Nucléaire : il faut cesser de rêver ou de mentir !

La filière nucléaire française est dans un tel état qu'il semble incroyable qu'un être doué de raison puisse envisager de la relancer.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

Nucléaire (Image par ELG21 de Pixabay)

Depuis près de 8 ans, le Clairon alerte ses lecteurs sur la situation du nucléaire français. (1) Les incidents, malfaçons, dysfonctionnements et retards, plus ou moins graves, s’enchaînent : ils touchent l’ensemble de la filière, de la production du combustible jusqu’au stockage des déchets, en passant par le fonctionnement des réacteurs. A cela s’ajoutent des problèmes liés à la sécurité des installations, mais aussi à des déficiences dans le contrôle des prestations de certains fournisseurs. Pourtant, bien que la kyrielle de problèmes posés par le nucléaire français soit loin d’être réglée, le président E. Macron entend relancer la filière pour satisfaire les besoins en énergie de sa politique ultralibérale basée sur le cycle –innovation, production, croissance-.

La justification « officielle » de la relance du nucléaire français.

Elle repose sur le postulat que le besoin en électricité sera croissant pour faire face à la crise climatique. Le nucléaire serait la seule énergie pilotable capable de répondre significativement à ce besoin croissant. Les problèmes de fonctionnement de la filière sont balayés par l’argumentation suivante : la fin en 1999 de la construction de réacteurs aurait provoqué une perte de savoir-faire en raison du départ progressif des personnels compétents, mais depuis ces dernières années, dans le droit fil de l’alerte provoquée par la catastrophe de Fukushima, il y aurait une reconquête progressive des savoir-faire et une amélioration constante de la sureté des installations, ce qui permettrait à présent la relance de la filière…

Des faits qui contredisent les discours lénifiants  sur l’amélioration du fonctionnement du parc nucléaire français et sur les perspectives de relance.

Pour les EPR les retards et surcoûts étaient jusqu’il y a peu imputés aux malfaçons dans la réalisation de certaines pièces (défauts de forgeage des cuves et couvercles des réacteurs, soudures ne correspondant pas au cahier des charges, etc.). Mais voici que l’on découvre qu’ils seraient aussi handicapés par des problèmes de conception des réacteurs ! Avec la mise à l’arrêt en 2021 de la centrale de Taishan, seule centrale EPR en service, suite à des « dégradations constatées sur l’assemblage des combustibles nucléaire » dans le cœur du réacteur. Celles-ci seraient dues à « un défaut dans la conception de la cuve de la filière EPR » (2).
A la fin de l’année 2020, EDF détectait des problèmes de « corrosion sous contrainte » sur des portions de tuyauterie des 4 réacteurs de Civaux et de Chooz d’une puissance de 1 450 MW. En avril 2022 dans une mise à jour de sa note d’information EDF expliquait que ce phénomène pouvait concerner tous les modèles de réacteurs. Actuellement ce sont 12 réacteurs (4 de 1 450 mégawatts (MW), 5 de 1 300 MW et 3 de 900 MW qui ont été mis à l’arrêt, ou ont vu leurs arrêts prolongés pour des contrôles liés à cette anomalie.
Dans son rapport sur l’état de la sûreté nucléaire, présenté le 17 mai 2022 aux parlementaires de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le président de l’ASN a révélé que ces corrosions ne seraient pas « accidentelles » mais « conceptuelles », ce qui implique que ce défaut de conception pourrait se répercuter sur l’ensemble du parc nucléaire !
Ces défauts de conception relevés tant pour les EPR que pour l’ensemble des réacteurs du parc, remettent en question l’avenir de la filière nucléaire française.

