La marche à la guerre

Les 4 chevaux de l’apocalypse : la famine, la mort, la guerre, la famine (Image par Jeroným Pelikovský de Pixabay)

La guerre ! Le mot est revenu dans la bouche de nos gouvernants, non plus comme un fait possible, mais comme une réalité probable qui implique que nous nous soumettions à leur sagesse et que nous renoncions à certains droits fondamentaux comme la liberté. Ainsi, l’état de guerre, proclamé par Macron pour lutter contre la pandémie du COVID, nous a privés temporairement de la liberté de circuler. Mais dans l’état de guerre, les prétextes sont nombreux pour nous priver de nos droits, au motif d’assurer notre bien et celui des générations suivantes et pour que nous consentions à nous sacrifier par millions pour la cause ! Mais la cause présentée au peuple est rarement, sinon jamais, la bonne et même une fois la guerre finie, il faut le travail méthodique et patient des historiens pour en révéler les vraies causes et les circonstances qui provoquent la mobilisation guerrière des peuples. C’est le remarquable travail fait par un historien, Dominique Sénac, que nous présentons ici. Il concerne la 1ère guerre mondiale de 1914/1918, mais ses enseignements valent toujours pour les conflits actuels.

La rédaction du Clairon

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » (1)
(Jean Jaurès)

C’est un fait : en 2025, le monde marche à la guerre. On assiste d’ailleurs partout à une montée de l’extrême-droite et à une brutalisation des relations. Cinquante pays sont déjà dévastés par des conflits de haute intensité (Rapport ACLED 2024), avec, au premier rang, l’Ukraine et le Proche-Orient (Gaza, Cisjordanie, Liban, Syrie…). Les civils en sont les principales victimes.

Les États-Unis et la Chine sont convaincus que la guerre entre eux est inévitable et s’y préparent (Radio France 7 /03/2025). Pour Donald Trump, représentant du capital financier nord-américain, c’est l’aboutissement logique de la guerre commerciale et tarifaire que se livrent les deux géants économiques. Les revendications territoriales de la Chine sur Taïwan et d’autres iles en mer de Chine, alimentent déjà de fortes tensions avec ses voisins (Japon, Corée, Philippines…). Dès son investiture, la brutalité des déclarations de Trump et ses ambitions territoriales ont stupéfait le monde entier : Canada 51e État, Groenland, Panama, et Gaza sans Palestiniens, transformé en Riviera du Proche-Orient, menace de bombarder l’Iran si les négociations sur le nucléaire échouaient.

A Gaza, 50 523 personnes ont été tuées dont 15000 enfants, 114 776 blessées dont 34000 enfants, 11 200 sont portées disparues (UNICEF 4/04/2025).  Gaza n’est plus qu’un champ de ruines. L’aide humanitaire est bloquée depuis un mois. Netanyahou, poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crime contre l’humanité depuis le 21 novembre 2024, reçu en ami à la Maison Blanche le 3 février et le 7 avril 2025 et par Orban le 3 avril, intensifie sa guerre génocidaire et le nettoyage ethnique de la Palestine avec le soutien politique, économique, des États-Unis et de plusieurs pays de l’UE dont la France. Les livraisons d’armes à Israël n’ont pas cessé. Les frappes de Tsahal au Liban, en Syrie, en Iran… menacent d’embraser tout le Proche et le Moyen-Orient.

Selon le Wall Street Journal (19/09/2024), trois ans de guerre en Ukraine auraient fait plus d’un million de victimes (280 000 tués et 800 000 blessés, Ukrainiens et Russes). Les fauteurs de guerre ce sont les Poutine, les Zelensky, les oligarques russes et ukrainiens, l’OTAN, mais pas les peuples … Par centaines de milliers, de jeunes Russes et de jeunes Ukrainiens ont quitté leur pays pour échapper au front. L’ONU recense 12 500 civils tués et 28 400 blessés. Plusieurs millions de personnes ont dû fuir les zones de combats. Des infrastructures, des hôpitaux, des écoles, des centaines de milliers de logements sont détruits. Sans minimiser l’agression de Poutine, l’analyste américain des relations internationales, John Mearsheimer, considère que les occidentaux, représentés par l’OTAN ont une part de responsabilité dans la guerre en Ukraine : 

« S’il est indéniable que la Russie a attaqué l’Ukraine, on ne saurait contester non plus que cette invasion a été provoquée par les États-Unis et leurs alliés européens lorsqu’ils ont décidé de faire de l’Ukraine leur rempart aux frontières de la Russie. Ils espéraient transformer ce pays en une démocratie libérale et l’intégrer à l’OTAN et à l’Union européenne. À plusieurs reprises, les dirigeants russes ont répété qu’une telle politique serait considérée comme une menace par Moscou et qu’elle ne serait donc pas tolérée. Il n’y avait aucune raison de douter de leur détermination sur ce point. » (2) Bien entendu, l’OTAN conteste cette analyse.

« On Croit mourir pour sa patrie, on meurt pour des industriels » (Anatole France). (3)

Le 13 juin 2022, Macron annonçait que la France et l’UE entraient dans une « économie de guerre ». En septembre 2023, Lecornu, ministre français des armées, déclarait que la guerre en Ukraine présente « des opportunités pour l’industrie française ». En mars 2025, la propagande des marchands de canons peut se résumer ainsi : « on a des carnets de commandes pleins, on produit plus et plus vite, on embauche, on reprend les vieux qui ont les compétences professionnelles requises, on forme les jeunes, et on paye mieux qu’avant. » Sobre et efficace, le propos peut séduire dans un pays où les « défaillances d’entreprises » se multiplient, alors qu’il compte déjà 7,4% des actifs au chômage, dont 19% des jeunes de 15-24 ans. Mais cela ne peut occulter complètement la désindustrialisation globale de la France, le détournement massif des fonds publics et le gavage des milliardaires du CAC40 :  200 milliards d’euros de cadeaux aux entreprises, sans contrepartie, en 2024, captés principalement par les grands groupes ; amende de 320 millions d’euros annulée pour Bolloré sans la moindre justification (Canard enchainé 25/03/2025).

Macron et Bayrou font payer leur guerre à la population. D’abord en asphyxiant les services publics, en ruinant l’hôpital, l’école…, déjà au bord de l’effondrement ; en rognant sur les acquis sociaux, et en exigeant toujours plus de sacrifices, y compris aux plus modestes. Bientôt par l’impôt du sang ? Pour la Finance internationale et les entreprises du complexe militaro-industriel français c’est le jackpot. Les cours en bourse des Thalès, Dassault, Safran, Airbus, KNDS France, Arquus, MBDA, Naval Group, Eurenco, s’envolent.  

Les dépenses militaires mondiales s’élevaient à 2443 milliards de dollars en 2023 et ne cessent d’augmenter. La plupart des pays de l’OTAN – dont la France – consacrent 2% de leur PIB pour la guerre. En France, la loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit de porter le budget de l’armée à 413 milliards d’euros en sept ans. Sans ménagement, Trump a fait savoir à ses anciens alliés européens qu’ils vont devoir se débrouiller seuls dorénavant. Il exige qu’ils portent leurs dépenses militaires à 5% du PIB pour acheter en priorité les armes et autres matériels militaires, produits par le complexe militaro-industriel de l’oncle Sam. Aussitôt l’UE approuve le plan de 800 milliards d’euros pour réarmer l’Europe présenté par Madame von der Leyen.

