Projet de barrage du « Rec de Veyret » : un choix biaisé, une évaluation indépendante s’impose

Les bonnes pratiques en ingénierie imposent de réévaluer les alternatives lorsque les paramètres évoluent de manière substantielle.

Inondation (Image par Hermann Traub de Pixabay)

Le Syndicat Mixte du Delta de l’Aude (SMDA) fait régulièrement le point dans la presse sur l’avancement des projets de protection contre les inondations du Narbonnais. Ce fut de nouveau le cas dans l’édition du 1er février 2025 du journal L’Indépendant.

Le lecteur y apprend que le projet de protection contre le risque d’inondation par le Rec de Veyret progresse et que les travaux commenceront bientôt après quelques étapes de procédure. Le Rec de Veyret, comme le détaille le Plan de Prévention des Risques d’Inondations (PPRI), menace plusieurs quartiers de la ville dont l’urbanisation a commencé dans les années les années 1960.

Dans cette communication, le SMDA se félicite de l’avancée des études floristiques et faunistiques qui n’ont identifié aucun enjeu majeur de protection sur les périmètres étudiés. En donnant cette nouvelle, il omet cependant de préciser que les milieux naturels des deux sites prévus pour accueillir les ouvrages écrêteurs de crue ont été ravagés par deux incendies spectaculaires dans l’année qui précédait les inventaires.

Il n’y aurait donc rien à voir…Les Narbonnais conscients du danger que fait peser le Rec de Veyret doivent être rassurés…

Les Narbonnais se souviennent en particulier de l’inondation spectaculaire provoquée en 1994 par la rupture du barrage de Cap de Pla censé justement les protéger des crues de ce cours d’eau. Le projet en cours promet de régler tous les problèmes avec un plus gros barrage.

Une approche dépassée

Depuis 2017, les études ont été confiées exclusivement à BRL Ingénierie qui pousse pour la création d’un type de barrage dont il est le spécialiste. Le Rec de Veyret est canalisé à Narbonne, là où se concentrent les enjeux.  L’expérience de multiples catastrophes, mène aujourd’hui les autorités à recommander de commencer par rendre un espace de liberté aux cours d’eau. La création de grandes retenues artificielles doit être une exception les conditions d’une telle exception n’existent pas à Narbonne.

En 2007 une première étude avait établi la faisabilité technique et économique de la protection de Narbonne contre les crues centennales du Rec de Veyret. Celle-ci a permis de débloquer à partir de 2013 des financements dans le cadre des Programmes d’Action de Prévention des Inondations (PAPI).  Ces financements ont d’abord permis de pousser les études plus loin. Cette première étude retenait la création de deux ouvrages écrêteurs de crues de taille modérée, ainsi que l’augmentation de la capacité du lit du Rec de Veyret dans sa partie canalisée au droit de Narbonne, avec notamment l’effacement d’un seuil hydraulique au niveau de l’autoroute en aval de la ville. Ce projet était chiffré à 8 M€.

En 2017, une deuxième étude, produite par un nouveau bureau d’étude, retenait un nouveau parti d’aménagement avec une explosion du coût envisagé à 16 M€. Outre l’aspect financier, ce choix étonnait dès son annonce. En effet, l’étude retenait une réduction drastique des travaux d’élargissement de la portion canalisée du « rec » compensée par un nouvel ouvrage bien plus important qui barrait la vallée du Castellas à Montredon-des-Corbières. Ce choix imposait également le déplacement d’une importante route départementale à flanc de colline.

Pour un spécialiste des aménagements hydrauliques des cours d’eau ce choix est anachronique. La doctrine en la matière consiste, depuis des années déjà, à chercher à rendre aux cours d’eau canalisés l’espace de liberté dont ils ont besoin. La construction de grands ouvrages reste une solution réservée aux situations où aucune alternative n’existe, comme par exemple lorsque les enjeux se succèdent à l’aval. Or le Rec de Veyret est un cours d’eau côtier : à l’aval, se trouve la mer et on n’inonde pas la mer ! Ce point mériterait une discussion plus étoffée mais, dans notre cas, il signifie que la recherche de solutions aurait dû se faire depuis l’aval en limitant le recours aux barrages à l’amont aux besoins de rétentions résiduelles.

