A Bruxelles : Mercredi 11 décembre 2019 la nouvelle présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté son « Pacte vert » dans lequel il est prévu d’atteindre la “neutralité carbone” en 2050.(1) Pour ce faire et ainsi lutter contre le changement climatique, il s’agit de définir une liste appelée « bouquet énergétique » qui sélectionnerait les énergies renouvelables à émissions de CO2 nulles ou faibles permettant d’atteindre cet objectif.
A son arrivée à Bruxelles le 12 décembre 2019, le président français E. Macron déclarait : « Chacun doit pouvoir bâtir sa transition à sa main […] Ce sont des solutions qui sont nationales et le nucléaire peut faire partie du bouquet énergétique des pays, […] Le GIEC l’a reconnu : le nucléaire fait partie de la transition… ». Le GIEC dont la compétence, l’expertise et l’objectivité sont universellement reconnues était utilisé par E Macron pour donner plus de poids à son affirmation, alors que d’autres dirigeants européens comme le Luxembourg, l’Autriche ou l’Allemagne, ne veulent pas du nucléaire dans ce « bouquet » vertueux.
En France “dans le même temps“ : l’industriel du nucléaire ORANO (ex AREVA) développait dans les médias une campagne de communication au prétexte de rectifier les “idées reçues” des Français sur le nucléaire. L’argument premier de cette campagne est de s’appuyer sur les déclarations du GIEC pour convaincre l’opinion publique que le nucléaire est une énergie « bas carbone »
(Captures d’écran dossier ORANO « les idées reçues »)
Que dit le GIEC ? La phrase exacte est “L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique“. Elle figure dans son rapport 2018 sur les conséquences d’un réchauffement climatique de 1,5°.
Mais dans un rapport précédent, paru en 2014, le GIEC mentionne un certain nombre de risques et d’obstacles au développement du nucléaire à savoir : des risques opérationnels, miniers, financiers, la question non résolue de la gestion des déchets, mais aussi “l’acceptabilité“ du nucléaire par l’opinion.
La communication d’E. Macron et d’ORANO utilise ainsi la vieille ficelle qui consiste à fabriquer une « preuve » en isolant un argument du contexte général dans lequel il est produit. L’idée, pour faire la promotion du nucléaire auprès de l’opinion, c’est d’utiliser l’argument de la faible émission de CO2 en paravent pour masquer tout le reste. C’est l’arbre qui cache la forêt et la forêt ce sont tous les risques et problèmes évoqués par le GIEC, plus ou moins connus de l’opinion publique (2)
Cette campagne de communication arrive à un moment où l’opinion est de plus en plus sensibilisée aux problèmes posés par l’industrie nucléaire, alors que l’état Macron, (3), envisage au contraire d’en poursuivre le développement en construisant de nouveaux EPR.
De plus l’argument du nucléaire comme émetteur faible de CO2 reste à relativiser si l’on considère l’ensemble des GES produits tout au long de la filière, depuis le traitement du minerai d’uranium jusqu’au stockage des déchets.