Les États-Unis sont le premier exportateur d’armes au monde (43%). La France est le 2e (9,6%), la Russie le troisième (7,8%). « Les 100 plus grandes entreprises d’armement ont vendu pour près de 632 milliards de dollars d’armes et de services à caractère militaire en 2023 » (Communiqué SIPRI, 2/12/2024). Le montant des exportations françaises d’armes dépasse 18 milliards d’euros en 2024. L’Ukraine est le premier importateur d’armes au monde, l’Inde le deuxième, Israël le quinzième. On ne produit pas autant d’armes pour ne s’en jamais servir. L’holocauste nucléaire n’est pas exclu. Deux guerres mondiales n’ont-elles rien appris aux grands de ce monde ?

Mytho et associés rament pour l’Union sacrée

Le 5 mars 2025, Macron agite une menace russe imaginaire. Il s’agit, bien sûr, d’une tentative d’installer la peur qui rend les foules obéissantes et manipulables. Mais ça ne fonctionne pas. Son discours irresponsable agace. Le 15 mars, Macron confirme, avec la refonte du SNU, son objectif d’embrigader la jeunesse pour en faire de la chair à canon un peu plus tard. Les jeunes n’en veulent pas. Le 27 mars, le sommet réunissant à Paris, autour de Macron, les représentants de 30 pays « alliés de l’Ukraine », décide à l’unanimité de maintenir les sanctions économiques contre la Russie et d’apporter un soutien total à l’armée ukrainienne. C’est-à-dire de rejeter toute perspective de paix immédiate. Mais ce front se fissure aussitôt lorsque Macron, soutenu par Keir Starmer, premier ministre britannique, réitère sa proposition d’envoyer des troupes en Ukraine.

Les médias ont beau nous rebattre les oreilles de discours va-t-en-guerre, cela ne convainc pas. Les peuples ne veulent pas de guerre. Personne n’a confiance en Macron. Alors, toutes les forces attachées au vieux monde capitaliste s’arc-boutent pour sauver Macron, totalement isolé, Bayrou, premier ministre illégitime, le régime vermoulu de la Ve République… et les profits des marchands de canons. Leur objectif : réunir les conditions de l’indispensable « Union sacrée ». Il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour cela, il faudrait que les syndicats soient intégrés et muselés, et la gauche de rupture marginalisée ou liquidée. Or, FO et CGT ont claqué la porte du conclave de Bayrou et revendiquent l’abrogation de la réforme des retraites. Le Nouveau Front Populaire n’est plus mais LFI, et des militants d’autres organisations, sont restés fidèles à son programme de rupture et sont attachés à la paix dans le monde… Le 4 décembre 2024, le vote d’une motion de censure a chassé le gouvernement Barnier. Le 5 février 2025, le budget Bayrou a été adopté à grands coups de 49-3 ; le PS ayant trahit et refusé de voter la motion de censure déposée par les députés insoumis (Seuls 6 députés PS l’ont votée) et le RN s’étant abstenu. C’était soutenir délibérément la guerre sociale de Macron et entériner des mesures pires que celles prévues par Barnier, organiser le pillage des budgets sociaux et des services publics pour la guerre et ignorer l’urgence écologique. Le 4 mars 2025, le président du Medef, Patrick Martin, a exprimé un réel intérêt pour la décision du Danemark de porter l’âge de départ à la retraite à 70 ans… pour financer la guerre (Capital.fr 5/03/2025). Le 12 mars, à l’Assemblée nationale, le PS et les Verts, ont voté avec la macronie et LR, la résolution visant à « renforcer le soutien à l’Ukraine », saisir les avoirs russes gelés, créer une Défense européenne et soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Le RN et les ciottistes se sont abstenus. LFI et le PCF ont voté contre. Le rapport de l’observatoire des inégalités du 10 décembre 2024 alertait sur le fait que l’Occitanie concentre treize des vingt quartiers prioritaires les plus pauvres de France. L’urgence sociale y est criante. Les dépenses sociales des départements explosent en 2025 alors que leurs recettes ont été amputées par le budget Bayrou. Carole Delga, présidente PS de la Région Occitanie, a d’autres priorités. Le 25 mars 2025, elle annonce un plan de 200 millions d’euros… pour la guerre ! (France info 25/03/2025) 

Comment en est-on arrivé là ? Que faire ?

Clauzewitz disait que « La guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens. » (4)  Se valoriser est une question de vie ou de mort pour le capital. Il doit sans cesse s’efforcer de compenser la baisse tendancielle des taux de profit. Le militarisme y contribue. Aujourd’hui, cela implique aussi que l’Etat dont la fonction principale consiste à favoriser l’accumulation capitaliste basée sur l’exploitation, élimine toutes les limites à l’accumulation. Mais pour avoir trop produit et trop accumulé de richesses et de capitaux, le capital financier, fraction dominante du capital, ne trouve plus d’investissement rentable. Les marchés sont saturés depuis bien longtemps. Les impérialismes ne peuvent conquérir de nouvelles parts de marché qu’en les arrachant à d’autres impérialismes

L’Humanité est à nouveau devant l’alternative : socialisme ou barbarie. La Grande Guerre (1914-1918) a vérifié le pronostic de 1870 de Karl Marx sur l’inéluctabilité d’une guerre entre l’Allemagne et la Russie : « sauf cas improbable de déclenchement préalable d’une révolution en Russie ». (5) La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) a vérifié celui de Trotsky, formulé en 1938, parmi les prémisses du programme de la IVe Internationale :« Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine est menacée d’être emportée dans une catastrophe. » (6) En 2025, il est encore possible d’empêcher la guerre de s’étendre, la catastrophe de se produire.  Les revendications sociales n’attendent pas. Pour une société en paix, plus juste, plus fraternelle, il faut s’organiser maintenant.

