Les Fables Coursanaises

Chères lectrices, chers lecteurs,

La section « Littérature » de la rubrique « Culture » du Clairon de l’Atax s’enrichit d’une expérience menée par 2 habitants de Coursan : Bruno Sellenet et Fernand Soual. Cette expérience correspond tout à fait aux objectifs que poursuit notre journal : inviter nos concitoyennes et concitoyens à exprimer leurs pensées et sentiments par l’écriture ou l’image. Mais laissons nos amis expliquer leur projet qu’ils intitulent :

LES FABLES COURSANAISES

« Cette expérience est la rencontre avec la créativité de chacune, chacun grâce à l’écriture d’un récit ou la réalisation d’un dessin.
La démarche repose sur des valeurs humanistes « pas de racisme et d’agression personnelle » et sur le désir du partage.
La forme peut être la fable, le récit -fiction ou la petite histoire recueillie, accompagnée d’illustration(s) et signée par les auteurs. L’expérience se nourrit dans le temps et son déploiement se fait grâce à la participation de toutes et tous. »

 

Les Futurs Tropiques

 

Il n’y a pas si longtemps, par le plus grand des hasards, j’ai débusqué une zone sauvage implantée durablement au cœur de l’urbanisation. Dans le jargon scientifique on appelle ce genre de phénomène « LES FUTURS TROPIQUES » !
Une zone tropicale de ce type a émergé en plein cœur d’une modeste commune du nom de COURSAN. Cette agglomération, banalement urbanisée, présente une architecture tellement attendue qu’il devient impossible d’y découvrir la marque de son histoire. Rien de bien attrayant donc dans ce modeste village. Rien qui puisse présager de ce qui suit.

Je traversais Coursan, par une après-midi de juillet, pour me rendre dans le Massif de la Clape quand un cortège funéraire extravagant attira mon attention. Il patientait devant un portail qui devait être l’entrée d’un cimetière. Je garais mon véhicule pour aller observer de plus près cet attroupement intrigant. Arrivé à hauteur, je constatais que tout le monde était accoutré d’une combinaison intégrale d’apiculteur, jusqu’au traditionnel chapeau et son voile. Toutes les tenues étaient d’un noir profond de circonstance. Le maître de cérémonie croyant que j’étais de la famille, m’expliqua que je ne pouvais pas pénétrer dans le cimetière sans cette tenue adéquate. Il m’en porta une que j’enfilais tant bien que mal. Je pris place en queue de cortège pendant que les employés des pompes funèbres sortaient le cercueil du fourgon funéraire. À mes côtés un habitué des enterrements m’éclairait sur la procédure :
« Le cimetière n’est plus qu’une jungle aux allées impraticables. Le fourgon ne peut plus y pénétrer. Les employés sont obligés de transporter le cercueil à bout de bras jusqu’à la tombe. Le maître de cérémonie ouvre la marche avec sa machette pour nous frayer un chemin à travers la végétation. Je ne vous conseille ni de quitter votre chapeau, ni de lever votre voile, les insectes virulents qui infestent les lieux ne vous le pardonneraient pas : ils vous laisseraient sur le carreau ! À chaque sépulture, dans cette jungle toujours plus dense, c’est une véritable expédition. Je n’en manquerais pas une pour tout l’or du monde : j’ai toujours eu le goût de l’aventure. »

     La suite de l’enterrement confirma ses propos. Le parcours se révéla difficile, tortueux, plein de désagréments. Nous eûmes droit aux guêpes, aux moustiques, aux nuées de moucherons suceurs de sang, sans oublier les chats sauvages, les araignées géantes, les serpents et autres larves, cafards, rongeurs… La multiplication de plantes géantes, devenues arbres et lianes, imposait la pénombre. Difficile de distinguer une pierre tombale. La végétation recouvrait tout. La procession se transforma en aventure au cœur de la jungle…
     À la suite de cette expédition, j’ai poursuivi mes investigations auprès des habitants du village. Ils m’ont confirmé que par seul choix d’économie, les autorités avaient progressivement abandonné l’entretien, sous couvert de posture écologique. Et d’un lieu public à l’abandon on a basculé vers le FUTUR TROPIQUE !

     Les autorités responsables de ce chaos préparent aujourd’hui un projet juteux avec une société privée afin d’organiser des jeux d’excursions assortis d’énigmes. On parle même d’un accord avec la télévision pour une émission de télé réalité au titre évocateur : « Comment ne pas mourir dans un cimetière ? ». En attendant, les pompes funèbres ont adapté leurs compétences et augmenté leurs tarifs et leurs bénéfices. Les témoignages que j’ai recueillis affirment qu’il est de plus en plus difficile de trouver une tombe : elles ont toutes disparu sous cette jungle impitoyable. On ne creuse le trou qu’une heure avant la sépulture pour ne pas laisser le temps à la nature de reprendre possession des lieux. La principale préoccupation des autorités n’est plus l’entretien du cimetière mais d’empêcher la jungle de franchir les murs d’enceintes.

