Lorsque l’on constate à quel point la mise en avant du respect des normes permet à la puissance publique et aux entreprises de promouvoir de nombreux projets passablement inquiétants en matière d’environnement et de santé publique [en particulier, près de Narbonne, le projet THOR de destruction par combustion des déchets nitratés de l’usine d’enrichissement d’uranium de Malvési], on est fondé à se poser au moins trois questions.
La première question porte sur la sincérité de l’affirmation selon laquelle les normes sanitaires et environnementales sont respectées : sincérité de l’exploitant qui soumet son projet aux pouvoirs publics, mais aussi, et peut-être surtout, sincérité des pouvoirs publics eux-mêmes, souvent tentés de fermer les yeux sur des risques majeurs, pour des raisons dites “politiques”. Ou quand le pouvoir se fait juge et partie.
La deuxième question est celle de la pertinence à terme de cette affirmation : en effet, si un projet respecte les normes “sur le papier”, qu’en sera-t-il lorsque ce projet sera en exploitation ? Un contrôle sera-t-il effectué pour en vérifier l’innocuité pour l’environnement et la santé publique ? Quelle sera la sincérité de la restitution des ces contrôles auprès du public ? Des procédures seront-elles mises en place pour suspendre ou arrêter définitivement une exploitation qui s’avèrerait dangereuse ? Etc.
La dernière question, que l’on se pose peut-être moins, est celle de l’adéquation de ces normes, définies par la puissance publique au travers du législateur, à la réalité du terrain. Sur ce point, il est hautement probable que la majorité des citoyens que nous sommes, n’est pas en mesure de seulement questionner cette pertinence. Et c’est la raison pour laquelle il est tellement facile aux autorités de se retrancher derrière l’affirmation d’une conformité aux normes pour éteindre toute contestation.
C’est aussi la raison pour laquelle il nous a semblé important de demander au Dr Mariette Gerber (1) de bien vouloir nous éclairer à la fois sur la nature et les impacts des polluants, mais aussi sur la difficulté à analyser précisément ces impacts, en particulier lorsque les effets des polluants se combinent entre eux. A cet égard, il suffit d’imaginer un endroit où plusieurs installations seraient successivement implantées, chacune respectant rigoureusement les normes. Aura-t-on seulement prévu d’analyser les effets de la combinaison des effluents de ces installations sur la santé publique et sur l’environnement. Quand cet endroit constitue un bassin d’emploi de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’emplois, quelles questions les pouvoirs publics vont-ils d’abord se poser ?
L’article du Dr Gerber nous rappelle utilement que, plutôt que de se rassurer avec des normes affirmées comme respectées, il conviendrait de donner la priorité aux alertes émises par des scientifiques impartiaux, qui travaillent régulièrement sur ces questions et savent mettre en avant une notion qui semble échapper de plus en plus aux pouvoirs, qu’ils soient d’argent ou d’élection: le doute.
La rédaction du Clairon de l’Atax
Les polluants et leur impact sanitaire
Infographie supprimée suite au harcèlement d’une officine suisse
Polluants chimiques et radiations ionisantes : deux grandes familles de polluants qui menacent notre santé
Dans l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous consommons, se trouvent des substances étrangères à notre organisme. Certaines sont des molécules toxiques, les polluants chimiques, d’autres des atomes capables de se désintégrer en produisant de l’énergie, les radiations ionisantes.
La plupart des molécules chimiques sont éliminées par des mécanismes au niveau du foie, dans la circulation sanguine, puis éliminées dans les selles ou l’urine, sans dommage évident pour l’organisme. On dit qu’elles sont « toxiques » quand elles détruisent les cellules ou altèrent leur fonction par leurs propriété chimiques : ce peut-être des effets aigus à court terme (irritation de la peau, des yeux, des bronches, etc.), ou à moyen terme (handicap mental, causé par des “métaux lourds” tels que le plomb ou le mercure, ou les maladies respiratoires causées par la pollution atmosphérique, liées aux dioxydes d’azote, aux particules fines et à l’ozone). A plus long terme, après un temps de latence, les constituants de la pollution atmosphérique provoquent des cancers ; ils sont dits «cancérigènes». Autre exemple, le benzène, qui induit une modification génétique des globules blancs du sang entraînant une prolifération cellulaire : ce sont les leucémies. Parfois la mutation génétique porte plutôt sur la fonction d’un organe ou son développement ; on dit alors que le polluant est « mutagène ». Ou bien il s’attaque spécifiquement à l’appareil reproductif, c’est le cas des perturbateurs endocriniens, dits «reprotoxiques», entraînant des malformations des organes sexuels. Ces perturbateurs endocriniens (dioxines, PCB, phtalates..) peuvent être cancérigènes ou reprotoxiques selon l’âge ou l’état physiologique de l’individu. On les trouve dans de nombreux plastiques, des pesticides, et dans les effluents de combustion.
