depuis plus d’un demi-siècle, l’amélioration du bien-être a régressé. La France a reculé au 7ème rang des puissances économique, tandis que diminue son influence dans le monde, que baisse la qualité des services rendus par son système de santé, son système éducatif, judiciaire, etc…et que dysfonctionnent des secteurs clefs de l’économie comme le logement, les transports, l’agriculture, etc.
Il reste actuellement peu d’espoir (c’est un euphémisme) au capitalisme financiarisé de faire des profits substantiels générés par une relance de la France dans les domaines de l’industrie ou des services. Une telle relance ne pourrait se faire du jour au lendemain, mais devrait s’étaler sur le long terme d’une vingtaine d’années et plus, ce qui rend peu lisibles ses chances de réussite. Or le long terme est une temporalité qui intéresse peu le capitalisme financier lequel privilégie les retours sur investissement rapides ″sûrs″ et ″juteux″… (C’est actuellement le problème du financement du plan de relance du nucléaire initié par E. Macron).
C’est pourquoi une véritable relance de l’économie française impliquerait qu’elle soit administrée en tout ou partie par l’État : de la planification à la réalisation, sans que pour autant le succès soit assuré. Ce n’est pas le chemin pris par nos gouvernants, opérateurs politiques du capitalisme financiarisé, car il y a malgré tout beaucoup d’argent à se faire par d’autres moyens : la France est encore riche. Riche de son épargne et riche de son patrimoine privé et public. La combinaison judicieuse d’une politique d’austérité renforcée, d’une réduction des services publics et d’une stimulation /canalisation permanente de la consommation vers de nouveau besoins, permet de pomper cette richesse vers l’oligarchie régnante. C’est ce à quoi s’emploient nos gouvernants actuels, avec plus ou moins d’habileté. C’est ce qui est demandé à Macron et maintenant à Bayrou.
La montée de la défiance vis à vis du politique
Mais à force d’austérité et de promesses de ″lendemains qui chantent″ qui n’arrivent pas, la confiance des Français dans la classe politique s’étiole. Leur légitime aspiration au bien-être ne leur semble pas prise en compte, tandis que la pauvreté augmente et que la protection de l’État face aux aléas économiques, climatiques et environnementaux s’avère déficiente. En réaction à ces manques, les manifestations, grèves, incivilités se développent, tandis que des conduites délinquantes se répandent et se banalisent dans l’ensemble de la société, y compris dans la classe politique. Plutôt que de prendre en compte les causes de ces dysfonctionnements sociaux, qui sont le plus souvent induits par les politiques que mènent nos gouvernants, ceux-ci s’attaquent aux seuls symptômes et développent un appareil répressif qui généralise un contrôle de plus en plus serré de la population. Cet appareil répressif se complète par des limitations de la liberté d’expression, perpétrées ici et là par certains représentants de l’État, tandis que les manipulations de l’information par des médias publics ou privés sèment la confusion dans l’opinion.
Face à ce glissement progressif de notre pays démocratique vers une gouvernance autocratique, les oppositions politiques au pouvoir en place développent des stratégies différentes que l’on pourrait schématiquement répartir en 2 tendances : il y a ceux qui pensent qu’il est encore possible de négocier avec cette droite régnante, dite de l’extrême centre, et lui arracher des concessions en attendant des jours meilleurs ; et il y a ceux qui pensent que seule l’élimination de la gouvernance politique actuelle sera en mesure de créer les conditions nécessaires au rétablissement démocratique et économique du pays.
Ces deux tendances se manifestent au sein même des partis d’opposition, à l’exception de LFI où le renversement de la gouvernance actuelle est présenté comme un objectif impérieux, partagé par l’ensemble des militants.
Mais comment peut-on espérer discuter et négocier avec des politiciens aux convictions néolibérales, dont l’acte de foi se résume dans ce maître mot : « There is no alternative » ?
Reste posée la question du nécessaire changements de nos institutions, largement justifié par l’état actuel de la France. Cette question, réduite au changement du mode de scrutin, est évoquée de temps en temps, au gré de l’ambiance, mais elle ne s’est jamais concrétisée dans un véritable débat politique. Le passage des élections législatives à un mode de scrutin proportionnel, qui est actuellement avancé comme une solution éventuelle au blocage parlementaire. Elle ne saurait suffire pour rétablir l’équilibre de nos institutions fragilisées par une centralisation excessive et par la concentration du pouvoir exécutif entre les mains du président de la République. Cette transformation en profondeur de nos institutions ne peut être l’affaire du Parlement, encore moins de l’exécutif : elle nécessite la création d’une Assemblée constituante.
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 13/12/2024