Le Rec de Veyret est perçu par de nombreux visiteurs comme un cloaque à ciel ouvert, situé aux abords de l’Espace Liberté et des Grands Buffets qui jouent un rôle central dans la stratégie d’attractivité de la ville. L’amélioration de cette image, d’un point de vue paysager et aussi écologique est un enjeu important d’aménagement urbain. Une approche intégrée entre les services de la ville, de l’agglomération et du SMDA pour améliorer le cadre de vie est attendue par les citoyens et L’incapacité des services à bâtir ensemble un projet est inaudible pour eux.

Un projet opaque et contestable

Des riverains, disposant d’une bonne connaissance des projets d’ingénierie s’interrogent depuis l’intervention de BRL ingénierie dans ce projet, car l’information fournie est opaque. Ils relèvent des incohérences qui ne sont pas expliquées de manière satisfaisante, tandis que le SMDA affiche son agacement vis à vis de tous ces curieux qui ne se satisfont pas des vidéos pédagogiques en images de synthèse qu’il a produites à grands frais.

A l’été 2024, un Ingénieur Polytechnicien revenu à l’occasion de sa retraite dans sa demeure familiale située au bord du rec de Veyret, obtint enfin l’accès à certains documents. Le directeur du SMDA avait alors insisté pour lui « expliquer » comment lire les documents, à la manière de certains élèves qui veulent parfois « expliquer » à leur professeur comment lire leur copie. Et en effet, comme on peut habituellement l’attendre dans le cas d’une copie qui nécessite des explications de son auteur : la copie est loin d’être convaincante.

La première chose qui choque à la lecture de l’étude remise en 2018 par BRL ingénierie est la description de l’exploration de la vallée depuis l’amont par un trio d’ingénieurs et de géologues à la recherche de l’endroit où placer un grand barrage. BRL ingénierie se présente comme un spécialiste de la conception de ce type d’ouvrage. Le Rec de Veyret est canalisé au droit de Narbonne  (rappelons-le :  la doctrine recommandée en matière d’aménagement hydraulique consiste à rendre aux cours d’eau l’espace de liberté dont ils ont besoin), or ce cours d’eau étant littoral, il n’y a pas d’enjeu d’inondation à l’aval. Il est donc attendu du bureau d’étude de chercher à augmenter la capacité d’évacuation à l’aval et de ne traiter par des retenues que les volumes résiduels. Ce renversement de doctrine n’est  pris en compte nulle part dans le dossier.
Pourtant ce n’est pas ce point qui sème le plus le trouble. Les documents remis sont très lacunaires, ils font référence à des échanges et des pièces qui ne nous ont pas été transmis. Néanmoins, les documents dont nous disposons contiennent des erreurs manifestes et interrogent sur le plan de la loyauté et des bonnes pratiques.

Par exemple, dans le rapport, le second barrage dit de Bagatelle, le plus petit, apparaît comme hydrauliquement transparent en cas de crue centennale. Sa capacité est trop faible et lors du pic de crue il ne protège rien ni personne. Tout cela pour un coût de quelques millions d’euros… Une telle option est étonnante étant donné que la cible affichée est la protection centennale à laquelle cet ouvrage ne contribue donc pas.

Ensuite, dans cette même étude l’analyse des solutions alternative est biaisée. L’étude précédente de 2007 est déformée sur des éléments essentiels avant d’être évaluée et bien sûr rejetée. Cette erreur peut facilement être repérée notamment grâce au maintien du seuil hydraulique en amont de l’A9. S’il s’agit d’une banale confusion, une simple relecture aurait dû suffire pour remarquer cette erreur et le rapport devrait avoir été corrigé depuis longtemps. Le maintien dans toutes les options du seuil hydraulique en aval de Narbonne et en amont de l’autoroute questionne puisqu’il avait été identifié préalablement comme un point noir et que des options permettant son retrait existent.

De la même manière, les arguments pour réfuter l’utilité d’un barrage à Aussières sont très succincts, mal justifiés et pour tout dire peu convaincants.

Enfin, aucune réévaluation des alternatives n’a été menée malgré les évolutions du projet. Ainsi l’État a demandé à ce que les volumes de précipitations étudiés prennent en compte l’effet du changement climatique. L’inflation a imposé une réévaluation des coûts. Des enjeux patrimoniaux ont été mis en évidence. Une opposition locale de la population et des élus de Montredon-Corbières laisse planer la menace de recours.

Les bonnes pratiques en ingénierie imposent de réévaluer les alternatives lorsque les paramètres évoluent de manière substantielle. Manifestement, les bonnes pratiques en hydraulique et en ingénierie ne semblent pas être une préoccupation du SMDA.