Le mouvement ouvrier face à la guerre (1914-1918)

Quelques enseignements de l’histoire

Au tournant des XIXe et XXe siècles, les rivalités entre les grandes puissances s’étaient avivées. * Le 20 mai 1882, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie avaient signé un traité formant la Triple Alliance pour isoler la France. L’alliance franco-russe du 27 décembre 1893 puis les accords de l’Entente cordiale signés le 8 avril 1904 par la France et Angleterre, suivis de la convention anglo-russe d’août 1907, avaient abouti à la Triple Entente. Dès 1897, le Kaiser Guillaume II [1859-1941] avait réorienté la politique étrangère de l’Allemagne, jusque-là puissance continentale, pour en faire une puissance mondiale (Weltpolitik). L’amiral von Tirpiz [1849-1930] avait élaboré un plan de développement d’une flotte impériale capable de concurrencer la marine de guerre britannique, et lancé la course aux armements avec la Grande-Bretagne. Les productions des arsenaux ne suffisant pas, les États avaient fait appel à des sociétés privées pour produire blindages et canons : Krupp en Allemagne, Schneider en France, Vickers en Angleterre… Il y avait eu la « crise de Fachoda » en 1898, opposant la France au Royaume-Uni, le « Coup d’Agadir » de 1911, opposant la France et l’Allemagne… Mais, tant bien que mal, la paix avait été préservée en Europe, du moins, provisoirement…

Depuis le 18 octobre 1912, une coalition de pays balkaniques affrontait l’Empire ottoman. Les belligérants disposaient d’armes modernes. Les combats étaient particulièrement violents et meurtriers. Les populations civiles étaient victimes d’atrocités. Le mouvement ouvrier est internationaliste et antimilitariste. La guerre des Balkans l’inquiétait. Les liens entre les belligérants et les grandes puissances faisaient craindre une escalade et l’embrasement général. Deux congrès ouvriers s’étaient réunis les 24 et 25 novembre 1912 contre la guerre. Le congrès extraordinaire de la CGT regroupait à Paris 752 délégués. (7) L’Internationale socialiste avait convoqué 500 délégués de 23 pays à Bâle (Suisse). (8) La CGT avait adopté une résolution sur la grève générale révolutionnaire contre la guerre et décidé d’appeler à une grève générale préventive de 24 heures le 16 décembre. 600 000 grévistes avaient répondu à cet appel. Le congrès socialiste de Bâle, unanime, avait approuvé la proposition Jean Jaurès et décidé de faire « la guerre contre la guerre ». Mais n’avait pas déterminé comment. Le 25 février 1913, la CGT avait publié un manifeste antimilitariste. Le 19 juillet 1913, la loi des 3 ans augmentant la durée du service militaire avait été adoptée. La SFIO en avait exigé l’abrogation.

Le dimanche 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg-Este [1863-1914], héritier de l’Empire austro-hongrois, et sa femme, la duchesse de Hohenberg [1868-1914], sont assassinés à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) par un jeune étudiant Serbe, Gavrilo Princip [1894-1918]. * En France, cet attentat passe tout d’abord complètement inaperçu… Le 25 juillet 1914, à Vaise (Rhône) Jean Jaurès qui vient de prendre connaissance de l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie ne doute pas de l’imminence de la guerre. Très ému, il prononce ce qui sera son avant-dernier discours public : « […] citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix  et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar. » (9)

Léon Jouhaux [1879-1954], secrétaire général de la CGT, signe l’éditorial du 26 juillet 1914 de La Bataille Syndicaliste. Il est intitulé : « A bas la guerre ! » et surmonté d’une manchette citant des extraits d’une résolution du 1er octobre 1911 : « A toute déclaration de guerre, les travailleurs doivent sans délai répondre par la grève générale révolutionnaire » (10) La CGT organise des manifestations contre la guerre le 27 juillet. Elle réaffirme que « La guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière, un moyen sanglant et terrible de diversion à ses revendications » Selon L’Humanité du 29 juillet, 100 000 manifestants ont défilé contre la guerre sur les grands boulevards parisiens. (11) Les 26 et 27 juillet, des délégations sont présentes au congrès syndical belge à Bruxelles. Léon Jouhaux affirmera qu’il aurait tenté en vain d’interroger Karl Legien [1861-1920], président de l’Union Syndicale Internationale et de la Centrale syndicale allemande, sur les intentions de la social-démocratie allemande en cas de guerre.

Le 28 juillet 1914, le ministre de l’Intérieur, Louis Malvy [1875-1949] renonce à utiliser le Carnet B de la gendarmerie (Ce fichier, créé le 9 décembre1886, par le général Boulanger recensait dans chaque département la liste des leaders anarchistes, syndicalistes ou SFIO qui devaient être arrêtés et incarcérés en cas de conflit car susceptibles d’organiser des troubles, des actions antimilitaristes et d’entraver la mobilisation). Décision désapprouvée par le ministre de la Guerre, Adolphe Messimy [1869-1914] qui rêve de « zigouiller les chefs de la CGT » et d’envoyer les obscurs dans des camps de concentration » et qui déclare en Conseil des ministres, le 29 juillet : « Laissez-moi la guillotine et je garantis la victoire. Que ces gens-là ne s’imaginent pas qu’ils seront simplement enfermés en prison. Il faut qu’ils sachent que nous les enverrons aux premières lignes de feu : s’ils ne marchent pas, eh bien ils recevront des balles par-devant et par-derrière. Après quoi, nous en serons débarrassés. » (12)

Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès est assassiné au Café du croissant à Paris par Raoul Villain [1885-1936], étudiant d’extrême-droite.*  Le Comité confédéral de la CGT, réuni au même moment, apprend la terrible nouvelle. Seuls Raymond Péricat [1873-1958] de la Fédération du bâtiment et Arthur Marchand [1886- ?] de la Fédération des tonneaux préconisent encore une action collective contre la guerre. Le 1eraoût 1914, l’ordre de mobilisation générale est placardé sur les murs de toutes les mairies de France. La CGT ne réagit pas. La SFIO non plus. L’état de siège est proclamé le 2 août. 3700 000 hommes sont mobilisés en France en quelques jours. L’Allemagne déclare la guerre à la Russie le 1er août et à la France le 3 août 1914. La vague chauvine submerge tout. Le 4 août 1914, l’appel du président de la République, Raymond Poincaré [1860-1934], à « L’Union sacrée » est lu à la Chambre des députés par René Viviani [1863-1925] : « Dans la guerre qui s’engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l’éternelle puissance morale.  Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique ». (13)

L’après-midi même, Léon Jouhaux prononce le discours du ralliement de la CGT à l’Union sacrée lors des obsèques officielles de Jean Jaurès : « […] Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé. Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir, dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime. […] »(14)

La France déclare la guerre à l’Allemagne. Les députés socialistes des pays belligérants votent les crédits de guerre à leur propre bourgeoisie. Cette trahison des intérêts de la classe ouvrière mondiale marque la faillite de la IIe Internationale. Jean-Jacques Marie souligne : « Lénine, stupéfait, croit un instant que le numéro du quotidien social-démocrate le Vorwärts qui annonce le vote des députés sociaux-démocrates allemands est un faux fabriqué par l’état-major, mais il doit se rendre à l’évidence. L’Internationale socialiste que Rosa Luxembourg qualifie de « cadavre puant », s’effondre, explose ; ses partis s’alignent presque tous sur leurs gouvernements. Aux yeux de Lénine, elle est morte… Le monde change d’un coup de visage. » (15)

Les anarchistes ne se rebellent d’ailleurs pas non plus « A quelques exceptions près, ceux qui reçurent leur livret de mobilisation rejoignirent leur corps […] » (16) Jouhaux n’a pas rejoint le front. Il a suivi le gouvernement à Bordeaux. Puis il a intégré le Comité de Secours National. Il y développe l’assistance par le travail, les repas populaires pour les familles nécessiteuses, et la prise en charge des orphelins de guerre. Le 26 août 1914, deux ministres SFIO : Marcel Sembat [1862-1922] aux travaux publics, Jules Guesde [1845-1922], ministre sans portefeuille, entrent au gouvernement. En octobre 1915, Albert Thomas [1878-1932] les rejoint et devient sous-secrétaire d’Etat à l’Artillerie et aux munitions. La CGT siège dans plusieurs organismes comme la Commission du travail du ministère des Munitions. Conséquence de la mobilisation générale, les effectifs  de la CGT s’effondrent dans un premier temps. La confédération regroupait 394 963 adhérents en 1913. Ils ne sont plus que 285 291 en 1914 et 55 527 en 1915. Le nombre d’adhérents remonte en 1916.  En décembre 1914, Pierre Monatte [1881-1960], syndicaliste révolutionnaire, fondateur de la Vie Ouvrière, combat l’Union sacrée et démissionne du Comité confédéral national (CCN) de la CGT.

