Est-il raisonnable de relancer le nucléaire alors que l’existant ne fonctionne pas bien ?

Une fois de plus c’est devant l’obstacle qu’on essaye de trouver la solution a question du traitement des combustibles usés et du stockage des déchets.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

Nucléaire  : centrale et déchets  (image ELG 21 de Pixabay)

Alors que depuis la fin novembre 2020, une série d’appels à projets émanant du ministère de la Transition écologique et du ministère de l’Économie, vise à remettre à niveau la filière nucléaire existante, E. Macron a annoncé le 10 février dernière la relance de cette filière par la construction de 6 EPR nouveaux d’ici 2035, tandis que la construction de 8 autres était mise à l’étude. La thématique de ces appels à projets fait apparaître à quel point notre filière nucléaire est mal en point :

  • Modernisation de l’outil et innovation visant à lever les verrou technologiques
  • Maintien des compétences et formation
  • innovation en matière de gestion des matières et déchets radioactifs

Une enveloppe de 470 millions € est allouée dans le cadre du plan « France relance » pour financer ces projets qui doivent contribuer à la modernisation, au renforcement des savoir-faire, au développement de la filière, mais aussi pour que le tissu industriel français retrouve les compétences de base nécessaires à la construction des futurs réacteurs. Il s’agit de réagir au constat de la perte de capacité de ses principaux opérateurs à gérer la filière nucléaire. Déjà en 2019, lors de sa première conférence de presse, Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) exprimait ses “doutes sur la capacité de la filière à assurer le prolongement des installations et la mise en œuvre de nouveaux programmes

La situation a-t-elle changé en 2022 ?

Sur la question de la gestion des matières et déchets précédemment citée, une note de l’ASN publiée début mars, suite à des discussions avec EDF et Orano, nous apprend que les piscines d’entreposage des combustibles usagés sortis des réacteurs pourraient arriver à saturation avant 2030. Or ces piscines, situées dans l’usine Orano de la Hague contiennent déjà > 10.000 tonnes de combustible irradié et en font le site qui concentre le plus de radioactivité en Europe. La nouvelle piscine d’entreposage centralisé, d’une capacité de 6500 tonnes de combustibles, serait construite « à côté » des bassins existants puisqu’un autre emplacement initialement prévu a été abandonné, suite au rejet par les associations et les élus locaux.

La mise en service de cette nouvelle piscine d’entreposage, d’un coût prévisionnel de 1,25 milliard € est attendue pour 2024, un second bassin est prévu par la suite. En attendant EDF et Orano réfléchissent à 3 scénarios…

  1. Mettre d’avantage de combustible usé dans les piscines existantes
  2. Faire de l’entreposage à sec en attendant le nouveau bassin
  3. Utiliser plus de combustible Mox dans les réacteurs qui produiraient moins de déchets

container (Image d’AlexAntropov86 de Pixabay)

Dans le 1er scénario qui consiste à densifier le stockage de combustible usé dans les piscines existantes, solution que l’ASN considère comme « non pérenne », le problème posé est celui de l’augmentation de la radioactivité dans un site qui la concentre déjà à un niveau record. Pour évaluer le danger d’une telle option l’ASN a demandé à Orano : « d’accélérer la réalisation de certaines études de génie civil pour l’INB 116 de La Hague », pour « apprécier l’éventuelle augmentation de l’inventaire radiologique dans cette installation au regard d’une démonstration actualisée de sa résistance aux événements extrêmes ». (Ndlr. Qu’en termes choisis ces choses là sont dites !)

Dans le 2ème scénario, l’entreposage à sec se ferait dans des « châteaux de combustible », mais ce système à un inconvénient : une fois ainsi entreposé le combustible usé ne peut plus être recyclé en MOX ce qui signifie la fin de la filière de recyclage française du combustible usé.

Dans le 3ème scénario l’uranium enrichi, une fois utilisé dans les réacteurs, est stocké entre 3 et 5 ans dans la cuve puis il est  refroidi 2 ans dans un bassin sur site, puis envoyé à l’usine de la Hague où il est retraité et produit 2 matières radioactives : l’uranium issu du retraitement (URT) et le plutonium. Le MOX est le combustible produit en mélangeant ce plutonium et de l’uranium appauvri. 22 réacteurs peuvent actuellement utiliser ce combustible MOX, ce qui est une particularité utilisée seulement par la France et la Russie. Dans les autres pays équipés de centrales, l’uranium usé est considéré comme un déchet et non comme une matière valorisable en MOX, alors qu’en France son éventuelle réutilisation le fait sortir du classement en déchets… Mais ce MOX qui n’est actuellement ni retraité ni réutilisé une fois usé, est stocké dans les piscines de La Hague et contribue à leur saturation !

Ici aussi les opérateurs de la filière nucléaire témoignent d’un manque de vision prospective sur la question du traitement des déchets issus des réacteurs. Une fois de plus, c’est devant l’obstacle qu’on essaye de trouver la solution à la question du traitement des combustibles usés et du stockage des déchets. C’est pourtant une question essentielle, puisqu’elle engage aussi les générations suivantes sur un temps très long. A quelle logique, à quels intérêts obéissent ces choix technologiques et cette gouvernance technocratique ? Et dire qu’on nous promet une relance de la filière nucléaire avec 6 + 8 EPR de nouvelle génération sans compter les petits SMR !

Curly Mac Toole pour le Clairon de L’Atax le 18/03/2022

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire