Nucléaire : la duplicité au secours du déraisonnable

La constitution prévoit que la politique énergétique qui a des incidences sur l’environnement doit faire l’objet de consultations permettant à toute personne de participer à l’élaboration des décisions publiques.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

 

atome électrons neutrons (Image parGerd Altmann de Pixabay)

La décision d’E. Macron de relancer la filière nucléaire française est actuellement confrontée à un contexte défavorable.

  • Sur le plan technique: les nombreux dysfonctionnements du parc existant, les péripéties et retards ahurissants de la construction de l’EPR de Flamanville, sensé être le prototype d’une nouvelle génération de réacteurs, à quoi s’joute le problème des déchets radioactifs : tout cela a entamé la confiance d’une grande partie de l’opinion en l’avenir de cette filière, alors que les énergies renouvelables se révèlent de plus en plus performantes et rentables.
  • Sur le plan économique: la dette abyssale d’EDF, l’électricien nucléaire maître d’ouvrage et exploitant des centrales françaises, pose la question des moyens financiers nécessaires à la construction de nouveau réacteurs de type EPR, mais aussi celle du mur d’investissements nécessaires à la prolongation de vie des centrales existantes.
  • Sur le plan politique: entre l’annonce de la relance de la filière nucléaire faite par E. Macron en février 2022 à la fin de son 1er mandat présidentiel et la période actuelle, qui débute son second et dernier mandat, le président de la République à perdu la majorité absolue qui lui permettait de régner sans partage sur le pays. Alors que sa gestion autocratique rencontre une opposition de plus en plus forte, il est dans une position moins favorable pour faire passer son projet.

Cette situation nourrit, chez une part importante de l’opinion, une triple crise de confiance, sur les capacités techniques de la filière, sur les modes de financement de la relance, sur la pertinence la politique choisie par E. Macron pour faire face à la crise climatique environnementale et sociale en cours.

Ce manque de confiance généralisé rend de plus en plus délicates les relations entre le pouvoir politique et la société civile qui s’interroge sur la nature des intérêts servis par cette décision présidentielle de relancer le nucléaire : intérêt public ou intérêts particuliers ?

La solution choisie par nos gouvernants, pour éviter une radicalisation des oppositions au projet de relance, est de contourner les procédures qui instituent le débat public, en supprimant autant que possible les instances de consultation, mais aussi en contournant par toutes sortes d’artifices les occasions où le débat ferait naître de trop fortes oppositions.
Pour la macronie, tout doit garder l’apparence d’un fonctionnement démocratique !

Un exemple de contournement du débat public

Le gouvernement a élaboré un projet de loi visant à accélérer les procédures administratives de construction des nouvelles installations nucléaires. Le but est de gagner du temps et de l’argent, en simplifiant les démarches, études, débats et autorisations administratives actuellement prescrits par la loi. Selon le gouvernement il s’agit d’adopter de simples mesures administratives qui, en aucun cas, ne remettent en cause le débat public en cours sur la création de 6 nouveaux EPR.

Le projet est actuellement en discussion au Sénat dont la majorité de droite est très favorable à la relance du nucléaire. C’est ainsi que le Sénat vient de glisser dans ce projet de loi quelques amendements qui débordent largement du cadre de la «simplification des procédures administratives» puisqu’entre autres, ils :

  • suppriment l’objectif du mix énergétique, actuellement en vigueur, qui visait à réduire de 50 % la part du nucléaire dans la production électrique.
  • reportent aussi le calendrier de fermeture des 12 réacteurs prévus par la PPE.
  • étendent les mesures de « simplification administrative » aux petits réacteurs modulaires (SMR) et aux électrolyseurs d’hydrogène
  • prolongent la durée d’application de cette loi, initialement prévue pour quinze ans, jusqu’en 2050

En accompagnement à ces amendements sénatoriaux qui devraient être votés le 24 janvier, le gouvernement a déposé à son tour un amendement qui supprime l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité…

On est loin de propositions concernant de simples mesures de simplification administrative. Ces amendements ont toutes les chances de passer au Sénat, puis à la Chambre des Députés. Malgré les dénégations du gouvernement, ils anticipent sur les résultats des travaux sur la Stratégie française relative à l’énergie et au climat et passent outre les concertations et débats en cours sur ces sujets. On fait comme si la construction des 6 nouveaux EPR, prévus par le gouvernement, était une affaire entendue !
Or la constitution prévoit que la politique énergétique qui a des incidences sur l’environnement doit faire l’objet de consultations permettant à toute personne de participer à l’élaboration des décisions publiques.

C’est ainsi qu’un débat public organisé par la CNDP (1) a cours du 27 octobre 2022 au 27 février 2023 : il porte sur la construction des 6 nouveaux EPR et sur les différents enjeux que cette construction implique : sureté, financement, impact environnemental, évolution climatique, etc.
Le projet de loi « simplification administrative », augmenté des amendements sénatoriaux et gouvernementau, cour circuite ce débat public, notamment par les modifications qu’il propose sur le mix énergétique. Cela a fait réagir la CNDP, organisme public indépendant et garant de l’impartialité des consultations publiques.

Les réactions de la CNDP   

C’est un fait rarissime : la CNDP a publié un communiqué de presse (2) critiquant le choix du gouvernement de passer-outre les objectifs actuels de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
Dans ce communiqué de presse Chantal Jouanno, la présidente du CNDP, dénonce le subterfuge consistant à glisser dans un projet de loi technique un amendement sur la PPE qui préempte  les débats nationaux sur le sujet. Elle rappelle le caractère anticonstitutionnel de ces pratiques qui bousculent le calendrier de la consultation en cours ce qui « …revient à considérer comme sans intérêt les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours »

La CNDP n’est pas la seule a dénoncer ces artifices gouvernementaux : ainsi Greenpeace pour qui : « [Ces] amendements (…) visent à détourner ce projet de loi de son objectif initial de prétendue simplification administrative pour la création d’EPR2 en l’étendant à toutes les installations nucléaires, à l’exception de celles relatives aux accélérateurs de particules et de Cigéo. La piscine de La Hague, les SMRs et toutes les installations nucléaires seraient concernées, sans aucune étude d’impact ou débat sur l’impact de telles mesures sur ces installations »

« Quo usque tandem abutere, Macronus, patientia nostra ? (3)

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 21/01/2023

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Notes
  1. Commission nationale du débat public[]
  2. https://www.debatpublic.fr/communique-le-nucleaire-la-loi-et-la-constitution-3896[]
  3. Pastiche du premier discours contre Catilina prononcé par Cicéron : Jusques à quand Catilina, abuseras-tu de notre patience?[]
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