A l’automne 1914, Lénine [1870-1924] définit ce que doit être une stratégie révolutionnaire efficace contre la guerre et formule de vives critiques contre les théories du syndicalisme révolutionnaire à ce sujet : « Le refus du service militaire, la grève contre la guerre, etc., pures sottises, rêve pauvre et craintif d’une lutte désarmée contre la bourgeoisie armée, vœu d’anéantissement du capitalisme sans guerre civile désespérée ou sans suite de guerre. La propagande de la lutte de classes, dans la guerre même, est le devoir du socialisme. L’effort tendant à transformer la guerre des peuples en guerre civile est le seul effort socialiste à l’époque de la conflagration armée des bourgeoisies de toutes les nations(17)

Karl Liebknecht [1871-1919], député socialiste allemand qui s’était conformé à la consigne de vote du SPD le 4 août 1914, est seul à voter contre le renouvellement des crédits de guerre le 2 décembre. Il est exclu du groupe SPD au Reichstag le 2 février 1915 et mobilisé à 43 ans comme artilleur le 7 février. Après l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de la Triple Entente, il publie un tract le 27 mai1915 dont le mot d’ordre est : « Tout apprendre, ne rien oublier ». Il appelle les prolétaires de tous les pays à suivre l’exemple héroïque de leurs frères italiens qui n’ont cessé de lutter contre la guerre et il proclame : « L’ennemi principal de chaque peuple est dans son propre pays ! » (18)

L’année 1914 est la plus sanglante de toute la guerre. En moyenne, plus de 1600 soldats y sont tués chaque jour. Lors de la « bataille des frontières » (20-25 août 1914), le samedi 22 août 1914 est même considéré comme le jour plus meurtrier de toute l’histoire millénaire de France avec 27 000 soldats français tués entre l’aube et la tombée de la nuit (Henry Contamine). Par la suite, la moyenne est ramenée à 900 soldats français et 1300 soldats allemands tués en moyenne par jour en 1915, 1916, 1917 et 1918. C’est en 1914 et 1915 qu’on exécute parfois sommairement des soldats et qu’on fusille le plus « pour l’exemple » ; « pour désobéissance militaire » sur décision de sinistres Conseils de guerre, après des parodies de procès.

La conférence de la CGT réunie le 15 août 1915 à son siège, 33 rue de La Grange aux Belles à Paris, concentre l’essentiel des échanges sur le bilan de l’attitude confédérale face à la guerre. Jouhaux fait adopter une résolution désapprouvant « toute politique de conquête » ; appelant à « la constitution de la Fédération des Nations, assurant à tous les peuples le droit de disposer librement d’eux-mêmes et sauvegardant l’indépendance de toutes les nationalités » et demandant « instamment à tous les prolétariats organisés, d’accepter la proposition de l’American Federation of Labor, pour la tenue d’un Congrès international, aux mêmes lieu et date auxquels se tiendrait la Conférence des diplomates pour la fixation des conditions de paix. » (19)

La conférence de Zimmerwald (Suisse) réunit 38 délégués de onze nationalités, du 5 au 8 septembre 1915, parmi lesquels : Alphonse Merrheim et Albert Bourderon [1858-1930], syndicalistes CGT. Les débats sont vifs. Le manifeste adopté à l’unanimité dénonce l’impérialisme, fauteur de guerre, l’Union sacrée et les responsabilités des dirigeants socialistes et se prononce « pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre. » Lénine le juge « timoré et inconséquent » mais y voit un « pas en avant » qu’il ne peut refuser. (20)

La Conférence de Kienthal (Suisse) rassemble du 24 au 30 avril 1916, 43 délégués de six nations : Allemagne, France, Italie, Pologne, Russie, Suisse. Le Comité pour la reprise des relations internationales aurait dû être représenté par Merrheim, Bourderon et Marie Mayoux [1878-1969], mais le gouvernement français leur a refusé les passeports. Trois députés socialistes français se sont présentés à la conférence en « observateurs sans mandat » : Alexandre Blanc [1874-1924], Pierre Brizon [1878-1923], Jean-Pierre Raffin-Dugens [1861-1946]. Le 24 juin 1916, en pleine bataille de Verdun, ils refuseront de  voter les crédits de guerre. La Conférence adopte un appel « Aux peuples qu’on ruine et qu’on tue ». (21)

À « l’arrière », loin du front, de l’enfer des tranchée, les capitalistes, profiteurs de guerre, s’en mettent plein les poches durant tout le conflit. Les marchés de guerre provoquent une succession de scandales retentissants que le gouvernement ne parvient pas à étouffer. Le 9 juin 1916, le Maître des forges, François de Wendel [1874-1949], Régent de la Banque de France et député de Meurthe-et-Moselle, déclare que le grand patronat ne veut pas de contrôle. La loi Dalbiez du 17 août 1915 retire du front des ouvriers qualifiés mais aussi des industriels. Les polémiques sur les « embusqués » enflent.  André Citroën [1878-1931], rappelé du front, ouvre en avril 1915, une usine Quai de Javel à Paris 15e. Après des débuts incertains, vingt-six millions d’obus Shrapnel de 75 y seront produits. Les cadences passent de 5000 obus par jour en 1915 à 40 000 en 1918. Citroën réalise des marges de 40%. Schneider déclare 41 millions de bénéfice net. Le fisc enquête et calcule qu’il en a réalisé huit fois plus… Le chiffre d’affaires de Louis Renault [1877-1944] est multiplié par quatre entre 1914 et 1918. (22)

Plus ou moins occultées par la censure, trois vagues de grèves déferlent en France. Dès janvier 1916, les couturières lasses de leurs salaires de famine et appuyées par le Syndicat parisien de l’Habillement, font grève et revendiquent le « retour aux anciens taux et, en raison de la vie chère, une augmentation générale de 25% ». Le 29 juin, alors que la bataille de Verdun fait rage, 110 ouvrières de l’atelier des fusils de l’usine de Dion à Puteaux cessent le travail et saisissent la Fédération des Métaux de la CGT. C’est première grève d’ouvrières travaillant pour la Guerre. (23) Fin décembre 1916, peu après la fin de la bataille de Verdun, une autre vague de grèves paralyse les usines de guerre parisiennes (Panhard, Renault, Coutinsousa, Vedovelli…). Les ouvrières grévistes, soutenues par la Fédération des métaux de la CGT, dénoncent le surmenage et revendiquent des augmentations de salaire, l’abandon du travail aux pièces, le respect de leur dignité. (24)