Pour les radiations ionisantes, l’intensité de l’énergie délivrée aux cellules est un facteur important de l’impact sanitaire : les éléments radioactifs induiront la mort cellulaire, quand l’énergie atteignant l’organisme est très élevée, ou une mutation génétique susceptible d’induire un cancer, quand elle est plus faible. L’intensité de l’énergie délivrée dépend de la richesse de la source en atomes radioactifs. Les radiations ionisantes sont cancérigènes mais peuvent aussi induire des lésions du système cardio-vasculaire. L’impact sanitaire de l’uranium qui émet des radiations ionisantes est aussi dû à sa toxicité chimique pour le rein et le cerveau.
On considère généralement qu’il existe un « seuil de dose » nécessaire pour observer des effets aigus des toxiques chimiques ou des effets immédiats de la radioactivité, mort (pour des doses supérieures à 50 Gray (2), brûlures généralisées, aplasie médullaire (3) (20 à 30 Gy) observés quand les radiations ionisantes produisent une énergie très élevée (exposition d’une population à l’explosion d’une bombe nucléaire ou des liquidateurs lors d’un accident de réacteur).
Pour les effets cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), d’autres facteurs que la quantité émise doivent être considérés pour évaluer la dose d’un polluant, chimique ou radioactif, susceptible d’entraîner un effet sanitaire : durée de l’exposition, état physiologique de l’individu (son âge notamment), cible dans l’organisme et type de rayonnement (pour les radiations ionisantes). De plus, on a de bonnes raisons de penser que la présence éventuelle de plusieurs polluants entraînera une augmentation de risque sanitaire, appelé “effet cocktail”.
Les effets des pollutions sur notre organisme :
Pour beaucoup de toxiques chimiques comme le benzène, la relation dose-effet est une droite, ce qui veut dire que plus la quantité de polluant chimique est importante plus on comptera d’effets santé dans la population exposée, mais surtout que, dès la première molécule, il y a un risque, même s’il est très faible (il atteindra de l’ordre d’1 personne sur 1 million, donc non identifiable). Et plus l’exposition durera, plus le risque cancérigène augmentera.
Pour les perturbateurs endocriniens, il en va différemment: la relation dose-effet est en U renversé, ce qui veut dire que les doses intermédiaires sont celles qui sont les plus à risque. Ainsi, parmi les femmes vivant autour de Seveso, lors du grave accident lié à une libération accidentelle de dioxine, celles chez qui l’on a observé le plus de cancers du sein n’étaient pas celles ayant un taux de dioxine dans le sang le plus élevé, mais celles qui avaient un taux moyen. Pour les effets reprotoxiques, les conditions d’exposition sont encore plus contraignantes : c’est le moment de l’exposition qui est le plus important : le fœtus (donc les femmes enceintes), les enfants en bas-âge et les adolescents sont le plus sensibles. Il est donc très difficile de proposer une norme, il faut tendre vers 0.
Pour les radiations ionisantes, la relation dose-effet est aussi une droite : plus l’intensité de l’énergie des radiations ionisantes est importante, plus on comptera d’effets santé dans la population exposée, d’où la nécessité de prendre en compte les faibles doses. Comme pour le benzène, la durée de l’exposition est un facteur de gravité, la dose absorbée par l’organise augmente avec le temps. Tout cela a été bien démontré dans une grande étude internationale sur les travailleurs du nucléaire, l’étude INWORKS (2015).