Chute de la productivité du parc nucléaire français

Fait sans précédent depuis la mise en service des derniers réacteurs en 1999, la puissance moyenne disponible du parc français est tombée en janvier 2022 à 48 gigawatts (GW) pour 61,4 GW de puissance installée. Fin avril elle a encore baissé jusque sous la barre des 30 GW de puissance disponible. Cette baisse de la puissance disponible s’accompagne d’une baisse de la production : en 2015 les centrales nucléaires fournissaient 78% de l’électricité consommée en France, en 2020 elles ne fournissent plus que 67%  et les prévisions d’EDF pour 2022 sont à la baisse. Différents facteurs peuvent expliquer cette baisse de production, certains sont externes (comme par exemple les conditions climatiques) d’autres concernent le vieillissement et le fonctionnement du parc. Dans les scénarios sur le futur de la production d’électricité RTE prévoit un retour à la hausse de la production d’électricité nucléaire mais cette hausse sera limitée par l’augmentation des travaux de maintenance du parc nucléaire vieillissant et par les arrêts prolongés des réacteurs suite aux travaux de « grand carénage » destinés à prolonger leur fonctionnement au-delà des 40 ans…
Ces incertitudes sur la productivité du nucléaire posent la question de sa place dans le futur mix énergétique.

La relance du nucléaire français implique de faire face à de nombreux défis

Dans sa présentation du rapport aux parlementaires précédemment cité (3), Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, a fait l’inventaire des défis à résoudre si l’on veut réussir la relance de la filière. Des fragilités sont à surmonter :
1°) la disponibilité du parc actuel dont certaines unités de production sont immobilisées par manque d’anticipation des travaux à faire, mais aussi suite à des défauts techniques.
2°) le cycle du combustible connait un certain nombre de problèmes qui risquent, s’ils s’aggravaient, de bloquer le fonctionnement des centrales. Ainsi les piscines de stockage du combustible usé arriveront à saturation en 2030.  Ce problème connu depuis 10 ans n’est toujours pas résolu. La capacité de traitement des déchets issus de ces piscines n’est pas assurée. L’entreposage des déchets issus de la fabrication du MOX n’est pas suffisant.
3°) la prolongation de vie des réacteurs. La réalisation des scénarios définissant un futur mix énergétique dépend du nombre de centrales capables de fonctionner au delà de 50 ans, ce qui n’est pas actuellement acquis. Dans le cas du scénario RTE où le nucléaire représente 50 %, tous les réacteurs devraient être prolongés jusqu’à 60 ans et parfois au-delà ce qui est très improbable si les normes de sécurité actuelles sont maintenues…
4°) la question du retraitement des combustibles usés n’est pas tranchée, d’importants travaux sont à prévoir selon le choix de continuer le retraitement (ravalement de l’usine de la Hague)  ou de l’arrêter (aménagement de lieux de stockage)
5°) la gestion des déchets doit aboutir à la réalisation d’ici 2040 à des solutions concrètes et sûres qui reçoivent la confiance des populations. En ce qui concerne les déchets nucléaires “historiques”, l’ASN souhaite que ceux qui présentent les plus forts enjeux de sûreté et de radioprotection soient convenablement conditionnés dans des délais raisonnables. D’autre part, une plus grande rigueur doit être observée par les exploitants dans le classement et le stockage de ce qui est considéré comme « déchets » et de ce qui est considéré comme « matière à recycler ».

A la fin de son intervention devant les parlementaires, le président de l’ASN a insisté sur l’effort important à faire financièrement et en matière de compétences pour relancer le nucléaire. Actuellement le compte n’y est pas. L’ASN veillera tout particulièrement à ce que les exploitants et leurs sous-traitants disposent des capacités techniques nécessaires. Pour l’ASN il s’agit de mettre en place uns sorte de « plan Marshall », établi sur le long terme.

En l’état actuel de la filière nucléaire, le plan de relance présenté par E. Macron semble déraisonnable. Alors de quoi s’agit-il : promesse de campagne électorale, concession au lobby nucléaire, discours incantatoire ?

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 19/05/2022

 

Annexe : lien vers le rapport de l’ASN à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques 

https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/rapport-de-l-asn-sur-l-etat-de-la-surete-nucleaire-et-de-la-radioprotection-en-france-en-2021

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Notes
  1. Voir notre dossier : “nucléaire chronique d’une catastrophe annoncée”.[]
  2. source CRIIRAD[]
  3. voir annexe[]
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