Libéralisme : un mot employé actuellement à toutes les sauces

Cessons de mettre en cause le libéralisme à mauvais escient. Nous faisons le lit des démagogues extrémistes. Débattons plutôt sur le vrai sujet : Le Capitalisme financier.

réfugiés / solidarité ? (image Peggy Marco de Pixabay)

Pour ceux qui ont vécu ailleurs, l’usage du mot « libéral » en France est une incessante source d’étonnement. Le mot libéral s’oppose au mot autoritaire. Le libéralisme est le cadre qui nous protège des abus de pouvoir et des spoliations. Les systèmes politiques d’Europe occidentale et de plusieurs autres parties du monde sont volontiers qualifiés de démocraties libérales. Si le terme démocratie est sémantiquement incorrect, puisque la volonté générale est réduite à celle de représentants élus, le terme libéral touche à l’essence de nos sociétés. La liberté individuelle est un pilier de notre manière de vivre ensemble. Chacun peut mener sa vie comme il l’entend et toute atteinte à ce principe doit être proportionnée et strictement nécessaire à l’intérêt général. Tel est l’héritage toujours vivant des philosophes des Lumières. Et depuis, ce legs ne cesse d’être un moteur puissant de progrès face aux forces conservatrices ainsi qu’un bouclier face aux régressions autoritaires.

Pourtant, en France, le mot libéral a perdu son sens émancipateur.

Il est souvent associé à un capitalisme débridé, où le plus faible est insuffisamment protégé du plus fort. Il s’agit d’une confusion terminologique qui nuit au débat. Comme toute grande école de pensée, le libéralisme est pluriel. Et son acception, se décline, même en politique économique, en plusieurs courants parfois opposés. L’idée fondatrice est que l’initiative individuelle apportera des réponses plus agiles et efficaces qu’une structure pesante où les privilèges côtoient l’arbitraire. L’action économique de l’État doit donc se limiter à ce que nécessite l’intérêt général et être encadrée. Cette base est devenue la colonne vertébrale de nos systèmes économiques. L’école classique, longtemps dominante, théorise qu’un marché où l’État n’intervient pas ou peu s’autorégulera de manière dynamique, laissant libre cours aux entreprises capitalistes. La crise de 1929 lui apportera une réfutation fracassante. Cette théorie marginalisée ne subsiste qu’à l’état résiduel dans sa variante libertarienne, venue des États-Unis. Elle suppose que l’État n’intervienne ni dans les rapports économiques, ni dans les rapports sociaux. Cette vision est qualifiée par ses détracteurs d’ultralibéralisme et est accusée, non sans fondement, de faire le jeu des puissants. Aucun dirigeant européen ne se revendique aujourd’hui de cette doctrine. Mais ses contempteurs la voient poindre dans certains excès de la finance ou du commerce international. Mais le libéralisme, dans son sens premier, ne se limite pas à cette caricature.

A l’occasion d’une élection présidentielle française, il est aisé de constater que le libéralisme constitue l’armature de la pensée économique de tous les grands courants politique. Ceci inclut ceux qui le conspuent. La France Insoumise, par exemple, propose une approche économique fondée sur la relance keynésienne. Si cette doctrine s’oppose au « laissez-faire » dominant à l’époque de son élaboration, elle s’inscrit dans la filiation du nouveau libéralisme de John Stuart Mill. L’intervention de l’État dans l’économie, pour domestiquer les excès du capitalisme et du marché est considérée nécessaire à l’intérêt général par ce courant et ses successeurs. Aujourd’hui, le débat économique de fond porte sur ce qu’est un excès du capitalisme et du marché et sur ce qu’est l’intérêt général. Embrasser une proposition économique libérale tout en s’en défendant est source de confusion et est une cause probable de la mauvaise santé de la gauche française. Seules quelques propositions, anecdotiques, d’économie planifiée sortent du cadre économique libéral. Car le cadre économique libéral ne se limite pas aux entreprises à but lucratif et à leurs excès, loin s’en faut. Il englobe également tout l’univers de l’économie sociale et solidaire et est la source des mutuelles, des coopératives ou du monde associatif. Nous devons, par exemple, la loi de 1901 sur la liberté d’association à Pierre Waldeck-Rousseau, un libéral. Le problème est que ce glissement sémantique mène certains à ressentir une fausse proximité avec des régimes dont l’antilibéralisme économique n’est qu’une facette d’un autoritarisme généralisé.

Ce glissement vient de la confusion entre le cadre libéral et les politiques menées par les partis se qualifiant de libéraux. Nous baignons dans le cadre libéral. L’État de droit, les libertés publiques, les contre-pouvoirs, le libre consentement aux contrats ou la protection de la propriété sont profondément ancrées dans nos cultures et nos usages. Les partis libéraux, héritiers du « Laissez-faire » du libéralisme classique, mettent l’accent sur l’atomisation des rapports sociaux et la responsabilité individuelle. Cette idéologie, réputée favorable aux entreprises, a pour effet de maintenir un déséquilibre en faveur des dirigeants et des détenteurs du capital. Cette version du libéralisme, longtemps dominante, a créé son propre ordre social. Et paradoxalement les partis conservateurs se revendiquent aujourd’hui du libéralisme économique. Les partis progressistes, se sont fait déposséder du mot, mais pas du fond. La déconfiture de la gauche française n’est pas étrangère à ce grand écart entre une rhétorique vilipendant le libéralisme économique et des propositions la contredisant.