Le 8 mars 1917 (23 février du calendrier Julien), la grève générale des ouvrières du textile de Petrograd (Russie) pour le pain et la paix, ouvre la Révolution qui abat la monarchie en quelques jours. Le gouvernement provisoire accorde les libertés démocratiques de presse, de réunion…, promet des élections à une Assemblée Constituante et continue la guerre. Les 1ère et 3e brigades russes, engagées en Champagne, ne prennent connaissance de ces événements qu’un mois plus tard. L’agitation qui s’ensuit contraint l’état-major à retirer ces deux brigades du front et à les installer au camp de La Courtine en Creuse. Près de 10 000 soldats russes de la 1ère brigade se mutinent presque aussitôt et exigent d’être rapatriés. Les 6000 hommes de la 3e brigade loyaliste, quittent le camp et se regroupent avec leurs 290 officiers à Felletin, à 25 kilomètres de là. Les mutins du camp de La Courtine se constituent en soviet. Ils fraternisent avec la population, aident aux travaux des champs. Sommés de se rendre, ils rejettent l’ultimatum. A partir du 16 septembre, le camp est bombardé par l’artillerie française puis investi le 18 par des troupes russes loyalistes. Les derniers mutins se rendent le lendemain. Le bilan officiel fait état d’une centaine de morts. Cet événement est tenu secret par l’état-major et le restera longtemps. (25)

Sur le front occidental, l’échec de l’offensive Nivelle du printemps 1917 sur le Chemin des dames (40 000 morts en trois jours ; plusieurs centaines de milliers au total), provoque des mutineries spontanées du 29 avril au 13 juillet. 23385 condamnations dont 412 à mort, sont prononcées. 55 mutins sont exécutés. Sur le front oriental, la démoralisation est générale. L’armée russe se décompose. On recensait plus d’un million de déserteurs en mars1917. (26)

La « grève des midinettes » * éclate le 11 mai 1917 et s’étend rapidement : 10 000 ouvrières des ateliers parisiens de haute couture font grève et manifestent pour des augmentations de salaires et pour la « semaine anglaise ». C’est le point de départ d’un mouvement de grèves qui balaye tout le pays et touche tous les secteurs en se prolongeant d’abord par la grève des « munitionnettes » de Valence, de Rennes… Le 11 juin, la loi sur la « semaine anglaise » est adoptée par le parlement. La grève des usines d’aéronautique éclate le 24 septembre pour l’augmentation des salaires. Le 26 septembre, elle est générale : 35 000 grévistes occupent les usines d’aéronautique et restent les bras croisés. On prend l’habitude de se réunir en assemblées de grévistes dans l’usine. En France, on recense 696 grèves et 293 810 grévistes en 1917. (27)

Les États-Unis entrent en guerre aux côtés des puissances de l’Entente le 6 avril 1917. Le corps expéditionnaire américain, commandé par le général Pershing [1860-1948], débarque à Boulogne-sur-Mer le 13 juin. A Petrograd, en Russie, l’insurrection dirigée par Lénine et Trotsky [1879-1940], et la prise du palais d’hiver, dans la nuit du 6 au 7 novembre (24- 25 octobre dans le calendrier julien), marquent le début de la Révolution bolchévique. Le décret sur la paix puis le décret sur la terre sont adoptés par le 2e Congrès des soviets, unanime, dès le lendemain. (28)

Le refus du ministre des Affaires étrangères Alexandre Ribot [1842-1923] de délivrer des passeports aux socialistes français délégués à la conférence de Stockholm pour la paix, entraine la rupture de l’Union sacrée le 7 novembre 1917. Le 12 novembre, les socialistes refusent de siéger dans le gouvernement Painlevé. (29)

Le 3 mars 1918, les bolcheviks signent une paix séparée avec l’Allemagne à Brest-Litovsk (Biélorussie) mais la guerre civile ravage la Russie dès le mois de mai 1918. L’armée allemande concentre ses forces sur le front occidental.  Le 21 mars, Ludendorff [1865-1937] lance la première des cinq offensives allemandes du printemps 1918 sur le front occidental. Le 23 mars, sept canons à très longue portée, installés à 120 kilomètres de Paris, dans la forêt de Saint-Gobain (Aisne), commencent à bombarder la capitale. Ce sont ces pièces d’artillerie que les parisiens appellent par dérision « La Grosse Bertha ». (30) La CGT ne soutient pas le mouvement de grèves politiques pour la paix, parti de l’usine Renault à Billancourt et qui se généralise à toute la métallurgie du 12 au 28 mai 1918.

La 2e bataille de la Marne commence le 27 mai. Le 15 juillet l’offensive allemande est enrayée. Foch [1851 1929] lance la contre-offensive alliée le 18 juillet. Le rapport de forces s’est inversé. Le 8 août, l’armée allemande subit un grave revers et doit reculer. Des troupes se rendent sans combattre. C’est un tournant. L’état-major allemand a conscience que la guerre est perdue mais cherche à gagner du temps . (31)

En octobre 1918, l’Empire d’Autriche-Hongrie s’effondre et se disloque. Les désertions se multiplient et les grèves paralysent le pays dès le printemps. Le 28 octobre, les Tchèques et les Slovaques proclament leur indépendance. La révolution éclate à Budapest, des soviets se constituent à Vienne. L’Empereur Charles 1er se démet de ses fonctions le 3 novembre. (32)

En Allemagne, le parti social-démocrate (SPD) est parvenu à faire refluer le mouvement de grève générale qui a déferlé sur tout le pays du 28 janvier au 4 février 1918 pour « une paix sans annexion » et la « levée de l’état de siège » en vigueur depuis l’entrée en guerre. Mais la mutinerie des marins de Kiel du 29 octobre 1918 marque le début de la révolution allemande. Des Conseils d’ouvriers et de soldats – Räte – exercent une autorité de fait. Le 7 novembre, à Munich, les révolutionnaires proclament la République socialiste de Bavière. Le 9 novembre des centaines de milliers de manifestants défilent dans les rues de Berlin. L’Empereur Guillaume II abdique le 9 novembre 1918. Le jour même, Philip Scheidemann [1865-1939], député SPD, proclame la République allemande. (33)

Les marins de Kiel insurgés, originaires d’Alsace et de Lorraine, rentrent chez eux, bien déterminés à propager la Révolution. Le 9 novembre 1918, des Conseils d’ouvriers et de soldats se constituent à Haguenau et Mulhouse. Il en est de même, dès le lendemain à Strasbourg et à Colmar, puis à Metz. Des usines sont occupées, les houillères de Moselle sont en grève. Du 13 au 22 novembre, le drapeau rouge flotte sur la cathédrale de Strasbourg. (34) Mais l’Armée française rétablit « l’ordre » le 22 novembre. L’Alsace et la Moselle redeviennent françaises en juin 1919 sans que les populations aient été consultées. (35)