Infographie supprimée suite au harcèlement d’une officine suisse
Mais il y a encore deux facteurs à considérer : l’un est le type de rayonnement considéré, l’autre l’organe cible. En effet certains radionucléides (4) émettent un rayonnement dit α (“alpha”), très peu pénétrant : il dépose toute son énergie sur les premières cellules qu’il rencontre, induisant des dommages importants aux cellules atteintes que l’on dit contaminées : le poumon si le radionucléide est inhalé. Si le radionucléide est absorbé à partir d’aliments contaminés, le tube digestif peut être atteint, mais plus souvent, le radionucléide passe dans la circulation et atteint un organe cible (par exemple le plutonium va atteindre les os). Dans le cas de contamination, comparé à une irradiation externe avec des rayons γ (“gamma”) très pénétrants, la dose reçue est multipliée par un facteur de pondération élevé lorsque l’on évalue la dose reçue effectivement par l’organisme. Les organes de notre corps ont des sensibilités différentes aux radiations ionisantes, donc on va leur adjoindre un coefficient pour évaluer la dose à laquelle ils sont exposés : la moelle osseuse, le poumon, le sein sont parmi les organes les plus sensibles.
Ainsi, lorsque l’on évalue la dose à laquelle a pu être exposée une personne, on doit prendre tous ces facteurs en considération. La dose est alors mesurée en Sievert. On peut utiliser le Gy (dose absorbée simple, sans coefficients de pondération) quand il d’agit des rayons γ dont la cible est essentiellement la moelle osseuse.
On comprend que dans un tel contexte il soit particulièrement difficile d’établir des normes !
L’effet cocktail ? Un facteur méconnu …
Il existe encore un facteur à prendre en compte, qui est scientifiquement moins bien connu, mais recherché activement actuellement, aussi bien pour les toxiques chimiques que pour les radiations ionisantes.
La recherche est plus avancée pour les toxiques chimiques, notamment pour les perturbateurs endocriniens : un chercheur de l’Institut du Cancer de Montpellier, Patrick Balaguer, a montré qu’il fallait la fixation de deux molécules différentes pour stimuler anormalement un récepteur endocrinien, pouvant ainsi induire un effet reprotoxique ou cancérigène.
Les recherches sont en cours pour les radionucléides. Des chercheurs à l’IRSN ont montré que l’on pouvait observer des altérations très faibles du génome avec de faibles expositions, sans autres signes de mutation ou de prolifération. Il faut rechercher si un autre facteur est capable de les faire évoluer vers un effet cancérigène. On sait par exemple que, chez les adolescentes en période de puberté à Hiroshima et Nagasaki, l’incidence des cancers du sein était plus élevée pour une même exposition que celle des femmes adultes. On peut penser que chez ces jeunes filles l’augmentation de la synthèse d’œstrogène liée à la puberté a favorisé la prolifération de cellules faiblement modifiées par la radioactivité, d’où l’apparition d’un risque augmenté de cancers du sein.
Tous ces exemples illustrent la complexité de l’étude et de l’analyse de l’impact sanitaire des polluants liés à l’industrie chimique et nucléaire. A cette difficulté s’ajoute celle de la mesure spécifique de chacun des polluants : par exemple quand on mesure en bloc les COV dans des effluents qui contiennent à la fois des polluants répondant à une relation dose-effet linéaire et d’autres répondant à une relation dose-effet en U renversé, comme cela est indiqué dans l’arrêté préfectoral autorisant l’exploitation du procédé THOR à Malvesi, on comprend que les résultats d’une telle analyse n’ont aucun sens pour évaluer un impact sanitaire. Donner une autorisation d’exploiter avec de telles lacunes est une erreur significative au regard de la santé publique.
Mariette Gerber M.D., Ph.D., pour le Clairon de l’Atax le 09/04/2019
Notes :
- médecin épidémiologiste, experte à l’ANSES et ancien chercheur à l’Institut du Cancer de Montpellier⇗
- le gray (symbole Gy) est l’unité dérivée de dose absorbée du Système International d’unités⇗
- maladie du sang caractérisée par la raréfaction de la moëlle osseuse, entraînant une diminution de la production des cellules sanguines (globules rouges et blancs, plaquettes) – source Vulgaris Médical⇗
- un radionucléide est un atome radioactif pouvant muter, se transformer en un autre atome⇗