     Je ne vous rapporte ici qu’une partie de mes investigations.
     Il est évident que les conséquences de ce phénomène ne s’arrêtent pas là…

     Affaire à suivre…

                                                                                                                                       Bruno Sellenet                 

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Le Mystère des Ragondins

Enquête de M. Beauregar Hyris,
(Grand journaliste spécialisé dans les intrigues et les disparitions)

 

L’intrépide Hyris a ouï dire qu’on ne voyait plus de ragondins. Cette rumeur le questionne, émoustillant son tempérament aventureux. Notre fabuleux reporter se dit : « En avant toute ! En route pour l’action ! »
     Il n’enfile ni des cuissardes de pêcheur, ni des belles bottes de marin mais ses demi-bottes de jardinier. Et le voilà arpentant les deux berges du fleuve, le traversant d’une rive à l’autre à la recherche de ce fameux mammifère !
     Rappelons sa définition : « Rongeur originaire de l’Amérique du Sud, de mœurs aquatiques, à la fourrure estimée et à la chair délicate, de 50 cm de long. »
     Là, les deux pieds plantés dans ses petites bottes, au beau milieu du lit du fleuve, à la couleur opaque, marronnée, où flottent des presqu’îles d’algues, de branches et autres matières verdâtres face au lieu-dit : ″Les Plageoles″, un endroit surréaliste pour pêcheur-poète
     Là, immobile, sidéré, il ne constate aucune trace, pas la moindre preuve objective de cette espèce animale, si ce n’est le souvenir de ballets nuptiaux, à la chorégraphie sensuelle, érotique, ondoyante, à la tombée de la nuit, dans un courant d’eau limpide, toujours en mouvement ainsi que les témoignages de quelques riverains les surprenant batifolant dans leur jardin…
     Hyris, confronté aux évidences irréfutables, juge que la situation est plus que sérieuse et non pas un canular de borgne qui joue à colin-maillard ou qui noie le poisson, gage qu’il en reste quelques-uns dans cette rivière-fleuve (1)
      Il s’interroge alors avec véracité.
     Mais tout à coup, mirage ou fait réel, subjugué, médusé, il lui semble entendre un martin-pêcheur et un merle-moqueur se plaindre de l’absence de compagnon : poule d’eau, bécasse, aigrette, grenouille, libellule, etc. À cause d’un mauvais sort jeté à Mère Nature par les hommes, les civilisés !
     Hyris, pris, englué dans cette expérience, à la fois mystique et rationnelle, qui lui cuisine l’esprit, lui titille la rétine, lui met en branle neurones et synapses, soumettant à l’épreuve son entendement, s’exclame : « Est-ce une malédiction ? »
     Non, se dit notre journaliste au-dessus de tout soupçon, à l’éthique irréprochable, grand lecteur de Kant, Critique de la raison pure, Critique du jugement… Cela l’oblige à investir et à analyser les faits avec logique, raison, quelles que soient les causes, les effets et leurs résultats !
     Il en résulte deux hypothèses :
     1)     Premièrement économique : de source sûre, dans une région voisine, on charcute ce rongeur à la chair fine en excellent pâté, spécialité régionale, reconnue mondialement. Il y aurait donc un trafic qui nous les dépeuplerait ! Quel dommage pour le dynamisme local !
    2)     Deuxièmement écologique : réchauffement de la planète, sècheresse, assèchement des cours d’eau, questionnement sur notre modernité, sur nos modes de vie, exploitation, surproduction, consommation, pollution…
Au sujet de leur fourrure estimée, l’enquête rigoureuse suit son cours…

     Hyris se trouve assez satisfait de ses investigations, mais à nouveau résonne bizarrement dans sa tête un troublant échange entre le martin-pêcheur et le merle-moqueur, oiseaux cinéphiles, selon lesquels la seule solution à leur problème serait que les civilisés fassent une incantation divine, créent un rituel mêlant le chant et la danse, c’est-à-dire des claquettes en entonnant à l’unisson : « Chantons sous la pluie ! » (2)

                                                                                                                                     Fernand Soual

 

 

 

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Notes
  1. a) Fleuve : cours d’eau qui aboutit à la mer, masse en mouvement. b) Rivière : cours d’eau de faible ou moyenne importance.[]
  2. Chantons sous la pluie (Singing in the rain) : film musical américain, réalisé par Stanley Donen et Gene Kelly, sorti en 1952 []
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Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

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