A partir du 12 novembre 1918, à l’appel du Comité d’Olten, la Suisse est paralysée par la grève générale. C’est un échec. Le travail reprend partout le 15 novembre sauf à Zurich, où les ouvriers ne reprennent que le 18 novembre 1918. (36)

L’armistice est signé le 11 novembre 1918 à 5h15, dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne. Le clairon sonne la fin des combats à 11 heures. Entre temps :11 000 soldats ont été tués. La Grande guerre, devait être « La Der des der ». Son coût direct sera évalué à plus de 186 milliards de dollars de l’époque (3913 milliards USD actuels). (37)

Le bilan humain direct de la Grande guerre 1914-1918 est estimé pour les militaires à 9,5 millions de morts auxquels il faut ajouter 8 millions d’invalides et d’un nombre inconnu, parce que volontairement occulté, à l’époque, de milliers de soldats devenus fous, victimes d’un syndrome de stress post-traumatique lié à la guerre, pathologie alors méconnue par la psychiatrie (France : 1,37 million de morts, 4,3 millions de blessés, 1,1 million d’invalides dont 15 000 « gueules cassées »). Et un déficit de naissances impossible à quantifier : 8 millions de civils sont morts, directement victimes de la guerre, dans des incendies, des opérations de terreur ou de représailles… Mais aussi de famine ou de maladie pendant le conflit. (38)A cela s’ajoute le bilan de la pandémie de grippe de 1918, dite « Grippe espagnole » (virus H1-N1), qui sévit sur tous les continents et fait 20 millions de morts supplémentaires dont 3 millions en Europe occidentale (Institut Pasteur).

Le quart nord-est de la France, où étaient situées les lignes de front, est sinistré. Des villages entiers ont été rasés et ne seront jamais reconstruits. 700 000 maisons, 20 000 usines et la plupart des ouvrages d’art (tunnels, ponts…), la quasi-totalité des infrastructures ont été détruits. 50 000 km de voies ferrées et de routes sont inutilisables. Trois millions d’hectares, truffés d’obus et autres engins explosifs ainsi que de restes humains et animaux sont définitivement impropres à l’agriculture. 11 départements sont classés en « zone rouge » pour la présence dans le sol de munitions actives et dangereuses (obus, mines et explosifs, gaz de combats et autres toxiques…) * (39)

Les États-Unis sont devenus le principal créancier de l’Europe. Ils disposent en 1919 de près de la moitié du stock d’or mondial. La dette des puissances de la Triple Entente à l’égard des États-Unis s’élève à 2,3 milliards de dollars, celle des puissances centrales à 26 millions US $ (presque 100 fois moins). Malgré leurs vastes empires coloniaux, le Royaume Uni et la France ne sont plus que des puissances de second rang. (40)

Tirant l’une des leçons fondamentales de la Grande Guerre 1914-1918, Alfred Rosmer [1867-1964] lance, dès 1936, cet avertissement d’une remarquable actualité, dans l’avant-propos de son ouvrage « Le Mouvement ouvrier pendant la guerre » :

« La guerre de 1914-1918, premier grand heurt des impérialismes rivaux, de blocs impérialistes modifiables, a inauguré une époque nouvelle, une époque de guerres et de révolutions que leur enjeu fera sans cesse plus acharnées. L’histoire se répétera, et non pas en farce mais en tragédie. Désormais, quand la révolution s’éloigne c’est la guerre qui montre son hideux visage. […] Il faut comprendre que les gouvernements ne s’engagent dans ce qui reste pour eux une redoutable aventure que lorsqu’ils ont acquis la quasi-certitude d’entraîner la nation toute entière derrière eux, que lorsqu’ils sont parvenus par une préparation patiente et habile à égarer le prolétariat. Quand la guerre passe c’est que la classe ouvrière a déjà été vaincue ; défaite écrasante lorsque ses chefs se rallient à l’ennemi de classe, font cause commune avec lui : l’Union sacrée se dresse sur les ruines de l’internationalisme prolétarien ». (41)