L’ombre d’un conflit d’intérêt

BRL ingénierie se présente comme spécialiste de la conception et la réalisation du type d’ouvrage écrêteur de crue qu’il propose. L’option retenue est très avantageuse pour ce bureau d’étude puisqu’il permet de convertir une mission d’étude en une mission de conception réalisation bien plus lucrative sans qu’aucun bureau d’étude extérieur ne vienne réévaluer les choix.

L’ingénierie publique joue alors un rôle de conseil fondamental. Le SMDA n’ayant pas les compétences techniques pour réaliser une évaluation en interne, il s’est appuyé sur le Syndicat Mixte des Milieux Aquatique (SMMAR) pour cette tâche.

La ville, qui gérait par le passé ces aménagements n’a plus ni compétences ni archives. Avec le désengagement de l’État, toutes les compétences publiques techniques sont à présent détenues par le seul SMMAR. Celui-ci est actionnaire de BRL Holding dont BRL ingénierie est une filiale. Un rapport de la Cour régionale des comptes, daté du 24 janvier 2023, fait état d’un potentiel conflit d’intérêt impliquant les deux entités sur la période concernée.

Les conseils prodigués par le SMMAR au SMDA ne sont pas indépendants du bureau d’étude.

Tous les partenaires, de la ville au département, sans capacité d’ingénierie propre, affirment se baser sur l’expertise technique du SMMAR pour justifier leur soutien. Et l’unanimité de ces soutiens rend inaudibles la voix de simples citoyens, même lorsqu’ils sont les seuls à détenir l’expertise pour produire une évaluation indépendante.

Cette évaluation indépendante révèle qu’il existe des alternatives viables sur le plan technique et financier. Il ne fait aucun doute que cette conclusion serait confirmée par toute étude indépendante.

Pour une évaluation indépendante

Narbonne doit être protégée contre le risque d’inondation par le Rec de Veyret. Chaque année une crue importante peut advenir. Il ne faut pas perdre de temps inutilement. L’action résolue de l’État et des collectivités dans ce sens doit être saluée. Mais persister dans un projet mal évalué fera perdre du temps et conduira à des blocages inévitables.

L’ensemble du projet doit faire enfin l’objet d’une évaluation indépendante et transparente

Des solutions alternatives existent. Elles soient chiffrées loyalement.

Pour une bonne fin du projet de protection contre les inondations, il est indispensable que les citoyens et les élus  se mobilisent pour exiger une gestion responsable et concertée de l’aménagement de la vallée du Rec de Veyret.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 13/02/2024

4 commentaires

ASSOCIATION COPAREC

Merci Laurent pour ce bel article, nous espérons que les instances décisionnelles commenceront à s’interroger sérieusement sur le sujet. Coparec comme chacun de nous tous sommes conscients de protéger les quartiers de Narbonne d’une crue centennale du rec de veyret mais l’aménagement doit être fait de manière raisonnée et étudier sérieusement toutes les solutions existantes sans pour cela détruire toute une vallée, sa biodiversité, son patrimoine historique. Le département prône de préserver la biodiversité par tous les moyens de communication: que penser du sacrifice de plusieurs hectares de cette vallée, un des derniers paysages naturels?
Merci pour votre travail et votre soutien

Bonjour, la lecture des quelques documents que le SMDA a bien voulu transmettre soulève à ce stade des questions pressantes en matière de pilotage de projet et de choix techniques. A leur lumière, l’entêtement des promoteurs du projet à ne considérer aucune alternative à la destruction de la vallée du Castellas est incompréhensible. J’espère que les hypothèses qui tendent à s’imposer à ce stade de notre connaissance du dossier pourront être écartées par davantage de transparence de la part du SMDA.

Et si nous suggérions au SMDA d’embaucher des castors ? D’autres l’ont bien fait : https://www.slate.fr/monde/republique-tcheque-castors-barrage-economie-chantier-riviere-ingenieurs-espece

J’ai peur que les castors s’accomodent mal d’un cours d’eau qui n’est en eau au mieux que quelques jours par an. Cependant, l’arrachage massif de vignes que connait notre région pose effectivement la question de l’évolution ou de la disparition des pratiques agricoles et des conséquences sur les écosystèmes. Parfois, la nature met en oeuvre des solutions inattendues.

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