Tracé Laurent Fabas, sources: Réseaux de gaz: CNE / CRE, Zones de développement éolien: DIRM Méditerranée / RTE
Données bathymétriques: EMODnet, fond de carte NMT réalisée par le SHOM
Ou comment un pipeline d’hydrogène vert pourrait contourner l’unité de production d’hydrogène vert de Port La Nouvelle sur laquelle l’Aude et l’Occitanie fondent de nombreux espoirs.
La France, l’Espagne et le Portugal se sont mis d’accord le 20 octobre pour réaliser un pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille. Celui-ci serait capable de convoyer de l’hydrogène comme du gaz naturel.
L’interconnexion de la péninsule Ibérique avec le reste de l’Europe passe par la France dont ce n’est pas la priorité. La crise gazière en a révélé une nouvelle dimension. L’Espagne est apparue brusquement comme une clé de la diversification des approvisionnements européens en gaz naturel. En effet, deux gazoducs la connectent aux champs gaziers algériens. Elle dispose également de six terminaux méthaniers, soit presque la moitié des terminaux de l’Union Européenne. Ceux-ci permettent d’assurer la regazéification et le stockage du gaz naturel livré par bateaux. Mais cette ressource s’avère inutilisable en l’absence d’infrastructure la connectant au réseau français. Depuis des mois maintenant, les journaux espagnols, portugais et même allemands invoquent une solution : MidCat.
Il s’agit d’un projet de gazoduc entre Hostalric dans la province de Gérone et Barbaira dans l’Aude qui avait été abandonné en 2019 à la suite d’analyses couts-avantages défavorables. Le projet était également décrié dans les milieux écologistes, d’abord en raison de l’origine fossile du gaz qu’il devait transporter mais aussi en raison de l’impact sur les milieux naturels. Le président de la République, Emmanuel Macron, ne voulait pas d’un projet qui ne soit pas en mesure de transporter de l’hydrogène le moment venu.
Le projet a donc été définitivement enterré ce vendredi 20 octobre pour être remplacé par un pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille. Cela règle évidemment la question de l’impact visuel sur les milieux naturels et rend impossible le blocage du chantier. Sa capacité à transporter de l’hydrogène semble avoir été décisive pour le président français. Mais il serait tentant de crier au greenwashing, car ce sera bien du gaz naturel d’origine fossile qui l’empruntera pour des années et qui motive son financement.
Mais avant de condamner trop vite le projet comme climaticide, nous devons nous demander à quoi servira notre réseau de gazoducs dans une économie décarbonée. En effet, ne pas le construire ne nous permettrait malheureusement pas de limiter la consommation de gaz naturel, il passerait simplement ailleurs.
Dans une économie décarbonée nous produirons du biogaz à partir de déchets non alimentaires dans les stations d’épuration notamment.
Dans une économie décarbonée nous utiliserons les techniques de power-to-gas pour stocker le surplus d’énergie renouvelable sous forme de méthane en convertissant le CO2 des aciéries, des cimenteries et d’autres sources.
Dans une économie décarbonée nous utiliserons de l’hydrogène qui en mélange avec le méthane peut transiter par un gazoduc.
Et nous ne connaissons pas l’avenir ! Peut être apparaitra-t-il pertinent d’y faire transiter d’autres fluides, de l’eau douce, de l’ammoniac…
Alors il est dans l’intérêt d’une économie décarbonée de disposer d’un réseau dense et efficace en France et en Europe, et de compléter les chainons manquants. Ce sont bien aux énergies fossiles de financer la transition.
Un pipeline sous-marin se pose sur le plancher océanique et s’accommode mal des canyons transversaux. Ainsi, depuis Barcelone une telle infrastructure devrait rester très proche de la côte jusqu’à la frontière française pour passer le canyon de Creus. Il pourrait même être décidé un itinéraire terrestre sur cette portion, ce qui facilite la maintenance. De là, le pipeline pourrait s’éloigner du rivage pour rejoindre les infrastructures de Fos-sur Mer. Les fonds marins ont été sondés depuis 2014 dans le cadre du projet Midi-Provence de RTE visant à mettre en place un câble électrique sous-marin entre Gruissan et Fos-sur-Mer, ce qui devrait permettre d’accélérer le projet.
Ce pipeline d’hydrogène vert devrait donc passer sous les éoliennes flottantes au large de Port-La-Nouvelle. L’énergie produite par ces éoliennes étant transformée également en hydrogène vert dans la zone industrielle du port. Mais cet hydrogène français produit grâce à d’importantes aides publiques françaises ne bénéficierait pas de l’infrastructure et serait donc moins compétitif que l’hydrogène espagnol. Monsieur Macron disait l’an dernier à Béziers que le développement de l’hydrogène est « une bataille pour l’industrie, pour l’écologie et pour la souveraineté ». Il est difficile d’imaginer que personne ne s’étouffe. La région Occitanie a beaucoup misé sur le développement de Port-La-Nouvelle. Peut-être n’est-il pas trop tard pour obtenir que l’hydrogène vert espagnol y fasse escale ?
Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 23/10/2022