Notes et Références

  1.  
  •  (1)      Jean Jaurès, Discours du 7 mars 1895 à la Chambre des députés, in Œuvres de Jean Jaurès, Tome 13, l’Armée nouvelle, Fayard – 2012 *
  • (2)      John Mearsheimer, Pourquoi les grandes puissances se font la guerre, Le Monde diplomatique, août 2023
  •  (3)      Anatole France, L’Humanité 18 juillet 1922
  •  (4)      Carl von Clausewitz, De la guerre, Perrin-2006, page 56
  •  (5)      Karl Marx, Friedrich Engels, Ecrits militaires, L’Herne-1970, page 521
    Karl Marx cité par Rosa Luxembourg, La crise de la social-démocratie, Brochure de Junius, Spartacus-1993, page 56
  •  (6)      Léon Trotsky, L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale, Programme de transition, La Vérité n°604, SELIO- juin 1989, page 17
  •  (7)      CGT, Le prolétariat contre la guerre et les Trois ans
  •  (8)      Manifeste du Congrès extraordinaire de Bâle (extraits), 1912. https://www.marxists.org/francais/inter_soc/1912/bale.pdf
  •  (9)      Jean Jaurès, Discours du 25 juillet 1914, in Marion Fontaine /Fondation Jean Jaurès, Ainsi nous parle Jean Jaurès, Librairie Arthème Fayard – 2014, pages 333-339
  •  (10)    La Bataille syndicaliste, 26 juillet 1914, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k67645935
  •  (11)    L’Humanité, 29 juillet 1914, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k253899d/f3.item.zoom
  •  (12)    Jean-Yves Le Naour, 1914 : La grande illusion, Perrin -2012, pages 158-159 et Jean-Jacques Becker, 1914 Comment les Français sont entrés dans la guerre, Presses de la fondation nationale des sciences politiques-1977, page 196
  •  (13)    Raymond Poincarré, Président de la République, message aux assemblées du 4 août 1914. https://fr.wikisource.org/wiki/Message_du_Pr%C3%A9sident_de_la_R%C3%A9publique_au_S%C3%A9nat_et_%C3%A0_la_Chambre_des_d%C3%A9put%C3%A9s_(4_ao%C3%BBt_1914)
  •  (14)    Léon Jouhaux, Discours prononcé aux obsèques de Jean Jaurès le 4 août 1914, Paris, La Publication sociale, 1915. https://www.museehistoirevivante.com/activites-pedagogiques/Jaures/Jauresquest.htm
  •  (15)    Jean-Jacques Marie, Lénine, La Révolution permanente, Payot et Rivages-2011, page 149
  •  (16)    Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Tome 2, De 1914 à nos jours, Maspero-1975, page 9
  •  (17)    Lénine, 1er novembre 1914. Situation et tâches de l’Internationale socialiste, in Contre le courant, Tome 1 (1914-1915), Bureau d’édition, de diffusion et de publicité-1927, page 12
  •  (18)    Karl Liebknecht, Tract, 27 mai1915, L’ennemi principal est dans notre pays !
  •  (19)    Résolution votée à la conférence du 15 août 1915, in Compte-rendu des travaux du XIXe Congrès national corporatif (XIIIe de la CGT), tenu à Paris du 15 au 18 juillet 1918, Rapport page 16. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1095689/f27.item.texteImage
  •  (20)    Alfred Rosmer, Le mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale, De zimmerwald à la Révolution russe, Mouton & Co Editeur-1959, pages 21-26
    Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier (1871-1936) : tome II, Armand Colin-1953, pages 234-238
    Jean-Jacques Marie, Lénine, La Révolution permanente, Payot et Rivages-2011, pages 157-160
  •  (21)    Alfred Rosmer, opus cité, pages 70-100
    Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier (1871-1936) tome II : Armand Colin-1953, pages 238-240
  •  (22)    François Bouloc, Les profiteurs de guerre 1914-1918, Complexe-2008
    Alfred Rosmer, opus cité, page 116
    Marc Ferro, La Grande Guerre 1914-1918, Gallimard-1990, pages 295-296
  •  (23)    Alfred Rosmer, opus cité, pages 61-63 et 114-116
  •  (24)    Ibidem, pages 127-131
  • (25)    Victor Bataille et Pierre Paul, Des mutineries à la victoire (1917-1918), Robert Laffont-1965, pages 101 à 220 Philippe Bernard, La fin d’un monde 1914-1929, Seuil-1975, page 66 Véronique Joubert, La décomposition de l’armée russe entre mars et octobre 1917, La Revue russe, n°49, Année 2017, pages 45-54
  •  (26)    Jean-Louis Robert, 1914-1920, De la guerre au congrès de Tours, in Claude Willard, La France ouvrière Tome 1 Des origines à 1920, Éditions de l’atelier-Éditions ouvrières-1995, pages 430-431
    Jean-Jacques Becker et Serge Bernstein, Victoire et Frustrations (1914-1929), Le Seuil – 1990.
  •  (27)    Jean-Yves Le Naour, 1917 La paix impossible, Perrin – 2015, pages 220 à 237
  •  (28)    André Kaspi, Les Américains, I Naissance et essor des Etats-Unis 1607-1945, Le Seuil-1986, pages 269-274
    Léon Trotsky, Histoire de la Révolution russe, Tome 2, Octobre, Le Seul-1950, pages 640 à 713
  •  (29)    Arlette et Christian Ambrosi, La France 1870-1986, Masson-1986, page 156-157
  •  (30)    Jean-Yves Le Naour, 1918, L’étrange victoire, Perrin-2016, pages 152-161
  •  (31)    Ibidem, pages 285-290 Pierre Broué, Révolutions en Allemagne (1917-1923), Editions de Minuit-1971, page 136
  • (32)    Jean-Yves Le Naour, 1918, L’étrange victoire, Perrin-2016, pages 297-301
  •  (33)    Pierre Broué, Révolutions en Allemagne (1917-1923), Editions de Minuit-1971, pages 145 à 151
  •  (34)    Jean-Yves Le Naour, 1918, L’étrange victoire, Perrin-2016, pages 359-361
    Jean-Claude Richez, Une révolution oubliée, Novembre 1918, la révolution des conseils ouvriers et de soldats en Alsace-Lorraine, Syllepse-2020
  •  (35)    Ibidem
  •  (36)    Jean-Claude Favez, La Suisse pendant la guerre, in Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, Bayard -2004, pages 872- 873
  •  (37)    Gerd Krumeich, Les armistices, in Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918 sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, Bayard -2004, page 991
  • (38)    Rapport Marin, Les pertes des nations belligérantes au cours de la Grande Guerre, in Les archives de la Grande Guerre, Tome VII, Chiron-1921. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5441824j/f44.item.r=archives+de+la+grande+guerre.langFR
    Préfecture de Haute-Savoie https://www.haute-savoie.gouv.fr/Actualites/Memoire/Armistice
    Jean-Marc Rohrbasser, Hécatombe, INED https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/21909/introduction.bouleversement.ouvrage.grande.guerre.fr.pdf
    Henri Gilles, Jean-Pascal Guironnet, Antoine Parent, Géographie économique des morts de 14-18 en France, in Varia, Revue économique, 2014. https://shs.cairn.info/revue-economique-2014-3-page-519?lang=fr
  •  (39)    Arlette et Christian Ambrosi, La France 1870-1986, Masson-1986, pages 164-165
    Dominique Lejeune, Bilan de la « Grande Guerre », Hal Open science. https://shs.hal.science/halshs-04085378v1/document
  •  (40)    Ibidem
  •  (41)    Alfred Rosmer, Le mouvement ouvrier pendant la guerre, De l’Union sacrée à Zimmerwald, Librairie du travail-1936, pages 7 à 9

Documents et autres ouvrages consultés :

Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), Rapport 2024 : https://acleddata.com/conflict-index/index-january-2024/

Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) Communiqué de presse du 2 décembre 2024.
https://www.sipri.org/sites/default/files/2024%20Arms%20Production%20PR%20FRE.pdf

UNICEF.  https://www.unicef.fr/article/israel-palestine-les-enfants-paient-le-prix-de-la-guerre/
 https://www.unicef.fr/article/gaza-plus-dun-million-denfants-gaza-prives-daide-vitale-depuis-plus-dun-mois/

Xabier Arrizabalo Montoro, Capitalisme et économie mondiale, Instituto Marxista de Economia, 2017

*  La déclaration de Jaurès à la Chambre des députés, le 7 mars 1895, diffère un peu de formule popularisée par les journalistes : « Messieurs, vous voulez la paix ; vous la voulez profondément. Toutes les classes dirigeantes de l’Europe, les gouvernements et les peuples la veulent aussi, visiblement avec une égale sincérité. Et pourtant, dans cet immense et commun amour de la paix, les budgets de la guerre s’enflent et montent partout d’année en année, et la guerre, maudite de tous, redoutée de tous, réprouvée de tous, peut, à tout moment, éclater sur tous. D’où vient cela ? […] C’est de la division profonde des classes et des intérêts dans chaque pays que sortent les conflits entre les nations. […] Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage» (1)

