élite de jadis image Macklay Pixabay.
Des élites et des autres
Le mandat du président Macron s’achève et avec lui, 2 mois plus tard, celui de sa majorité en grande partie « hors sol », constituée d’élus sans antécédents électoraux, projetés en 2017 au Parlement sous l’effet dynamique créé par le court délai entre la présidentielle et les législatives qui lui succèdent. Avec E. Macron, lui-même « hors sol », s’est ainsi constituée une majorité parlementaire qui lui devait son élection. A l’image du président de la République, des technocrates ont investi le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Dès lors une distance s’est crée et perpétuée entre ce groupe et le reste de la société. Distance manifestée verbalement et périodiquement par des « bons mots » du Président (par ex. ; Kwassa kwassa, gens qui ne sont rien, etc.), ou de ses affidés (par ex ; S. Guérini, délégué général LREM expliquant que la politique du gouvernement était trop subtile pour être comprise des Français). Distance aussi par le peu de cas fait des représentants de la société civile,des élus locaux ou des citoyens de base, malgré des simulacres de consultation et de débat public (1).
Alors que se multipliaient les réactions à la politique menée par les macronistes et leurs alliés, cette distance créée avec les Français s’est exprimée, tant dans les médias que dans les conversations particulières, par une recrudescence de l’emploi du mot « élite », qualifiant ainsi nos gouvernants d’une façon plus ou moins laudative ou péjorative.
Or le mot « élite » a 2 sens : d’une part il désigne des gens disposant de qualités remarquables qui les distinguent du reste de la société ; d’autre part il désigne la minorité qui exerce le pouvoir. L’acceptation des élites comme détentrices du pouvoir était traditionnellement justifiée par la reconnaissance de leurs qualités remarquables, « hors du commun », mais dans le climat politique actuel ce mot tend à prendre une connotation négative.
Le discrédit des élites
Il augmente chez le public et la corrélation entre les 2 sens du mot « élite » ne fonctionne plus ou si peu. Les politiques menées sous les différentes mandatures présidentielles, tous bords confondus, sont perçues comme génératrices d’inégalités sociales toujours croissantes, au profit d’une petite caste de riches, alors que la France perd progressivement son rang dans le club des nations prééminentes. L’espérance de changement fabriquée lors de la candidature Macron a fait long feu. Les jeunes technocrates disruptifs, censés apporter enfin le changement et le bien être, n’ont pas fait mieux que les vieux briscards de la politique qui les ont précédés.
Mais pouvaient-elles faire mieux, pouvaient-elles apporter le changement promis et espéré, ces « élites » sorties de ce qu’on nomme grandes écoles ou écoles supérieures de ceci et de cela, qui restent malgré quelques timides réformes, des lieux de transmissions de savoirs et de pratiques, c’est-à-dire le contraire d’un enseignement articulant une démarche ouverte de connaissance, telle que l’ l’Université le proposait et le propose encore en dépit des assauts des politiques néolibérales qui visent à la domestiquer.
Est-il besoin de préciser que l’étudiant issu de l’Université disposera de meilleures capacités d’adaptation au changement, puisque le changement est intrinsèque à toute démarche de connaissance. Mais l’élève sortant de ces écoles aux diplômes labellisés « prestigieux », qui enseignent et valorisent la conformité à des modèles dominants et reproduisent des savoir-faire, aura plus de chances de peiner et de « bricoler » lorsqu’engagé dans une activité professionnelle ou politique, il sera confronté à un changement bouleversant ses habitudes. Les péripéties du nucléaire français illustrent dramatiquement ce propos.
Le bricolage, ça tient ou ça ne tient pas, mais peu importe on continue : les réacteurs qui foirent ou les centaines de milliers de moteurs qui cassent, les médicaments toxiques : tant pis pour ceux qui n’ont plus d’auto ou d’électricité, ou dont la maladie s’aggrave. On ne les dédommage même plus, ou alors si difficilement. Tout ça c’est juste de l’économie réelle, celle des activités humaines qui font tourner la maison et la Cité : tant que la consommation va, la croissance ça va !… Mais ce qui stimule et fait agir les élites qui nous gouvernent, en parfaite continuité avec leurs prédécesseurs, c’est la finance globalisée, cette ennemie féroce du sieur Hollande (2) : il s’agit de pomper le plus de fric possible dans l’économie réelle et de le démultiplier grâce aux contorsions imaginaires de la spéculation boursière. Ce savoir faire est acquis ; il a été enseigné à nos futures élites comme étant la norme, sans alternative possible.
Mais où est la raison dans ce système ? La valeur boursière de l’entreprise de véhicules électriques TESLA a progressé de + 952 % en 1 an, entre janvier 2020 et janvier 2021, pour une capitalisation à 714 milliards de dollars. Dans ce laps de temps Tesla a vendu 500.000 véhicules. Le groupe Renault a vendu, au seul 1er trimestre 2021, 665.038 véhicules, mais n’est capitalisé qu’à hauteur de 14 milliards de dollars ! (3) Qui l’emporte : le réel ou l’imaginaire ?
Bien entendu nos gouvernants nouveaux, tout en proclamant leur volonté d’un changement dynamique et disruptif, disposent avant tout des schémas mentaux et des savoir-faire propices au système économique en vigueur. Celui-ci, aligné sur la spéculation boursière ne peut de ce fait que fonctionner sur le court terme ; à cela s’ajoute le manque d’imagination et d’audace réellement innovante de nos « élites » qui n’ont pas été formées pour cela. Ainsi les situations de crise provoquent le bricolage, les décisions contradictoires et révèlent le manque de vision de notre exécutif national. Comment expliquer autrement les errements de la politique de santé en pleine pandémie ? Comment expliquer autrement la dégradation de la filière nucléaire et l’incohérence de la gestion d’EDF, mise en grande difficulté par son principal actionnaire l’État, alors que le président Macron annonce comme un mantra une relance du nucléaire, sans avoir défini de feuille de route claire et précise ? Bricolage pré-électoral ?
Notre système politique actuel, semble désormais voué à une reproduction sans fin des mêmes errements. Pourtant le changement de ce système ne fait pas actuellement le « buzz » dans la campagne des présidentielles, même si certaines candidatures en font un projet plus ou moins structuré. Aurait-on peur d’une redistribution du pouvoir politique ?
Mais comment sortir autrement de l’ornière où nous sommes enlisés, sans le secours d’une nouvelle dynamique politique ressuscitée par la répartition d’un pouvoir déconcentré et décentralisé, propice au débat, à l’imagination créatrice, à la construction d’une vision à long terme de l’avenir de notre pays, où le savant et le politique ne se mêlent pas dans une confusion illusoire.
Une réorganisation fondamentale des institutions de la République s’impose.
Alors faut il voter et reconduire tous ces gens si peu avertis qui nous gouvernent actuellement et n’ont, malgré leurs incantations au changement, pour ambition que le maintien de l’ordre établi et la reproduction du même ?
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 21/01/2021
- par ex. : entretien avec C. Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public : https://youtu.be/zCfvt1JCNFQ?t=49
- En 2018 avant la crise du Covid, le poids de la finance mondiale (ensemble des crédits, encours d’obligations, capitalisation boursière, monnaie) représentait 450% du PIB mondial (source Datastream Natixis) et avec cette crise actuelle cette monstrueuse distorsion entre économie réelle et économie financière a encore fortement progressé.
- Source : Pour l’ÉCO avril 2021