Le quinquennat de François Hollande s’est révélé particulièrement destructeur sur ce plan. Au lieu d’une politique de redistribution des richesses, afin de répondre à l’accroissement des inégalités, son gouvernement a adopté une politique économique de l’offre. Cette politique d’inspiration néoclassique met en œuvre de nombreux marqueurs classés à droite comme la réduction des impôts et la dérégulation du marché du travail qui ont semé le trouble. Son objectif consiste à faire le ménage parmi les régulations et les coûts superflus qui pèsent sur l’activité économique. Ainsi, les notaires et les greffiers des tribunaux de commerces ont longtemps été menacés de voir leurs privilèges nationalisés. Ce combat, certes perdu, a laissé imaginer l’émergence d’un libéralisme assumé de gauche, incarné par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Il s’agissait d’un malentendu. Utiliser le terme libéralisme en France mène dans un aiguillage mental qui polarise la pensée. Et ce biais cognitif est particulièrement marqué chez ceux qui nous gouvernent, en raison de leur formation identique. Les nuances, notamment historiques, sont éclipsées. Dans le camp des pros, les recettes néoclassiques sont appliquées, alors que dans le camp des antis, on fustige l’Union Européenne et certains regardent avec indulgence des régimes autoritaires. Nous devons nous en extraire si nous voulons construire une alternative aux propositions classiques qui soit émancipatrice pour l’individu.

Le libéralisme appliqué à l’État

Un cadre libéral se fonde sur l’État de droit et la séparation des pouvoirs. Le peuple souverain détient le pouvoir législatif et statue sur les questions générales. Une administration indépendante de la justice statue sur les questions particulières. Le ou les pouvoirs exécutifs sont soumis aux pouvoirs législatifs et judiciaires, assurent la sécurité et mettent en œuvre les lois et les décisions de justice. Le fondement du libéralisme est de limiter le pouvoir des puissants, y compris l’État, et de protéger chaque citoyen. En matière économique, les puissants sont les agents économiques qui détiennent des monopoles ou des oligopoles sur des marchés. Le libéralisme vise à brider le pouvoir de tous ceux qui, dans un rapport asymétrique, dictent leurs règles. Il existe deux manières de limiter ce pouvoir : le règlementer ou le fragmenter. Règlementer fait peser une charge administrative supplémentaire sur des structures lourdes déjà engoncées dans des procédures hiérarchiques pesantes, au mépris de l’humain. Fragmenter expose chacun aux aléas de la concurrence, aux réussites fulgurantes et aux échecs dévastateurs. L’un n’exclut pas l’autre. Si les acteurs sont fragmentés, le marché doit être régulé. Si un secteur est règlementé et sorti du marché, le pouvoir décisionnel doit être fragmenté. Et c’est dans ce subtil dosage, dans le choix des périmètres idoines, dans la recherche de l’optimum que réside l’essentiel du débat économique que nous devons avoir.

La France de la cinquième République est sur-administrée. Cette caractéristique crée de la complexité, de la lourdeur, de l’inefficacité et même de la souffrance humaine. Nous votons depuis longtemps déjà pour des promesses faites par des administrateurs de l’État de s’attaquer à ce problème. Quand la situation n’empire pas, elle prend une autre forme en substituant à la sur-administration par l’État, des superstructures économiques, administrées par ces mêmes individus, au bénéfice d’intérêts privés, très loin de l’idéal émancipateur des Lumières. D’autres acteurs économiques que l’État peuvent endosser l’intérêt général. Les collectivités publiques bien sûr, mais aussi des associations comme les Restos du Cœur sont, dans leurs domaines, bien plus efficaces pour s’attaquer aux problèmes concrets. Dans la France de la cinquième République, la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif n’existe plus au profit de l’exécutif national. Et un discours se qualifiant d’antilibéral, en pensant s’attaquer aux puissants, fausse le débat et les renforce ces derniers.

L’adhésion de fond à un cadre libéral est sans doute l’un de ces triomphes discrets dont l’Union Européenne est coutumière. Le rejet du mot est l’enfant de l’inculture de certains éditorialistes économiques et du fiel que déversent des démagogues rêvant d’autocratie. L’Union Européenne est aujourd’hui à la fois la gardienne de nos libertés et de la séparation des pouvoirs. En se constituant comme un consensus entre États jaloux de leurs prérogatives, l’Union Européenne est une organisation sans pouvoir exécutif. Le paradoxe est que si elle est, à juste titre, considérée comme l’apôtre du libéralisme, c’est en France pour de mauvaises raisons. L’Europe est libérale, non pas parce qu’elle contraint les dépenses publiques, il s’agit d’un choix politique. L’Europe est libérale parce qu’elle encadre et limite le pouvoir des plus gros acteurs politiques et économiques, qu’ils soient des États ou des grandes entreprises étrangères comme Google ou Amazon. Comme l’Europe n’est elle-même pas un acteur économique, nous Français, lui devons la meilleure implémentation sur notre sol de l’idée de Montesquieu : la séparation des pouvoirs.

Cessons de mettre en cause le libéralisme à mauvais escient. Nous faisons le lit des démagogues extrémistes. Débattons plutôt sur le vrai sujet : Le Capitalisme financier. 

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 16/02/2022

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