Les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles interdits pour de bon ?

quelle que soit la couleur politique des gouvernements successifs, les arbitrages entre les intérêts de l’agro-industrie et les impératifs écologiques, voire de santé publique, ont plutôt favorisé l’agro-industrie…

 

Abeille morte (Image par rostichep de Pixabay)

Nous avons dans notre édition de janvier dernier (1) consacré une “brève” à l’interdiction, faite à la France par la Cour européenne de justice, d’autoriser l’emploi des néonicotinoïdes au moyen d’une antépénultième dérogation à la réglementation. Nous attendions de voir comment allait réagir le gouvernement français qui semblait privilégier les intérêts de la filière agro-industrielle de la betterave sucrière au détriment de la santé publique. La réaction est tombée : le gouvernement jette l’éponge.

Le ministre de l’agriculture annonce la fin des dérogations.
C’est lundi 23 janvier que Marc Fesneau a annoncé qu’il n’y aurait pas de : «troisième année de dérogation sur l’enrobage des semences de betteraves, c’est terminé pour cet élément-là, la décision de la Cour de justice est suffisamment puissante pour ne pas instabiliser (sic) encore plus le système». Cette déclaration rendait sans objet la réunion du 26 janvier du “Conseil de surveillance”, chargé du suivi des dérogations, qui s’apprêtait à cautionner la reconduction  par le gouvernement d’une dérogation pour la 3ème année consécutive.
(Ndlr : Ce “conseil de surveillance”, mis en place par le gouvernement pour légitimer les dérogations, était dominé par les représentants de l’agro-industrie favorables aux pesticides, tandis que ses membres opposés à l’emploi des néonicotinoïdes avaient progressivement démissionné).

La fin d’une longue bataille
Le danger présenté par les néonicotinoïdes a été détecté il y a plus de 20 ans. Il a fallu tout ce temps pour aboutir enfin à une interdiction qui semble cette fois définitive. En voici les étapes :

  • 1999 : le ministre de l’agriculture Jean Glavany interdit, au nom du principe de précaution, l’usage sur les cultures de tournesol de l’imidaclopride, un produit de la famille des néonicotinoïdes,
  • 2003 : le CNRS met en évidence le caractère systémique de l‘imidaclopride et ses effets sur les abeilles,
  • 2004 : l‘imidaclopride est aussi interdit sur les cultures de maïs,
  • 2008 à 2010 : deux autres produits à base de néonicotinoïdes, le thiaméthoxame et la clothianidine remplacent l’imidaclopride et seront successivement interdits puis autorisés à nouveau,
  • 2013 : la Commission européenne annonce la suspension pour 2 ans de l’utilisation des 3 pesticides, suite aux revendications des apiculteurs, mais aussi aux confirmations scientifiques de la toxicité de ces produits sur les abeilles et les bourdons. Mais l’AESA (Autorité européenne de sécurité des aliments) indique que le risque pour les abeilles ne concernait pas la culture des betteraves sucrières,
  • 2016 : l’interdiction de 5 produits pesticides de la famille des néonicotinoïdes est votée par l’Assemblée Nationale contre l’avis du gouvernement Cazeneuve. Des dérogations sont cependant prévues jusqu’en juillet 2020,
  • 2018 : l’AESA confirme la dangerosité des néonicotinoïdes, leur caractère neurotoxique qui s’attaque au système nerveux des insectes. Les députés européens votent en mai son interdiction pour toutes les cultures en plein air en laissant toutefois la porte ouverte à des dérogations à caractère exceptionnel, en cas de danger manifeste, limitées dans le temps,
  • 2020 : suite à un rapport du ministère de l’agriculture qui signale qu’une crise inédite touche les betteraviers français dont les cultures seraient ravagées par des pucerons, le Sénat à majorité de droite autorise, à titre dérogatoire, le réemploi temporaire des produits interdits “pour sauver l’agro-industrie de la betterave sucrière”. La dispersion des néonicotinoïdes par épandage sur 400 000 ha de plants de betteraves sucrières est ainsi autorisée à titre dérogatoire pour en 2021, 2022 et 2023,
  • 2023 : la cour européenne interdit toute dérogation à l’utilisation des néonicotinoïdes ainsi que leur mise sur le marché par les États membres. 11 États dont la France sont pointés du doigt pour leurs abus dans l’utilisation des dérogations !

Cette présentation chronologique laisse apparaître que, quelle que soit la couleur politique des gouvernements successifs, les arbitrages entre les intérêts de l’agro-industrie et les impératifs écologiques, voire de santé publique, ont plutôt favorisé l’agro-industrie.

Pourtant les alternatives existent
Malgré la fin des dérogations, le ministre Marc Fesneau ne laisse pas tomber la filière betteravière, ainsi qu’il l’a déclaré : “J’ai convenu avec les représentants de la filière qu’on mettrait en place un dispositif qui permettrait de couvrir le risque de pertes qui serait liée à la jaunisse le temps qu’on trouve les alternatives dont on a besoin”.
Est-il vraiment nécessaire que l’État mette en place un “bouclier betteraves” alors que la filière n’a pas voulu profiter des années de dérogation pour expérimenter et mettre en œuvre des solutions alternatives aux néonicotinoïdes ?

Selon le chercheur au CNRS Jean-Marc Bonmatin, interviewé par France Info, de nombreuses alternatives existent déjà : “En 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a sorti un rapport extrêmement détaillé qui nous donne 22 alternatives aux néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, dont quatre solutions sont applicables immédiatement […] Sur le principe même, je ne comprends pas qu’on continue à faire des dérogations, alors qu’on a tout ce qu’il faut pour faire différemment.” Le chercheur admet que ces solutions impliquent «un peu plus de travail et un peu plus de surveillance» tandis que les agriculteurs concernés redoutent une perte de productivité en cas d’emploi de solutions plus écologiques.

Un peu plus de travail c’est aussi un plus d’emplois ; un peu moins de productivité c’est aussi un peu moins de profits… L’équation est-elle vraiment impossible à résoudre ?

 

Louise B. Velpeau pour le Clairon de l’Atax le 23/02/2023

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Notes
  1. https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2023/01/23/neonicotinoides-qui-va-gagner-la-justice-ou-les-industriels-de-la-betterave/[]
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