*  Au printemps 1916, la bataille de Verdun (21 février-18 décembre 1916) fait rage. Lénine en exil en Suisse depuis 1914, vient de s’installer à Zurich en février 1916. Il y rédige une brochure destinée à établir les causes profondes de la guerre mondiale en cours : « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Dans la préface aux éditions française et allemande, datée du 6 juillet 1920, il écrit : « Ce livre montre que la guerre de 1914-1918 a été de part et d’autre une guerre impérialiste (c’est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution des colonies, des « zones d’influence » du capital financier, etc. » (p.6). Dans le premier chapitre, Lénine rappelle : « Les faits montrent que les différences existant entre les pays capitalistes, par exemple, en matière de protectionnisme ou de libre-échange, ne déterminent que des variations insignifiantes dans la forme des monopoles ou dans la date de leur apparition, tandis que la naissance des monopoles, conséquence de la concentration de la production, est une loi générale et essentielle du stade actuel de l’évolution du capitalisme. Pour l’Europe, on peu établir avec assez de précision le moment où le nouveau capitalisme s’est définitivement substitué à l’ancien : c’est le début du XXe siècle. » (pp.21-22) Il précise le nouveau rôle des banques : « Au fur et à mesure que les banques se développent et se concentrent dans un petit nombre d’établissements, elles cessent d’être de modestes intermédiaires pour devenir de puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l’ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et des sources de matières premières d’un pays donné, ou de toute une série de pays. Cette transformation d’une masse d’intermédiaires modestes en une poignée de monopolistes constitue un des processus essentiels de la transformation du capitalisme en impérialisme capitaliste. » (pp.35-36). « Le capital financier, concentré entre quelques mains et exerçant un monopole de fait, prélève des bénéfices énormes et toujours croissants sur la constitution des firmes, les émissions de valeurs, les emprunts d’État, etc., affermissant la domination des oligarchies financières et frappant la société toute entière d’un tribut au profit des monopolistes» (p.67).   V. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Éditions du Progrès- 1967

  *   Rosa Luxembourg, écrit en 1915, de la prison royale de Prusse pour femmes de la Barnimstrasse à Berlin : « Mais l’incident de Sarajevo n’avait fait que fournir le prétexte. Pour ce qui est des causes et des oppositions, tout était déjà mûr pour la guerre depuis longtemps, la configuration que nous connaissons aujourd’hui était déjà prête depuis dix ans» (pp. 87-88) ; « C’est ainsi que la guerre mondiale actuelle était dans l’air depuis huit ans. Si, à chaque fois, elle fut différée, c’est uniquement parce que l’une des parties impliquées n’avait pas encore terminé ses préparatifs militaires. » (pp.88-89). Rosa Luxembourg, La crise de la social-démocratie, Brochure de Junius, Les amis de Spartacus-1993. Le 30 septembre 1918, Rosa Luxembourg prononce un discours lors du 1er congrès du Parti communiste allemand (KPD) ; Elle déclare : « Le 4 août n’est pas tombé du ciel, il n’est pas un tournant brusque mais la suite logique de ce que nous avons vécu jour par jour pendant les années précédentes […] Le marxisme officiel servit de couverture à toutes les déviations et à tous les abandons de la véritable lutte de classes révolutionnaire, à toutes cette politique de demi opposition qui condamnait la social-démocratie allemande, et le mouvement ouvrier en général, y compris le mouvement syndical, à s’emprisonner volontairement dans le cadre et sur le terrain de la société capitaliste, sans volonté sérieuse de l’ébranler et de le faire sortir de ses gonds […] » Extrait du discours sur le programme de la Ligue Spartacus, in André et Dori Prudhommeaux, Spartacus et la Commune de Berlin, Paris, Spartacus, 1992. Cité par Ernest Everhard
Le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés par les Corps francs sur ordre du ministre SPD Gustav Noske [1868-1946].

*  Raoul Villain, l’assassin de Jaurès a été acquitté le 29 mars1919. La veuve de Jean Jaurès a été condamnée à payer les frais de justice. Anatole France [1844-1924] écrit dans L’Humanité du 4 avril : « Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez » Le 6 avril 1919, 300 000 manifestants défilent dans Paris en hommage à Jean Jaurès. Après une vie d’errance, Villain s’installe à Ibiza (Balèares) sous un nom d’emprunt. Il est exécuté par les anarchistes le 13 septembre 1936.

*  Alphonse Merrheim [1871-1925], secrétaire de la Fédération des Métaux, longtemps opposé à l’Union sacrée et délégué à la Conférence de Zimmerwald en septembre 1915, avait progressivement révisé son point de vue initial au cours de l’année 1917. Il expliquera lors du XIIIe Congrès de la CGT, réuni à Paris du 15 au 18 juillet 1918, alors que la 2e bataille de la Marne fait rage et que l’armée allemande est à 70 km de Paris, « Si nous avions voulu à ce moment, nous opposer à la guerre, dès juillet 1914, nous aurions été balayés par la folie nationaliste qui s’était déchaînée dans le pays ».

 *  Jean Monnet [1888-1979] qu’on ne peut soupçonner de sympathie bolchevique relate dans ses mémoires son entrevue avec Viviani en 1914 : « Dans la situation actuelle, quelle que soit la bonne volonté des services, il y a des gaspillages et des doubles emplois absurdes. » Viviani m’interrompit :
en avez-vous des exemples ?
Les flottes de commerce ne sont pas réquisitionnées. Il y a des raisons à cela. Mais est-il nécessaire qu’elles se fassent concurrence, qu’elles n’aient pas les mêmes tarifs et que l’affrètement ne soit pas coordonné pour satisfaire au moins les priorités ? Vous êtes préoccupé aujourd’hui par la hausse des prix de l’avoine. En fait, ce n’est pas l’avoine qui vient de monter, c’est le fret. » in Jean Monnet, Mémoires, Fayard-1976, Livre de Poche, pages 64-65

*   Les « midinettes » (mot inventé en 1890 par un journaliste) étaient de jeunes couturières de la haute couture parisienne. Elles avaient été affublées de ce surnom parce qu’elles amenaient leur déjeuner de chez elles et pique-niquaient dans des jardins publics, notamment aux Tuileries, pendant leur pause de midi. (D’après Anne Dujin, le Monde.fr (17/08/2014)
Définition conforme à celle de l’Académie française 1986). L’Humanité rend compte, jour après jour des péripéties de la grève des midinettes, parfois avec une nuance poétique… Le numéro du 20 février 1917 s’extasie et s’amuse : « Sur les grands boulevards, un long cortège s’avance, ce sont les midinettes parisiennes, aux corsages fleuris de lilas et de muguet ».

* 107 ans plus tard, des milliers d’obus et autres munitions non explosées et très dangereuses sont encore fréquemment mis au jour, par hasard, chaque année, lors des labours ou de travaux. Selon la Sécurité civile, ils le seront encore durant 700 ans environ au rythme actuel de déminage. Le secteur de Verdun a reçu plus de 60 millions d’obus en 1916 dont 15 millions n’ont pas explosé…Une immense source de pollution différée a été constituée par l’immersion dans des lacs – lac de Gérardmer (Vosges) ; lac d’Avrillé (Deux-Sèvres), lacs suisses… ; et par la décharge en mer de dizaines de milliers de tonnes de munitions. Outre les épaves de navires de guerre en contenant, plus de 100 zones d’immersion ont été recensées sur l’ensemble du littoral français. Elles sont parfois à quelques centaines de mètres, à peine, de plages fréquentées… La Convention d’Oslo et de Paris pour la protection du milieu marin de l’Atlantique Nord-Est (OSPAR), ajoute 148 décharges, principalement près des littoraux de la mer du Nord et de la Baltique. La corrosion libère des métaux lourds et des composés toxiques. Il y a risques d’explosion ou de libération de gaz de combat. Le rejet en mer, y compris d’armes chimiques, a été courant après 1945. A ce jour, aucune cartographie officielle et exhaustive n’existe. 

 

 

 

 

 

 

 

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