Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)
La girouette ne produit pas d’énergie mais elle en consomme (Image par Dominik Hintz de Pixabay)
Étonnante année 2022 ! Elle commence par un président de la République “girouette”, qui renie son engagement de 2017 à réduire à 50% la part du nucléaire dans la production totale d’énergie et annonce le 10 février 2022, à Belfort sur le site de “Général Électric“, sa relance avec notamment la construction de 6 nouveaux EPR.
Elle se termine par une quasi déroute de la filière nucléaire française : multiplication, des pannes et des malfaçons détectées, retards supplémentaires et nouveaux surcoûts pour l’EPR de Flamanville, importation d’électricité “chère” des pays voisins.
Centrale nucléaire suisse d’Argovie (Image par ramboldheiner de Pixabay)
Un diagnostic posé depuis longtemps
Depuis plusieurs années des ONG, une partie de la presse ainsi que le “Clairon”, tentent d’alerter l’opinion sur la dégradation de la filière nucléaire française. A l’intérieur de cette filière, divers acteurs comme l’ASN et même EDF ont confirmé cette situation.
- Les pannes et dysfonctionnements s’accumulent sur les réacteurs ainsi que sur la filière combustibles et déchets nucléaires dont les conditions de stockage sont aléatoires
- Les cahiers de charges ne sont pas respectés par certains sous-traitants qui fabriquent les pièces et équipements pour les centrales
- Le départ à la retraite de personnels compétents et expérimentés n’est pas remplacé à la hauteur des besoins et compétences nécessaires
- En bonne logique néolibérale, dans le souci d’une hypothétique rentabilité, certains personnels permanents sont remplacés par des sous-traitants peu formés et inexpérimentés
Comment imaginer que, devant une telle accumulation de faits, décrits par des observateurs d’origines et d’obédiences diverses, mais aussi d’acteurs directement impliqués dans l’industrie nucléaire, E. Macron qui se vante d’être rationnel et pragmatique, puisse décider de relancer une filière nucléaire en si mauvais état et lui fixer l’objectif irréalisable de mise en service de 6 nouveaux EPR pour 2035 ?
L’intendance ne suit toujours pas
L’intendance qui ne suit pas n’est pas une spécialité française, même si nous avons fait fort dans ce domaine, que ce soit lors des guerres depuis 1870, ou plus récemment en période de paix avec le démontage de pans entier du service public (santé, transport, énergie, etc.).
En tout cas l’annonce de relance du nucléaire par E Macron semble de plus en plus incantatoire et démentie par les faits.
Les faits en cette fin décembre 2022
Pour les réacteurs existants
- 40 réacteurs sur les 56 existants fonctionnaient le vendredi 16 décembre
- 2 nouveaux réacteurs de 1300 MW (Penly 2 et Golfech1) sont touchés par des problèmes de corrosion, ne pourront redémarrer avant juin 2023 alors qu’ils devaient être remis en service fin-janvier pour l’un et mi-février pour l’autre, ce qui aurait permis de faire face aux besoins d’électricité prévus pour la fin de l’hiver.
- Pour aller plus vite dans la réparation des réacteurs de 1300 MW de type « P’4 », EDF a annoncé sauter l’étape de l’examen/diagnostic des tuyauteries des réacteurs en raison de la forte probabilité que tous soient atteints par des problèmes de corrosion. Cette mesure permet, selon EDF, de gagner environ 120 jours sur la durée des travaux.
- Sur les 12 réacteurs de ce type : 1 est actuellement réparé, 5 sont en cors de réparation et 6 autres sont programmés pour être réparés courant 2023
- Selon EDF les réacteurs de 900 MW qui constituent la plus grande partie du parc « seraient moins concernés » par les problèmes de “corrosion sous contrainte”
Pour l’ EPR de Flamanville
- Le vendredi 16 décembre, EDF a annoncé un retard supplémentaire de 6 mois pour la mise en service de l’ EPR initialement prévue pour fin 2023. Ce nouveau retard porte à 12 ans le retard total pris par le projet.
- Ce report estimé pour une mise en service à la mi-2024, va coûter 500 millions € en plus pour ce projet dont la facture passera de 12,7 Mds € à 13,2 Mds € (rappelons que le coût initialement prévu en 2006 était de 2 Mds €)
- Ce nouveau retard est dû selon Alain Morvan, directeur EDF du projet d’ EPR, à la détection d’un problème affectant 150 soudures du circuit secondaire qui contient de la vapeur à une pression de 56 bars à 270 ° Celsius. Il est apparu lors du traitement thermique de ces soudures « une non-conformité de comportement » (sic). Il s’agit de vannes proches de ces soudures. Alain Morvan a expliqué : « Nous avions un comportement des températures des vannes non conforme à ce que l’on attendait […] Nous avons stoppé le traitement thermique l’été dernier et repris les études pour définir une méthode, et réalisé des tests permettant de garantir le bon niveau de réalisation de ces traitements thermiques »
Pour l’ensemble de la filière nucléaire
- Le temps de l’autosuffisance énergétique semble terminé. Actuellement la production d’électricité nucléaire ne suffit pas pour faire face aux besoins de la France, ce qui l’oblige à importer aux prix du marché de grosses quantités d’électricité des pays voisins.
- La filière nucléaire manque de personnels, à la fois pour assurer le fonctionnement des équipements existants, mais aussi pour la réalisation des projets liées à la « relance ». Selon Cécile Arbouille, directrice générale du GIFEN, le syndicat professionnel de la filière nucléaire : « D’ici 2023, nous devrions effectuer, à minima, 22.500 recrutements. Nous tablons sur l’embauche de 4000 ingénieurs par an dans tous les domaines techniques : la mécanique, la robotique, l’automatisme… »
Dans de telles conditions réelles, quel crédit accorder au projet de relance du nucléaire ? Ne s’agit-il pas de “carabistouilles” pour employer un mot cher à Macron ?
Le projet suit son cours, brûlant les étapes, sautant par-dessus certaines procédures, puissamment soutenu par la propagande du lobby nucléaire et du gouvernement. Mais où est la raison, lorsque l’on considère l’état actuel de la filière nucléaire, lorsque l’on sait l’énormité des investissements nécessaires à l’entretien et la prolongation du parc de réacteurs existants et lorsque l’on estime le coût actuellement non maîtrisé de la construction de 6 nouveaux EPR : tout cela alors qu’EDF est en difficulté financière ? La nationalisation d’EDF voulue par le gouvernement, donne une idée de la réponse sur l’origine des fonds qui vont y être engloutis. Dans la plus pure tradition néolibérale il y aura “nationalisation des pertes et privatisation des profits”
Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 20/12/2022
Le maître-mot actuel est le CO2 et surtout pas la gestion des filières. Pendant des décennies le nucléaire a été un risque et non une solution de production. Tout le monde s’en est accomodé, a critiqué mais s’en est servi pour un confort électrique vendu par nos élites comme une exigence incontournable. Si diriger c’est prévoir, la question actuelle devient: sommes nous dirigés ?