Ainsi, en amont de la filière nucléaire, l’exemple de l’usine ORANO / Malvési, située dans l’Aude à moins de 3 km du centre de la ville de Narbonne est édifiant. Cette usine transforme le minerai concentré d’uranium, appelé “yellow cake”, en tetrafluorure d’uranium (UF4) ce qui constitue la première étape dans la fabrication du combustible nucléaire. (4)
Les émissions de CO2 et d’autres GES de l’usine Orano / Malvési (5)
L’usine Orano Malvési est réputée traiter entre 1/4 et 1/5 du minerai d’uranium mondial. Après plus de 50 années de fonctionnement cette usine a accumulé près de 500.000 m3 d’effluents nitratés et de boues résiduelles contenant entre autres de l’uranium naturel. Une partie de ces déchets devrait être réduite par un procédé thermique appelé TDN. Les sources d’énergie nécessaires au fonctionnement de l’usine sont le charbon, le fioul (remplacé actuellement par le gaz naturel) et l’électricité. Emissions de CO² avant TDN En 2005 la Comurhex, ancêtre d’ORANO / Malvési, rejette 634.000 tonnes de CO2/ an (cette production annuelle peut être considérée comme valable pour une quarantaine d’années précédentes de production d’uranium soit un total de 25.360.000 tonnes d’équivalent CO2) En 2015 AREVA Malvési rejette encore 188.661 tonnes de CO2/ an, suite à une amélioration des techniques de traitement (chaudières, …), mais aussi en raison d’une baisse de la demande nationale et internationale… Emissions de CO2 supplémentaires suite à mise en route du procédé TDN Rappelons que ce procédé consommera, selon l’expertise faite par l’association RUBRESUS, 5700 tonnes de charbon / an, ainsi qu’une quantité non négligeable de gaz naturel (2 000 t/an). Seront ainsi produites 29.180 tonnes supplémentaires de CO2/ an (mais le procédé dégage aussi de l’oxyde nitreux ou protoxyde d’azote N2O, gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO² !) On voit que sur une période de près de 60 ans le site de Malvési et son environnement ont accumulé une production importante de GES et particulièrement de ce CO2 dont l’industrie nucléaire française serait particulièrement économe selon la communication d’ORANO et du gouvernement. Mais l’arbre CO2 cache aussi une autre forêt celle des autres gaz rejetés par le procédé TDN. Selon RUBRESUS et de nombreux experts les gaz rejetés seraient chargés, à des teneurs variées en oxydes d’azote, protoxyde d’azote, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, Composés Organiques Volatils (COV dont phtalate DHEP), acide chlorhydrique, acide fluorhydrique, ammoniac, métaux lourds, mercure, uranium et radioéléments et particules diverses… Pour connaître le total des GES (dont le CO2) produits par la filière nucléaire, il faudrait examiner ce qui se dégage lors de la construction et du fonctionnent des centrales, ce qui est émis lors du transport des matières premières et des déchets, ce qui est émis lors de la démolition des centrales arrêtées, ce qui est produit par les activités de stockage des déchets. Mais comment obtenir un bilan carbone consolidé lorsqu’on ne maîtrise pas les délais de fabrication des réacteurs ou qu’on ne sait pas comment et quand se termine la dernière phase de la filière : le traitement définitif des déchets à haute activité et vie longue (HAVL) ? (6) Faut-il désormais s’habituer à des campagnes de communication qui relèvent de la malhonnêteté intellectuelle ? En quel mépris tient-on le peuple pour le traiter ainsi ? Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 20/12/2019 * Merci à André Bories pour ses informations et conseils
Notes :
- NDLR : cette notion de “neutralité carbone” dans les médias, colloques et négociations sur le changement climatique sans que soit toujours bien défini ce qu’elle recouvre. La définition qui semble la plus claire est celle de l’Iddri (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales IDDRI) définit comme ”point d’équilibre, à un instant donné, entre les émissions inévitables de gaz à effet de serre provenant principalement de secteurs comme l’agriculture et l’industrie lourde et la quantité de carbone que peuvent capter soit les puits de carbone naturels (forêts, sols, océans), contraints par des limites biophysiques, soit, dans un avenir encore hypothétique, des technologies de capture et stockage de carbone. ”⇗
- les problèmes de sûreté liés aux rayonnements ionisants, les problèmes de sécurité liés à la faible protection des installations, les dysfonctionnements et malfaçons dans la chaine de production, les problèmes d’entretien des réacteurs, de stockage des déchets, les dérapages financiers, etc.⇗
- poussé par l’électricien nucléaire EDF et divers lobbies⇗
- Pour plus d’informations consulter le dossier du « Clairon » sur Orano/Areva/ Malvési : https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/pages-visibles/dossiers/dossier-malvesi-areva/ ⇗
- sources : dossier ORANO / enquête publique pour création d’une installation de traitement thermique (TDN) des déchets nitratés⇗
- Pour plus d’informations consulter le dossier du « Clairon » https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/pages-visibles/dossiers/nucleaire-desastre-annonce/ ⇗